© Millenius / Shutterstock
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En circulation depuis maintenant deux ans, le yuan numérique est pour le moment un échec en Chine.

Selon un ancien officiel de la Banque populaire de Chine, le e-yuan n'aurait pas encore rencontré son public au sein de l'Empire du Milieu.

Une circulation cumulée d'à peine 14 milliards de dollars

C'est pendant une conférence organisée en collaboration avec l'université Tsinghua sur la finance numérique qu'est intervenu Xie Ping, ancien haut fonctionnaire de la Banque centrale chinoise.

Dans ses propos rapportés par le média Caixin et dont l'agence Reuters se fait l'écho, le yuan numérique, mis à l'essai dans plusieurs villes et provinces du pays, est pour le moment boudé par la population. Les chiffres présentés montrent selon lui que « l'utilisation a été basse et très inefficace ».

« La circulation cumulée du yuan numérique au cours des deux années du procès n'a été que de 100 milliards de yuans (14 milliards de dollars) », a-t-il ajouté. Pas de quoi peser dans un pays dont le PIB s'élevait l'an dernier à 17 730 milliards de dollars.

Le terrain est déjà occupé par le liquide et les cartes bancaires

Il faut dire que l'horizon des moyens de paiement semble pour le moment bouché pour cet outil de transaction. Comme l'explique Xie Ping, « le liquide, les cartes bancaires et les mécanismes de paiement tiers en Chine [ndrl : comme Alipay] ont formé une structure de marché des paiements qui a répondu aux besoins de consommation quotidiens ».

Dans ces conditions, le e-yuan apparaît comme un objet assez superflu pour les consommateurs, le fruit d'une volonté politique hors-sol dont les bénéfices sont assez maigres. Les possibilités offertes par le yuan numérique sont en effet assez faibles.

Il n'offre ainsi que peu de services par rapport à un Alipay qui avait lui aussi fait irruption au milieu du duopole formé par le cash et la monnaie scripturale, et s'était fait une place en permettant à l'usager d'accéder à des services d'assurance, d'investissement ou de prêt à la consommation.

Remplacer le Bitcoin en Europe et en Chine

Les autorités européennes devraient analyser ce début difficile dans le détail. L'Union européenne veut en effet elle aussi, dans les années à venir, mettre sur le marché son propre euro numérique. Elle est motivée en ce sens, comme l'est Pékin, par l'essor des crypto-monnaies, qu'elle voit comme un rival illégitime à son monopole d'émission monétaire. Sont notamment dans son viseur les stablecoins tels que l'USDT ou l'UDSC.

Et comme on peut le lire dans l'un des documents produits par les instances de Bruxelles, il s'agira d'abord « de préserver le rôle de la monnaie publique comme point d’ancrage monétaire du système de paiement ».

Mais si la volonté de garder en main une compétence régalienne est compréhensible, il n'en reste pas moins que l'efficacité de l'outil sera corrélée à l'ampleur de son adoption. Or, comme on le voit avec l'exemple chinois, la monnaie numérique gouvernementale offre assez peu d'incitations et subsiste reléguée à l'arrière-fond du portefeuille national.

Une monnaie sans les avantages de la crypto ni de l'argent courant

Quand on regarde le détail, on comprend rapidement la réaction du public. La monnaie numérique, en tant que « crypto-monnaie étatique », s'appuie sur la blockchain. Comme pour toutes ces monnaies (à l'exception de projets tels que le Monero), il est techniquement possible de retracer l'ensemble des transactions effectuées par une unité, et par conséquent, de mettre à nu le propriétaire. C'est l'inverse donc du liquide, et cela reste même éloigné des monnaies scripturales, les banques étant légalement tenues au secret, hors demande expresse et limitée de la justice.

Si la question de la vie privée est importante, la monnaie numérique est aussi moins pratique que les moyens de paiement traditionnels. Elle ne peut ainsi pas être accumulée pour donner naissance à travers les intérêts à une rémunération. Pire, elle peut aussi, selon la volonté de l'institution d'émission, être programmée pour des utilisations bien précises (comme dans le cas d'aide sociale), ou même être dotée d'une date d'expiration après laquelle les unités non consommées par des transactions deviendraient inutilisables. Des écueils bien solides que l'Union européenne devra prendre en compte.