Ce vendredi, le Conseil d'État a rendu une décision qui pose le principe et les exceptions sur l'obligation de mener des démarches administratives en ligne, notamment pour les étrangers qui souhaitent séjourner en France.
Le gouvernement avait décidé, au printemps 2021, d'imposer aux étrangers en quête d'un titre de séjour en France de déposer leur demande par Internet, par l'intermédiaire d'un téléservice, avec une entrée progressive du dispositif dans les semaines suivantes. Les associations d'aide aux étrangers avaient alors pesté contre la mesure et réclamé au Conseil d'État sa pure et simple annulation. En réponse, la juridiction a décidé de proposer un aménagement, une sorte de compromis.
Pour le Conseil d'État, il est possible de rendre obligatoire un téléservice, mais pas à n'importe quel prix
La section du contentieux du Conseil d'État et sa formation de jugement, qui traite des affaires qui soulèvent une question de droit nouvelle, s'est donc prononcée au travers de deux décisions. Celle-ci ont été rendues publiques ce vendredi 3 juin et peuvent faire jurisprudence. Plusieurs associations, parmi lesquelles La Cimade, la Ligue des droits de l'Homme, le Secours Catholique Caritas France, l'UNEF ou encore le Syndicat des avocats de France, contestaient les décrets du 24 mars 2021 et du 19 mai 2021 ainsi que l'arrêté pris entre-temps, en date du 27 avril la même année.
La plus haute juridiction administrative du pays considère, sur le principe, que le gouvernement peut très bien rendre obligatoire l'utilisation d'un téléservice pour accomplir des démarches administratives auprès de l'État. Nous parlons bien ici du principe. Le juge ajoute que cette obligation « ne relève pas du domaine réservé à la loi » et qu'« aucun droit ou principe constitutionnel ne s'y oppose ».
Mais le Conseil d'État tempère les choses. Il précise que cette obligation ne peut pas être imposée dans le cas où l'usager ne se voit pas garantir un accès normal au service public ni un exercice effectif de ses droits.
En d'autres termes, le Conseil d'État demande à l'administration de prendre en compte plusieurs choses, comme la nature de la démarche qui est dématérialisée. Elle doit aussi considérer son degré de complexité, les caractétistiques de l'outil numérique proposé ainsi que celles du public concerné. Autrement dit : l'État ne peut fermer les yeux sur les difficultés d'accès ou d'utilisation des services en ligne dont peuvent souffrir les usagers.
L'administration doit proposer aux étrangers une solution de substitution au téléservice
À quelles conditions l'État peut-il imposer l'usage obligatoire d'un téléservice pour les demandeurs de titres de séjour ? Le Conseil d'État, qui reconnaît ici une démarche particulièrement complexe et sensible, en pose deux, qui chacune contribue à fixer un cadre général en la matière.
D'abord, les usagers qui n'ont pas la possibilité de disposer d'un accès aux outils numériques (smartphone, PC et autres) ou qui éprouvent des difficultés dans leur utilisation doivent être accompagnés. C'est la première condition posée. Mais certains demandeurs peuvent être dans l'impossibilité, malgré cet accompagnement, de recourir au téléservice, que ce soit à cause du mode de fonctionnement du téléservice ou de sa conception. Alors, le Conseil d'État impose une seconde condition qui consiste, pour l'administration, à proposer à ces usagers une solution de substitution.
La juridiction justifie ces deux conditions pour prendre en compte les diverses caractéristiques et situations particulières des étrangers qui demandent un titre de séjour et qui pourraient, de fait et à cause de leurs difficultés, perdre le droit de rester sur le territoire si leur demande n'était pas enregistrée.
Aujourd'hui, le gouvernement répond bien à l'une de ces conditions, en ce qu'il prévoit un accompagnement des usagers du téléservice. Mais il ne prévoit en revanche pas de solution de substitution qui pourrait être proposée en cas de défaillance liée au mode de fonctionnement ou à la confection du téléservice. Le Conseil d'État a ainsi cru bon de juger, au travers de ces deux décisions, que le gouvernement doivent compléter ses textes afin de mettre en place cette solution de substitution.
Alors, que va-t-il se passer, en attendant la mise en place de cette dernière, si un étranger ne parvient pas à déposer sa demande par le biais du téléservice imposé par le gouvernement ? « L'administration sera tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité », écrit l'institution administrative, qui se range donc du côté des associations.
Le Conseil d'État, qui répond par ailleurs à une question posée par le tribunal administration de Montreuil et par celui de Versailles, précise que les préfets ne pouvaient pas rendre obligatoire l'emploi de téléservices pour le dépôt des demandes de titre de séjour, et ce, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021. Précisons que ce décret a été annulé par la juridiction administrative.
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