Le logo du programme, qui reprend le visuel du monument des Conquérants de l'espace (Moscou) © N.A.
Le logo du programme, qui reprend le visuel du monument des Conquérants de l'espace (Moscou) © N.A.

Coup de génie pour la communication et la coopération scientifique, le programme Intercosmos propose aux pays « amis » de l'Union soviétique d'envoyer leurs expériences en orbite, puis leurs astronautes. Des coûts partagés, l'esprit communiste mis en avant… De quoi donner des idées, même au camp d'en face.

Les missions de « visite » sont reprises, jusqu'à aujourd'hui.

Tous les rouges ne se valent pas

Même si l'on a pris coutume de considérer lors de la guerre froide le bloc de l'Est comme une entité unique, il faut se souvenir qu'historiquement, il y a une différence majeure entre l'Union des républiques socialistes soviétiques (l'URSS, que l'on abrège généralement en Union soviétique) et les pays dits « de l'Est » qui furent sous domination communiste après la Seconde Guerre mondiale : Allemagne de l'Est, Pologne, Hongrie, Serbie, ex-Tchécoslovaquie, Bulgarie et Roumanie. Même si elles sont dans le giron moscovite, ces nations gardent leur identité. Elles ne sont pas intégrées à l'URSS comme d'autres républiques, le Kazakhstan, les pays baltes ou l'Ukraine, par exemple. Cette distinction est loin d'être anecdotique, et il en va de même pour l'exploration spatiale.

Ainsi, les cosmonautes des sélections soviétiques venaient de toute l'URSS (comme Pavel Popovitch sur Vostok-4 qui était ukrainien), mais pas des nations indépendantes pourtant alliées. Et c'est aussi valable pour les instituts de recherche, et donc les expériences spatiales à embarquer sur les satellites soviétiques.

Au milieu des années 60, lorsqu'il devint évident pour les deux grandes puissances que l'espace se dirigeait lentement vers un usage plus ouvert, chacune a adapté sa stratégie. On a parlé du lanceur Scout américain, qui a permis aux États-Unis d'ouvrir leur savoir-faire à leurs partenaires. L'URSS met en place un programme différent avec ses alliés : Intercosmos (ou Interkosmos). Ce dernier repose sur la coopération bilatérale, d'abord avec des expériences. Chaque nation peut injecter la somme qu'elle souhaite pour développer ses charges utiles scientifiques, et l'URSS se charge de les envoyer en orbite avec ses satellites.

Et cela tombe bien, car cela ne fonctionnera pas que pour les satellites, mais aussi pour les astronautes © URSS / Spacefacts.de
Et cela tombe bien, car cela ne fonctionnera pas que pour les satellites, mais aussi pour les astronautes © URSS / Spacefacts.de

L'intersyndicale du cosmos (non)

Intercosmos, mis en place en 1966 sous la forme d'un conseil central sous la direction de l'Académie des sciences soviétique, regroupe, en plus de l'URSS, huit pays alliés : l'Allemagne de l'Est, la Pologne, la Bulgarie, la Hongrie, la Roumanie, l'ex-Tchécoslovaquie, la Mongolie et Cuba. Le véritable nom « Intercosmos » ne sera adopté que plus tard, tout comme le Viêt Nam deviendra à son tour une nation partenaire.

Tout commence donc par quelques tirs de fusées-sondes et de satellites. L'URSS dispose alors d'une famille de satellites baptisée DS (pour satellites de Dnipropetrovsk), qui fut un temps concurrente de celles d'autres bureaux d'études plus centrés sur Moscou (Dnipro est aujourd'hui une ville dans le centre de l'Ukraine). Mais l'Union soviétique a su évoluer pour proposer à partir de 1963-64 des satellites « universels », très en avance sur leur temps.

Un satellite DS-U3-IK développé pour le programme Intercosmos © KB Youzhnoïe

À partir de la même idée utilisée aujourd'hui pour certains opérateurs et constellations, le constructeur propose une famille de satellites équipés du même « bus » (propulsion, production électrique, orientation, réservoirs, communications, orbite) qui peut être équipé ou adapté pour différentes charges utiles. Et ça marche !

La première véritable mission d'Intercosmos a lieu le 14 octobre 1969. Il s'agit d'envoyer un satellite d'étude des émissions solaires, avec des participations allemande, polonaise et tchécoslovaque. Mais bientôt, l'URSS pourra proposer encore mieux à ses partenaires, puisqu'elle va travailler d'arrache-pied dans la décennie 1970 pour mettre en place son nouveau pilier de la stratégie spatiale : les stations orbitales.

Visites de courtoisie

Comme nous l'avons vu au fil de nos articles précédents, le déploiement de la première génération de stations est laborieux, techniquement complexe et même dangereux. Mais il aboutit au développement d'un deuxième volet qui mènera en septembre 1977 au décollage de Saliout 6. Cette dernière dispose enfin d'une capacité d'accueil pour deux véhicules. De quoi organiser une occupation en permanence avec des rotations d'équipage, mais aussi faire « monter » en orbite des équipes pour des visites de courte durée, avec des spécialistes de mission et des cosmonautes d'autres pays.

Ce schéma original permet aussi de diversifier les missions de l'équipage « permanent », de renouveler leur capsule Soyouz et d'apporter un peu de matériel. Des bénéfices sur tous les plans ! Pour cela, pas question néanmoins de faire l'impasse sur la formation. Les cosmonautes « étrangers » doivent être aussi capables que les locaux.

L'écusson de mission de la première aventure est-allemande en orbite, avec le cosmonaute Sigmund Jähn (oui, celui dont il est question dans Good Bye Lenin) © Zvezda / Spacefacts.de / Spacepatches.nl

Bienvenue en URSS

Ainsi, à partir de décembre 1976, la très fermée « Star City », le centre de formation des cosmonautes soviétiques, ouvre ses portes à plusieurs candidats cosmonautes des pays signataires d'Intercosmos. Une réalité cruelle frappe pourtant les futurs diplômés : il s'agit de vols de prestige et de missions uniques pour les partenaires, aussi les nations qui envoient deux candidats auront forcément à décider à un moment de leur formation lequel ira en orbite, et lequel aura peut-être été formé 18 mois pour rien.

Le premier à voler est le Tchécoslovaque Vladimir Remek, qui décolle en février 1978 pour rejoindre la station Saliout 6 à l'occasion d'une mission d'une semaine. Ce succès sera suivi de deux autres vols la même année. L'astronautique entre dans une nouvelle ère qui dépasse celle des 17 premières années au cours desquelles les vols se partageaient entre les États-Unis et l'URSS, avec la participation des Allemands, des Polonais et des Tchécoslovaques, entre autres. Plus symbolique encore, ce sont les pays communistes et amis de l'Union soviétique qui en bénéficient en premier. Le programme concurrent avec la navette américaine de ses propres partenaires internationaux devra attendre de longues années.

Quand Intercosmos se fond dans quelque chose de plus grand

Les « premières » se multiplient. En 1980, pour le sixième vol habité d'Intercosmos, c'est le Vietnamien Pham Tuân qui s'envole depuis Baïkonour et devient le premier représentant d'une nation d'Asie en orbite autour de la Terre. Suivront d'autres pays comme Cuba, la Mongolie, mais aussi d'autres partenaires.

En effet, en 1979, la France signe avec l'Union soviétique un accord et envoie ses deux premiers candidats astronautes passer la même formation que les autres à Star City. Le résultat est bien connu, celui du vol PVH du Français Jean-Loup Chrétien en 1982. La mission est souvent associée au programme Intercosmos, et elle est établie sur des bases similaires, tout comme plusieurs charges utiles scientifiques françaises voleront sur des satellites de l'URSS dans ces mêmes années. Pourtant, la France n'a pas été une nation officiellement partenaire d'Intercosmos. Affaire de sémantique comme de politique, le pays était à l'époque non aligné.

Là encore, deux astronautes en formation, mais seul Jean-Loup Chrétien partira pour l'espace en Soyouz © AFP

Par la suite, de nombreuses nations indépendantes passent elles aussi des accords de coopération astronautique avec l'URSS qui reprennent tous les mêmes bases qu'Intercosmos. Elles seront également associées, même si elles ne servent pas intégralement les mêmes objectifs scientifiques que ce que l'Académie des sciences avait mis en place.

La riche descendance d'Intercosmos

Le programme soviétique en tant que tel n'a plus lieu d'être, il a déjà inspiré et posé des principes qui se répandent dans les années 80, avec les succès des stations soviétiques de longue durée Saliout 6, 7 et Mir. Des astronautes syriens, indiens, afghans et même, lorsque les relations se réchauffent avec l'Occident (avant la chute de l'URSS) au tournant des années 90, l'astronaute anglaise Helen Sharman et l'Autrichien Franz Viehböck voleront ainsi avec des conditions similaires.

De leur côté, les Américains ont bien compris ce rayonnement culturel, la dimension internationale et l'exceptionnel impact de communication de ces coopérations qui verront aussi le jour dans les années 80. Avec la fin de l'Union soviétique, ils verront même dans cette filière la possibilité de gagner des compétences qu'ils n'ont pas avec le programme de navettes et de coopérer avec leurs adversaires d'alors. Tout n'est pas lié à Intercosmos, mais c'est grâce à ces accords et ces premiers échanges avec d'autres nations que tout est (déjà) en place pour des coopérations à plus large échelle dans la nouvelle Russie.

Bienvenue sur Mir ! © NASA

Les concepts posés par Intercosmos pour les satellites sont aujourd'hui répandus entre différentes agences tout autour du monde pour leurs collaborations. Les laboratoires français par exemple envoient leurs instruments sur des plateformes de la NASA, mais aussi des satellites de recherche chinois, des sondes européennes ou indiennes… Dans le cadre d'accords entre agences, des astronautes volent à bord de différents véhicules en direction de la Station spatiale internationale.

Depuis la (ré)ouverture des vols commerciaux avec SpaceX, on assiste même à une nouvelle poussée des missions courtes pour nations qui veulent davantage s'investir dans l'astronautique, avec des places vendues à des agences étrangères plutôt qu'à des touristes. C'est le cas notamment du vol de la mission commerciale Axiom 2 début mai, qui conduira deux astronautes de l'Arabie saoudite en orbite. Prestige, communication et collaboration : Intercosmos a une longue descendance…