Vue d'artiste du télescope Spektr-RG et de ses deux instruments ART-XC et eROSITA
Vue d'artiste du télescope Spektr-RG et de ses deux instruments ART-XC et eROSITA

À la suite de l’invasion de l’Ukraine, l’instrument eROSITA, contribution majeure de l’Allemagne au télescope en bande X Spektr-RG, a été éteint, et la coopération est au point mort. Mais les autorités russes menacent, contre l’avis de leurs scientifiques, de forcer le redémarrage de l’instrument.

Une affaire politique autant que technique.

eROSITA est à l'arrêt

Depuis son arrivée au point de Lagrange Terre-Soleil L2 à l'automne 2019, le télescope russe Spektr-RG (pour Röntgen-Gamma) observe l'ensemble du ciel avec ses deux grands instruments détecteurs de rayons X, eROSITA et ART-XC.

Il « scanne » en particulier la Voie Lactée pour y détecter des événements très énergétiques mais nécessitant des instruments sensibles. Le télescope observe et recense aussi les trous noirs dans les galaxies voisines, les pulsars et supernovas.

En février 2022, le télescope avait réussi avec brio les quatre premières séquences d'observation sur les huit prévues au cours de sa mission principale, et les équipes scientifiques préparaient déjà les futures extensions de la mission, qui disposera encore en 2025 d'un potentiel conséquent. Mais l'invasion de l'Ukraine par la Russie est venue bouleverser le calendrier. En effet, l'instrument eROSITA est une contribution majeure de l'Allemagne, dont l'agence (la DLR) a cessé toute coopération scientifique ou technique avec la Russie.

La solution russe

Résultat, eROSITA est arrêté. L'instrument est sain, et il s'agit d'une décision plus administrative que technique : s'il nécessitera sans doute un étalonnage lors de son redémarrage, il n'est pas complètement éteint. Son système de régulation thermique est toujours en fonctionnement, et son système de contrôle fonctionne. Il est en « safe mode », ou mode de sauvegarde.

L'instrument eROSITA avait produit cette carte des événements extrêmes du ciel observables après un an de mesures. © Jeremy Sanders, Hermann Brunner et l'équipe eSASS (MPE); Eugene Churazov, Marat Gilfanov (pour IKI)
L'instrument eROSITA avait produit cette carte des événements extrêmes du ciel observables après un an de mesures. © Jeremy Sanders, Hermann Brunner et l'équipe eSASS (MPE); Eugene Churazov, Marat Gilfanov (pour IKI)

En l'état, cela handicape toute la mission du télescope Spektr-RG, car l'autre instrument ART-XC fonctionne en tandem. Si le télescope continue de scanner les régions du ciel, les données seront sensiblement dégradées… Il s'agit donc d'une impasse. Plusieurs scientifiques autour du monde ont critiqué la position allemande, arguant que les avancées scientifiques ne devraient pas dépendre des conflits terrestres.

Mais depuis fin mai, l'agence russe, par la voix de son fougueux directeur Dmitri Rogozine, a aussi déclenché une importante polémique. En effet, il est question pour la partie russe de « pirater » les commandes de la partie allemande pour prendre de facto le contrôle de l'instrument eROSITA.

Détourner un instrument, une bonne idée ?

Cette menace a d'abord engendré plusieurs questionnements : est-il déjà possible d'accéder au contrôle de eROSITA ? Comme l'instrument est sur une plateforme russe, cela ne devrait pas poser d'obstacle majeur, mais gare, car sans les équipes allemandes, une mauvaise commande pourrait endommager eROSITA de manière permanente. Il s'agit d'un télescope spécialisé dont les réglages sont très fins… Et pour lesquels les logiciels ne sont pas nécessairement parés de toutes les sécurités, tout simplement car ils sont conçus pour fonctionner avec une équipe de spécialistes et chercheurs aux manettes. Donc gagner le contrôle, pourquoi pas, mais opérer eROSITA sans dégrader ses résultats, cela reste peu probable.

Outre ce côté terre à terre, l'aspect politique fait débat, et la communauté scientifique russe liée au télescope s'est élevée contre le projet de Roscosmos. En effet, le Space Research Institute (responsable de l'analyse des données), mais aussi Rashid Syunyaev (responsable scientifique de la mission) se sont opposés à l'idée. En plus du risque de briser de façon irrémédiable le lien avec les scientifiques allemands, leur argument repose sur l'impossibilité de publier les données à l'international avec un instrument « volé ». Il n'est pas certain qu'ils soient écoutés, le directeur de Roscosmos demandant aux chercheurs de travailler « exclusivement pour les intérêts scientifiques nationaux ». Le sujet n'est pas clos aujourd'hui.