Conçue alors même que les États-Unis n'avaient envoyé aucun satellite en orbite, la petite fusée Scout a connu une surprenante carrière tout autour du monde. Pourtant, ce tout premier lanceur à ergols solides n'avait pas pour ambition de rester sur le devant de la scène pendant plus de 30 ans !
Simple, fiable, et surtout… civile.
Non, pas un missile
Dans la course au premier décollage américain vers l'orbite, on a retenu que les efforts étaient trop divisés entre les trois branches principales des armées américaines, chacune développant son propre lanceur. Jupiter pour l'US Army, Vanguard proposé par l'US Navy, et Atlas, en retard, mais poussé par l'US Air Force.
Il existait cependant d'autres projets déjà en cours à l'époque, dont Scout. Ce dernier est issu de développements initiés par la NACA, l'ancêtre de la NASA après 1956, lors des premiers essais concluants de propulseurs à poudre. Ces ergols puissants, bien que leur combustion ne puisse être stoppée, peuvent être stockés, et surtout, sont très fiables. L'US Navy s'y intéresse, avec en ligne de mire les lancements balistiques par les sous-marins lanceurs d'engins (le missile Polaris). C'est aussi le cas de l'US Army, et cela aboutira au missile Sergeant.
La NACA, au cœur du développement, garde des droits d'usage civils pour cette technologie et les éléments associés. Et pendant un temps, ils tombent dans l'oubli. En 1958, les États-Unis utilisent d'autres lanceurs pour leurs premiers satellites avant d'assembler les activités spatiales civiles et de créer la NASA. Mais Scout ne reste pas dans les tiroirs pour autant. En effet, pas question de ne garder que les lanceurs les plus capables. La NASA a besoin d'une fusée fiable, qu'elle peut faire construire sans passer par les militaires, pour des satellites civils de petite taille et des tests de son programme Mercury. En mars 1959, le projet Scout est à nouveau sur les rails. L'US Air Force y participe, mais disposera de sa propre version, laissant la jeune NASA avec un projet civil.
Petit Scout restera petit
Sur des critères du XXIe siècle, Scout est presque un microlanceur : entre 16,2 et 21 tonnes (selon les versions) sur la balance, entre 21 et 25 mètres de haut, et à peine plus d'un mètre de diamètre à sa base. Il est constitué de 4 étages à propulsion « solide » à poudre, et c'est la première fois à l'échelle de la planète. Le premier, nommé Algol, est issu des recherches avec l'US Navy. Le deuxième, Castor (XM-33), est quant à lui développé avec l'US Army. Enfin, le troisième, Antares, et le quatrième, Altaïr, existaient déjà avec les lanceurs Vanguard.
L'avantage des étages à poudre se trouve aussi dans la simplification des infrastructures. En effet, à l'époque, les lanceurs évoluent vite, et Scout n'est pas une exception. Pourtant, avec ce lanceur, pas besoin de lourdes modifications des sites de lancement, car il est rapide, et pas besoin non plus de gros réservoirs ou d'ergols cryotechniques.
Scout X, pas un nom de Gaulois
La première version de test s'appelle Scout X et vise une parabole suborbitale pour son décollage inaugural le 18 avril 1960. Celui-ci se fait depuis le site de Wallops en Virginie et se passe bien, même si la fusée se désintègre lors de la séparation entre le premier et le deuxième étage. Qu'importe, la NASA passe ensuite à des tests grandeur nature.
Avec les 4 étages mentionnés précédemment, on a désormais affaire à la version Scout X1. Le décollage a lieu le 2 juillet 1960 et rate son coup. Il sera rattrapé le 4 octobre par un tir suborbital réussi, assez pour encourager les équipes à viser l'orbite avec une petite sphère de 7,5 kg, Explorer 9. Le tir a lieu le 4 décembre et est lui aussi un échec, lors de l'action du deuxième étage. Décidément !
Il y a des doutes sur le management du projet côté NASA, d'autant que la première version issue des travaux militaires, Blue Scout, réussit son décollage inaugural un mois plus tard. Mais l'équipe ne baisse pas les bras, et le 16 février, pour la première fois, Scout X1 emporte un satellite en orbite basse, une sphère identique à Explorer 9. D'ailleurs, elle y est toujours et y restera pour plusieurs siècles, ayant atteint 757 x 2 433 kilomètres d'altitude… La carrière de Scout est lancée.
On l'aura remarqué, Scout X1 n'est pas une extraordinaire réussite technique, et cela ne va pas beaucoup s'arranger en 1961. Malgré tout, le lanceur réussit à tester avec succès des composants dédiés au programme Mercury, et la NASA a déjà en travaux une version améliorée de son petit véhicule, X2. De façon incrémentale, les développements vont permettre au fil des années d'améliorer la fiabilité du vol, mais aussi la puissance disponible, et donc la capacité vers l'orbite.
Il y en aura 24 versions en tout, entre les prototypes, les versions suborbitales et orbitales, pour les civils ou les militaires, capables d'emporter jusqu'à 220 kg en orbite basse ! Mais ce n'est pas le plus intéressant, ni même le fait que la NASA et l'US Air Force ont utilisé cette fusée depuis leurs trois sites de lancement majeurs, Wallops, Vandenberg et bien sûr Cape Canaveral. Ce qui a marqué l'Histoire, c'est que dès le premier succès en 1961, la NASA, avec sa petite fusée civile, en a profité pour faire rayonner l'accès à l'espace.
Qui veut utiliser Scout ?
Décidée à concevoir et lancer son premier satellite, l'Italie est la première à approcher la NASA dès 1961. Depuis la Sardaigne, l'armée de l'air italienne (AMI) avait en effet déjà collaboré avec des fusées suborbitales américaines pour des expériences scientifiques. À peine plus de 3 ans après le début de la « course à l'espace », les autorités savent qu'elles n'ont pas les moyens techniques pour un grand programme de fusées. Naît alors l'idée d'une collaboration, sachant que les Italiens veulent acquérir des compétences et opérer un site de lancement qui leur sera propre.
Les accords sont noués rapidement (puis formalisés en 1962) avec la NASA, qui peut proposer Scout, lanceur civil, sans avoir à passer par une commission de la défense. C'est le début du programme San Marco, qui donne lieu à une plateforme maritime au Broglio Space Center, sur les côtes du Kenya. Néanmoins, un premier satellite italien, San Marco 1, décolle dès le 15 décembre 1964 depuis le site de Wallops. L'Italie devient la quatrième nation à posséder un satellite en orbite, après les États-Unis, l'URSS et le Royaume-Uni. Ce dernier a profité de sa « relation particulière » avec les États-Unis pour préparer et envoyer ses propres unités Ariel avec l'aide de Scout, une fois de plus.
Le Franco-Scout, le meilleur Scout ?
Saviez-vous que Scout a bien failli envoyer le premier satellite français en orbite ? Il s'agit même du premier satellite scientifique de notre pays, conçu par le CNES (Astérix, le premier satellite, a quant à lui été conçu par la SEREB), et il s'appelait FR-1.
Le décollage réussi de la fusée française Diamant A à Hammaguir est suivi seulement 10 jours après par celui de Scout avec FR-1, depuis le site de Vandenberg. La France ne sera pas la plus grande « cliente » des États-Unis avec cette fusée proposée dans tout le monde occidental, mais elle a aussi profité du service. C'est également le cas des Pays-Bas, qui envoient leur premier satellite avec Scout, ainsi que de l'Europe spatiale. Partiellement ancêtre de l'ESA, l'ESRO (European Space Research Organisation) a aussi volé avec le prolifique petit lanceur américain.
Ce n'est pas encore l'avènement du spatial commercial tel qu'on le connaît aujourd'hui. Il est alors trop tôt, et ce sont les États, et non les entreprises, qui négocient les prestations de lancement. Mais Scout, pour petit et efficace qu'il soit, préfigure déjà le souhait des Américains de mettre à disposition l'orbite comme un service, et non comme un outil uniquement à la disposition de l'agence nationale et des militaires. Son usage baissera au fil des décennies, mais Scout décollera jusqu'à 1994, avec un total de 125 lancements et 118 succès autour du monde. Pas mal, pour une fusée dont la conception remontait à 1956…