Le tribunal judiciaire de Paris a surpris son monde, vendredi, en décidant d'un sursis à statuer au sujet du blocage des sites porno qui ne respectent pas l'interdiction d'accès censée s'appliquer aux mineurs. Rien ne bouge donc, pour le moment.
La décision était attendue, et elle vient de tomber, ou plutôt, à moitié. Le tribunal judiciaire de Paris, qui avait été saisi il y a un an par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) pour exiger auprès des fournisseurs d'accès à Internet le blocage des sites pornographiques Pornhub, Tukif, xHamster, Xvideos et Xnxx. Alors que le régulateur du numérique espérait enfin un dénouement sur le terrain judiciaire, le tribunal a prononcé un sursis à statuer, qui ne fait pas vraiment avancer le schmilblick.
L'ARCOM perd une nouvelle bataille, mais pas encore la guerre
Plus précisément, le tribunal judiciaire de Paris « sursoit à statuer (…) devant le Conseil d'État contre le décret » du 7 octobre 2021. Ce texte était venu préciser les modalités de mise en œuvre du fameux article 23 de la loi du 30 juillet 2020. Pour rappel, cette disposition impose la mise en place de toute mesure permettant d'empêcher les mineurs d'accéder à des contenus pornographiques. Mais le flou et les carences d'explications techniques du texte semblent lui faire défaut aujourd'hui.
Pour l'instant, son application est inexistante, les plateformes de contenus pour adultes multipliant les recours. Au passage, les sites ont su soigner leur défense au fil des mois et des années, en pointant du doigt l'absence de précisions autour du principe même du blocage : quid du RGPD, moyen de vérifier l'âge et l'identité des visiteurs, etc.
Un autre élément a fait du tort à l'ARCOM. À l'époque des mises en demeure des sites pornographiques, l'autorité (ici le CSA) n'avait pas notifié officiellement la Commission européenne, ce qui constitue un manquement à la directive sur le commerce électronique. En ne faisant pas les choses dans le bon ordre, le régulateur français s'est tiré une balle dans le pied.
Le serpent qui se mord la queue (sans mauvais jeu de mots)
Pour l'ARCOM, il s'agit d'une nouvelle défaite. L'autorité présidée par Roch-Olivier Maistre a tout tenté, depuis trois ans maintenant et avant même de devenir l'ARCOM (ex-CSA et HADOPI). Demandes directes auprès des sites restées sans réponse, décret applicatif totalement inefficace, médiation infructueuse… Rien n'y fait. Alors est-ce qu'un blocage des sites porno qui ne bloquent pas les mineurs à l'entrée est-il encore possible ?
Oui, car le président du tribunal a prononcé un « sursis à statuer ». D'un point de vue légal, le sursis à statuer ne dessaisit pas le juge et ne met pas fin à l'affaire. L'instance va se poursuivre, mais avant cela, le tribunal judiciaire de Paris doit attendre que le Conseil d'État se prononce sur la légalité du fameux décret (toujours lui) du 7 octobre 2021. En outre, le tribunal attend aussi que des solutions de vérification d'âge officielle, qui ne sont qu'en cours de développement, soient adoptées. Cela sera l'affaire des pouvoirs publics, de l'ARCOM, de la CNIL et du décret prévu par le gouvernement.
Notons qu'avec ce sursis à statuer, le tribunal a répondu favorablement aux demandes faites par les éditeurs WebGroup Czech Republic et NRL Associates, qui propulsent respectivement les sites Xvideos et Xnxx. Cela devrait donner un peu plus de motivation encore au gouvernement, qui entend légiférer – à nouveau – pour passer outre l'interminable étape judiciaire.
Remercions pour finir notre confrère de L'Informé, Marc Rees, qui a relayé la décision du tribunal judiciaire de Paris.
Sources : Clubic, Tribunal judiciaire de Paris, L'Informé