Starlink

En Australie, aux Pays-Bas, en Espagne et même en France : tout porte à croire que SpaceX fait entrer Starlink par la porte de service en créant plusieurs sociétés écran nommées Tibro depuis 2019, qui se révèlent au grand jour au fur et à mesure. Voilà une drôle de constellation… au sol.

Connaissez-vous Tibro ? Non ? C’est normal. Cette petite EURL, au capital modeste de 7500 euros, a été créée le 20 septembre 2019, comme un fond de commerce basé à Paris. L’adresse renvoie d’ailleurs à deux pas des Champs-Elysées, rue de la Boétie, sur un bâtiment qui abrite notamment le local commercial de « Clope & Phone » ce qui est assez hilarant considérant la suite. A première vue, rien de passionnant, si on excepte un petit jeu de mot : Tibro à l’envers se lit « orbite ». Ça, et le fait que l’entreprise a été créée par Michael James Sylvester.

Le très actif monsieur Sylvester

Monsieur Sylvester est un homme très occupé. A première vue, on pourrait croire que même s’il habite en Californie, il croit beaucoup dans le potentiel de son entreprise Tibro. Parce qu’il n’a pas créé que Tibro France : il a aussi créé Tibro Corp. en Grande Bretagne, Tibro Netherlands BV en septembre 2019, puis une succursale Tibro en 2020 à Madrid, et une autre Tibro gMBH en Autriche, ainsi qu’en Irlande.

Tibro pourrait même s’exporter dans le monde entier, puisqu’il y a aussi Tibro Japon, et Tibro Australie. Décidément, Michael Sylvester doit avoir un concept en béton. Mais pas vraiment de quoi être étonnés, puisque sur le profil qui ressemble le plus à celui de monsieur Sylvester, on apprend que celui-ci est responsable fiscal pour SpaceX. Peut-être a-t-il eu sur place une révélation pour lancer Tibro et profiter d’une nouvelle carrière à l’international (ainsi qu’un petit amour du jeu de mot) ?

Tibro, une façade pour SpaceX ?

Peut-être pas. Parce que derrière Tibro se cache en fait l’employeur de monsieur Sylvester, SpaceX, dans une manœuvre assez habile. Intéressons-nous d’abord à l’Australie, du côté de chez TIBRO AUSTRALIA PTY LTD. L’entreprise, créée en novembre 2019, rédige une demande à l’ACMA (l’autorité australienne des communications) pour obtenir une « carrier licence » — bref, devenir opérateur. Licence accordée le 7 août 2020.

Et si vous vous demandez ce que l’entreprise Tibro souhaite faire en Australie, ne cherchez plus. Depuis le 3 octobre, Tibro a changé de nom ! L’entreprise de monsieur Sylvester s’appelle désormais Starlink Australia PTY LTD. Étonnant, non ?

Starlink, faut-il encore la présenter, est la grande constellation de connectivité internet de SpaceX. Un projet titanesque destiné à connecter le monde, démarré en 2015 et dont les premiers satellites ont pris leur envol en mai 2019. La constellation comptera dans un premier temps au moins 4 400 unités, et peut-être bien à terme 30 000 satellites. Depuis le mois d’août 2020, SpaceX dispose de suffisamment de transpondeurs en orbite pour démarrer, dans les hautes latitudes, des premières expérimentations en bêta privée.

Sachez en outre que l’Australie intéresse beaucoup Starlink, étant donné qu’il s’agit d’un pays riche doté de grands espaces difficiles à connecter à des réseaux traditionnels. Une petite recherche permet d’apprendre que SpaceX déploie déjà quatre terminaux Starlink en Australie à titre expérimental.

SpaceX n’est pas caché bien loin

Tibro se transforme donc en Starlink : est-ce une coïncidence, ou y a-t-il une volonté chez SpaceX de créer une dizaine d’entités légales en 2019 pour éventuellement les transformer ensuite ?

Tibro et SpaceX partagent des liens faciles à trouver, lorsqu'on sait où chercher. Prenez Tibro Corp, enregistré au Royaume Uni : comme on peut s’y attendre, monsieur Sylvester est bien listé comme directeur, avec une adresse dans le Delaware — qui n’est d’ailleurs qu’une boîte aux lettres, le bâtiment abritant Incorporate.com, une entreprise dont la spécialité est justement d’héberger des entreprises. Vous connaissez au moins une autre firme enregistrée à la même adresse à New Castle : Space Exploration Technologies Corp.

Il y a aussi l’exemple néerlandais, celui de Tibro Netherlands BV. Celle-ci est créée le 12 septembre 2019 (vous avez deviné qui en est le gestionnaire). Cette fois l’adresse au Sud d’Amsterdam ne nous embarque pas chez SpaceX, mais… chez Tesla ! Et il ne s’agit pas que d’un centre de vente et de service, mais du siège de Tesla pour la zone dite EMEA (Europe, Middle-East and Africa). Les boites aux lettres doivent sans doute se bousculer sur place, puisque qu’il s’agit de la même adresse pour SpaceX Netherlands BV. Une entreprise fondée par Michael Sylvester en avril (zéro suspense)… mais qui est déjà utilisée par SpaceX en général, et Starlink en particulier.

Lors d’une demande à la commission fédérale des communications (la puissante FCC) au mois de juillet 2020, la même adresse que Tibro, SpaceX et Tesla aux Pays-Bas a été utilisée comme référence pour lister l’organisme de réglementation européen du constructeur de satellites.

Et si tout cela ne suffisait pas, Tibro Netherlands BV a aussi changé de nom en septembre. Pour s’appeler, là encore sans suspense, Starlink Holdings Netherlands BV.

En effet depuis le mois de septembre, Tibro est en recul, et Starlink en marche avant. Tibro aux Pays-Bas s’appelle désormais Starlink, et monsieur Sylvester n’en est plus le gérant. Ce sont Lauren Dreyer (Directrice des ressources humaines de SpaceX) et David Anderman (Directeur légal de SpaceX… donc le patron de monsieur Sylvester) qui ont pris le relais. On retrouve ces deux mêmes noms à la création d’une autre entreprise, cette fois en Angleterre : Starlink Internet Services UK Limited. En Irlande encore, c’est la même entreprise d’hébergement de sociétés à Dublin qui abritait Tibro et qui maintenant accueille Starlink.

Pourquoi avancer masqués ?

Il reste à comprendre pourquoi SpaceX, plutôt que d’établir un seul « Starlink Internet Services » dans un pays accommodant (l’Irlande, à tout hasard), a préféré créer une dizaine d’entités autour du monde, et particulièrement en Europe. Il s’agit d’une pratique sans doute légale, mais elle est tout à fait aux antipodes de ce à quoi nous sommes habitués avec SpaceX : une communication efficace, publique, globale, qui parfois en fait un peu trop… Pas une entité qui s’installe sous pseudonyme à l’étranger.

Peut-être cela prend-il racine dans le fait qu’en 2019 encore, la faisabilité de Starlink n’était peut-être pas établie pour SpaceX. Ou bien est-ce une question d’indépendance ? Au sein de SpaceX, on sait qu’Elon Musk ne souhaite pas laisser Starlink prendre son envol seule en bourse avant que la constellation soit rentable. Il n’en a peut-être pas toujours été ainsi. Est-ce encore une façon de faire avancer le dossier de l’attribution des fréquences nécessaires à la distribution de terminaux en tant qu’opérateur ?

Aujourd’hui, tous les Tibro ne sont pas transformés, et visiblement tous n’ont pas servi de « point d’appui » à Starlink avant de changer de nom.

Reste aussi à savoir si à Paris, Starlink restera à la même adresse que « Clope & Phone »…