Qui n'a jamais rêvé que les documents juridiques et administratifs se remplissent tout seul ? Depuis trois mois, le portail français Document-juridique.com tente une nouvelle approche, inspirée de deux sites à succès américains : l'automatisation de la création de documents. Volontairement épuré, le service invite à trouver le bon contrat, avant de littéralement prendre le particulier ou le professionnel par la main pour le remplir.
Prenons l'exemple d'un contrat de travail. La structure du document est déjà rédigée, comme dans n'importe quel modèle. A l'exception qu'il n'y en a qu'un ici. Pour le personnaliser selon ses besoins, l'utilisateur répond aux questions d'un petit formulaire situé à gauche du fichier. Est-ce un CDI ou un CDD ? Quelle est la qualité de l'employeur ? Quelles sont les coordonnées du salarié ? En temps réel, le contrat est édité juste à côté.
Une fois le document dûment rempli, il faudra s'acquitter de 15 euros pour télécharger la version PDF ou Word. Jérémie Eskenazi est à l'origine de ce projet. Il explique que Document-juridique.com « se situe entre les modèles plus ou moins gratuits sur Internet, compliqués à trouver, et les services onéreux d'un avocat, pouvant aller de 200 à 600 euros pour un contrat de travail ». Quand on lui demande si le site suffit à tous les besoins, il répond « peut-être à 80% des situations, mais c'est dur à estimer. Et on peut éditer le contrat ».
Ce type de service cartonne aux Etats-Unis
Si le contrat de travail « se vend très bien », la plateforme offre 70 autres types de documents, contre un millier pour LegalZoom ou RocketLawyer, les modèles américains dont il s'inspire. Ceux-ci ont respectivement levé 200 millions et 19 millions de dollars ces deux dernières années, avec le soutien de Google Ventures et de Morgan Stanley dans le second cas. Aux Etats-Unis, LegalZoom capterait quelque 25% des demandes de documents légaux. Du côté de Document-juridique.com, on vise les 500 modèles d'ici la fin de l'année.En un trimestre, le site a recensé plus de 43 000 téléchargements de fichiers, à 4,81 euros en moyenne. Le projet est financé grâce à Miratech, l'autre société de Jérémie Eskenazi, spécialisée dans le « conseil en expérience utilisateur ». Maintenant que « la coquille informatique » de Document-juridique.com est faite, « il faut ajouter de nouveaux contrats ». Pour l'instant, l'entreprise emploie deux avocats et trois juristes.
Dans un article de presse paru au lancement de la société, en novembre 2014, le président du Syndicat des avocats de France, Florian Borg, déplorait l'absence du nom et du parcours des avocats et juristes officiant pour le site de Jérémie Eskenazi, ce qui pose selon lui des « questions de responsabilité professionnelle ».
Y a-t-il des juristes et des avocats à la barre ?
Pour le fondateur, la réponse tient au fait que la société n'a « pas le statut de la profession d'avocat ». De la même façon que les équivalents américains n'affichent pas l'identité de leurs équipes, Jérémie Eskenazi revendique le droit de faire pareil. Et il n'a pas l'intention d'adopter ce statut, car « une fois que les contrats sont créés par les juristes et les avocats, qui peuvent être plusieurs par document, ils ne touchent plus à rien, et ce sont les algorithmes qui prennent le relai. Cela n'aurait pas de sens de prendre le statut d'avocat ».Parmi ses clients (répartis à part égale entre particuliers et entreprises), certains ont réclamé du conseil juridique. « Nous nous retenons d'en faire, mais nous n'en avons pas le droit », résume le PDG. « Aux Etats-Unis, ils en proposent en option, mais peu y ont recourt. Et puis ça n'est pas très rentable », ajoute-t-il, ne fermant pas la porte à des évolutions, compte tenu de « la libéralisation en cours de la réglementation ».
Une pierre de plus à l'automatisation du droit
En attendant, les juristes et avocats s'échinent à nourrir la base de données de contrats, « sans multiplier les domaines et les sous-domaines » pour éviter de ressembler aux portails existants de modèles de lettres. La difficulté de l'exercice, et ce serait particulièrement vrai pour les avocats expérimentés, serait de partir d'un modèle de contrat généraliste, donc ouvert, et d'envisager tous les cas de figure avec le questionnaire. Selon le dirigeant, cette démarche intellectuelle « va à contre-sens de la spécialisation que requiert leur métier ».Pour relever ce défi, Document-juridique.com envisage de recruter pour étoffer son équipe de « juristes programmeurs ». La start-up, déjà approchée par des business angels, recherche des professionnels du droit « capables de visualiser toutes les arborescences d'un cas pour concevoir les documents les plus complets ».
A l'instar de Demander-justice.com et son logiciel en ligne pour engager une procédure devant les tribunaux sans avocat, Document-juridique.com contribue à cette tendance de fond qu'est l'automatisation du droit.