L'annonce de ce départ, par voie d'un communiqué de presse assez laconique où Steve Ballmer n'est pas particulièrement remercié par le groupe de Redmond se fait dans un contexte que l'on ne peut ignorer, alors que plusieurs voix avaient déjà appelé à son départ.
Alors qu'il assume la direction de Microsoft depuis les années 2000, Steve Ballmer, 57 ans, s'est fait remarquer pour son charisme et son énergie bouillonnante, prêtant souvent le flanc à la caricature facile. Les légendes de lancers de chaises et autres « Developers, developers, developers » resteront pour sûr dans les annales de l'industrie. Mais au-delà de ces anecdotes, l'ère Ballmer est marquée de réussites et d'échecs, parfois cuisants.
Commençons par le positif. C'est sous la mandature de Steve Ballmer que le chiffre d'affaires du groupe a plus que triplé pour passer de 22 milliards de dollars à 78 milliards attendus pour cette année. Mais parallèlement l'action du géant des logiciels a cessé de faire rêver les marchés financiers alors que de nouvelles stars, on pense évidemment à Apple et Google, ont fait tourner la tête des analystes de Wall Street.
Car Microsoft c'est aujourd'hui et pour beaucoup une entreprise qui rime avec le PC. Seulement voilà, et comme feu Steve Jobs l'a suggéré, nous sommes bel et bien entrés dans l'ère du post-PC. Un changement que Steve Ballmer a invariablement sous-estimé ou tout simplement loupé. Car si l'homme s'est fait remarquer par son charisme et ses formules choc (« Linux est un cancer »), son manque de vision n'aura échappé à personne. C'est tout de même Steve Ballmer himself qui considérait que l'iPhone ne marcherait jamais parce qu'il était dépourvu de clavier physique.
Un moment d'égarement ? Peut-être. D'autant que Microsoft développait depuis des années déjà, bien avant Apple et Google, un OS mobile destiné aux PDA et smartphones... d'antan. Mais voilà, Windows CE, ou Windows Mobile, n'ont jamais convaincu et les atermoiements autour de Windows Phone n'ont pas permis à Microsoft d'être un acteur clé sur le secteur de la téléphonie mobile. Et ce n'est pas le Kin, un téléphone commercialisé par Microsoft et arrêté au bout de 48 jours, qui aura pu sauver la face. Pire, il n'a fait que renforcer le sentiment qu'après l'échec du Zune, le baladeur MP3 de Microsoft censé concurrencer l'iPod, Microsoft ne peut pas réussir lorsqu'il s'agit de gadget high-tech.
Un comportement que l'on retrouve sur le marché des tablettes. Alors que Microsoft lance Windows XP Tablet PC Edition, dans le milieu des années 2000, c'est le bide. Tout comme le soutien aux initiatives de type MID derrière le nom de code Origami qui préfiguraient pourtant l'informatique nomade d'aujourd'hui. Et quand Microsoft tenait enfin quelque chose qui pouvait incarner une rupture, comme le projet Courrier, une tablette avant-gardiste alors que l'iPad n'existait pas, elle ne verra finalement pas le jour pour des raisons obscures et cette fois-ci c'est Bill Gates lui-même qui a mis un terme au projet.
En réalité, chez Microsoft, les décisions obscures ont souvent la même explication : préserver les vaches à lait, à savoir les revenus générés par Windows et Office, les deux mamelles de Redmond. Et souvent, Steve Ballmer aura préféré ne rien sacrifier aux revenus de ces divisions, quitte à ne pas innover et donc laisser la concurrence sortir du bois. Ouvrant de fait la voie à des luttes intestines dont les lancements récents de Surface et Office 2013 ont donné un nouvel éclairage. Alors que les équipes de Steven Sinofsky, l'ancien monsieur Windows, travaillaient dans le plus grand secret sur Surface, les équipes devant plancher sur Office étaient à l'aveuglette... Et c'est ainsi qu'aucune application d'Office 2013 n'a vu le jour sous l'environnement Metro, à l'exception il est vrai de OneNote. Et nous ne reviendrons pas sur l'absence d'Office sur iPad ou Android.
Comment ne pas évoquer également le départ de Steve Ballmer sans revenir sur l'échec qu'est Windows 8. Annoncé comme l'OS réconciliant PC, tablettes et ordinateurs hybrides, Windows 8 s'est avéré être l'OS de la discorde et du compromis, comme un certain Vista avant lui. Et si à l'époque de Vista le problème était à chercher du côté d'une mauvaise exécution, avec Windows 8 Microsoft a pris le pari de ne pas écouter ses clients, ses utilisateurs et ses partenaires pour n'en faire qu'à sa tête... et foncer dans le mur.
Non content d'opérer des choix peu judicieux en terme ergonomique pour Windows 8, Microsoft s'est pour la première fois de son histoire aliéné ses partenaires, sa force historique, en leur faisant un bébé dans le dos. Avec Surface, Microsoft est devenu un fabricant d'ordinateurs, une pilule qui a eu bien du mal à passer du côté d'Acer par exemple. Acer n'étant qu'un exemple alors qu'un simple regard au champ de ruines qu'est Windows RT permet de mesurer l'entêtement d'un homme seul contre tous. Les partenaires ne sont pas les seuls à tourner le dos à Microsoft avec Windows 8, puisque les développeurs, alliés traditionnellement indéfectibles de l'éditeur, sont très loin d'avoir embrassés le Windows Store sur PC... et sur Windows Phone.
Pour autant, Steve Ballmer n'a pas tout raté, loin s'en faut. L'échec du rachat de Yahoo!, est par exemple au final une réussite puisque la valorisation à l'époque proposée par Microsoft était bien supérieure à la valeur intrinsèque de Yahoo!. Les lecteurs me pardonneront cette ironie mal placée. Et en matière de rachat, nous pourrions évoquer Yammer, à ce jour toujours non intégré à Office, ou Skype. Skype qui aura coûté à Microsoft un peu plus de 8 milliards de dollars, un rachat tellement mal compris par les analystes que Bill Gates a dû à l'époque sortir de sa réserve pour expliquer qu'il soutenait le choix de Steve Ballmer. Dans la foulée, Microsoft aura tué une de ses marques à succès, MSN et son célèbre Windows Live Messenger... Alors que ces exemples n'illustrent pas vraiment notre propos d'un Steve Ballmer qui ne rate pas tout, il faudrait tout de même citer la plate-forme Windows Azure qui a permis à Redmond de mettre un sérieux pied dans le cloud et d'offrir ses services à ses concurrents. Et pendant ce temps, Exchange reste une valeur sûre et toujours très implantée dans le monde de l'entreprise.
Steve Ballmer, c'est aussi la Xbox et Kinect, deux succès qui ont permis à Microsoft d'entrer dans les salons en temps que marque grand public au cœur du troisième écran. Un troisième écran dont Microsoft a très tôt compris l'importance sans toutefois réussir autrement que par le biais des consoles. Windows Media Center, un véritable joyau en son temps, a été un échec au point de disparaître de Windows 8... quand Apple et Google travaillent tous deux sur leurs Apple TV et Google TV (et même Intel !). Reste qu'à trois mois du lancement tumultueux de la Xbox One, dont nous vous épargnerons ici tous les revirements stratégiques, le départ prochain de Steve Ballmer n'est pas bon signe...
Et qui pour remplacer Steve ? Difficile à dire tant les rangs en interne chez Microsoft sont clairsemés. Rappelons que l'homme a fait le ménage auprès des exécutifs de haut-rang et ce depuis plusieurs mois. Ray Ozzie, Jim Allchin, Steven Sinofksy, Jay Allard, Robbie Bach ou encore Don Mattrick ont tous quitté le navire. Et si Steve Ballmer a entamé la transformation de Microsoft en une compagnie unique, One Microsoft, centrée autour du « Devices & Services », le bon PDG viendra peut-être de l'extérieur histoire de mettre de l'ordre dans les féodalités qui s'accumulent depuis des années à Redmond. Nous ne spéculerons pas ici sur les remplaçants potentiels tout étant après tout possible avec Microsoft. Sauf peut être Scott Forstall !