Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République » a été discuté à l'Assemblée nationale en début de semaine. L'occasion pour la majorité de relancer l'idée d'un encadrement de l'activité des réseaux sociaux.
Les ministres et rapporteurs du projet de loi Séparatisme se sont succédé lundi au micro de l'Assemblée nationale. Tous ont défendu un texte qui vise à renforcer le cadre réglementaire du respect de l'égalité, de la neutralité et de la laïcité, à protéger la dignité de la personne humaine, à militer pour une neutralité du service public et à lutter contre la haine en ligne. Sur ce dernier point, la députée LREM Laetitia Avia, qui veut oublier l'échec de la loi sur les contenus haineux, censurée par le Conseil constitutionnel le 18 juin 2020, a été très active. Le moment idéal pour remettre sur le tapis l'idée d'un contrôle des plateformes numériques (toutes les plateformes).
Les députés veulent mettre en place un « régime de responsabilité des grands réseaux sociaux »
Les parlementaires dépositaires de la proposition de loi, dont la procédure est d'ailleurs « accélérée », consacrent l'article 19 de la loi à la lutte contre les sites dits « miroir », qui doit permettre à un juge de demander à tout hébergeur ou fournisseur d'accès à Internet de mener une action visant à accélérer un blocage judiciaire.
Selon ce projet de loi, l'autorité administrative pourrait avoir tout pouvoir de demander aux hébergeurs et FAI d'empêcher l'accès à un contenu qui reprend ou qui est source d'un contenu jugé illicite par une décision de justice exécutoire. En ce sens, la France dit aligner son droit sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et d'un arrêt du 3 octobre 2019.
En complément de cet article 19, l'Assemblée nationale nous dit se servir de cette loi Séparatisme, qui entend notamment lutter contre l'islamisme radical, pour transposer avec anticipation le Digital Service Act, la législation sur les services numériques axée autour des utilisateurs, présentée par la Commission européenne le 15 décembre dernier. Pour la partie liée à la haine en ligne, les députés veulent créer « un régime de responsabilité des grands réseaux sociaux, en accroissant la transparence sur les modalités de modération et de traitement des contenus », et en octroyant « des pouvoirs de supervision des processus de modération mis en place par les plateformes au Conseil supérieur de l'audiovisuel ». L'article 18 vise par ailleurs à sanctionner la divulgation d'informations personnelles qui permettrait l'identification ou la localisation d'une personne qui serait exposée à un risque physique et à un danger immédiats. L'article 20, lui, permettra de poursuivre en comparution immédiate les auteurs de propos haineux en ligne.
Sur tous les points que nous venons d'évoquer, la rapporteuse du texte n'est autre que Laetitia Avia, qui avait brillé par son échec à faire adopter la loi visant à lutter contre les contenus haineux l'année dernière, considérée comme une entorse à la liberté d'expression et de communication par le Conseil constitutionnel. Cette loi visait notamment à inciter les plateformes en ligne à retirer les contenus illicites haineux ou sexuels signalés dans les 24 heures, et les contenus pédopornographiques ou terroristes dans l'heure.
La création d'un délit de mise en danger par divulgation de données personnelles
À l'Assemblée nationale, la députée LREM Laetitia Avia a rappelé que la partie de la loi qui concerne la haine en ligne a été intégrée dans des circonstances particulières. « C’est sur Facebook que Samuel Paty a été désigné comme cible ; c’est ensuite sur Twitter que cet attentat a été revendiqué de la manière la plus immonde et c’est sur ces mêmes réseaux et sur des sites extrémistes que des copies de cette image d’une tête décapitée ont circulé des jours, voire des semaines. Enfin, nous le savons, c’est sur Internet que recrutent et sévissent les séparatistes par le biais de stratégies d’endoctrinement numérique auprès des plus vulnérables d’entre nous, auprès de notre jeunesse », a-t-elle rappelé.
L'élue de la majorité a aussi évoqué, en réponse à une intervention précédente du garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti, le délit de mise en danger d'autrui par la divulgation de données personnelles. « Ce nouveau délit est destiné à répondre à ce que nous ne pouvions appréhender dans l'affaire Samuel Paty. Il répond à l'enfer que vivent encore aujourd'hui la jeune Mila ou le jeune Hugo », argumente-t-elle, évoquant les blagues faites sur les réseaux sociaux et les conséquences pour ces deux derniers. La députée de la 8e circonscription de Paris justifie ainsi l'idée d'une comparution immédiate, nous le disions, devant un juge pour un tel délit.
La majorité ne veut plus seulement responsabiliser les plateformes, elle veut aussi les superviser
La partie la plus délicate de l'intervention de Laetitia Avia est liée aux grandes plateformes numériques, et plus particulièrement aux réseaux sociaux, qu'elle entend « encadrer ». Et plutôt que d'appeler les plateformes à prendre leurs responsabilités, « le modèle de l'autorégulation (ayant) montré ses limites », la députée, qui reproche aux réseaux d'agir « comme bon leur semble, de modérer quand ils veulent, ce qu'ils veulent, comme ils veulent », entend frapper fort.
« C'est pourquoi nous responsabiliserons et nous superviserons les plateformes pour rendre à Internet ses lettres de noblesse, afin que ce soit un lieu de communication de partage, et non un lieu de propagation de la haine », assure Laetitia Avia, qui évoque ici un « enjeu de souveraineté ».
Il est l'heure donc, pour la majorité, de déterminer les règles qui doivent s'appliquer, et cela se fera en légiférant. À voir si cette fois le Conseil constitutionnel jugera conformes ces dispositions au texte fondateur de la Ve république.
Qu'en pense-t-on chez Clubic ?
La majorité présidentielle, guidée et soutenue par le gouvernement, porte une proposition de loi qui fera polémique, surtout dans sa partie qui concerne les contenus haineux distillés sur les grandes plateformes. Si l'on en croit les déclarations de Laetitia Avia et le texte de loi provisoire consulté, la loi sur le Séparatisme comportera une partie assez similaire, dans l'esprit, à ce que souhaitait déjà la majorité avec la loi sur les contenus haineux, ce qui s'apparenterait presque à un recyclage opportuniste, dont le temps nous dira le bienfondé ou non.
Source : Assemblée nationale