Saliout 6 vue de l'orbite © URSS / N.A.
Saliout 6 vue de l'orbite © URSS / N.A.

Aujourd'hui, le planning routinier de la Station spatiale internationale laisse penser que ce fonctionnement va de soi. Mais au tournant des années 80, les missions longues ainsi que les rotations d'équipages et de véhicules en sont à leurs débuts. Avec Saliout 6, l'URSS dispose d'un laboratoire unique en orbite !

Un savoir-faire que les États-Unis convoiteront pendant longtemps.

Saliout 6, base de vie à l'année

Au printemps 1980, cela fait déjà deux ans et demi que l'Union soviétique utilise sa station spatiale Saliout 6, la première d'un genre nouveau. Cette dernière peut accueillir deux véhicules différents (les capsules Soyouz et les cargos Progress), rehausser son orbite et héberger des équipages de deux cosmonautes pour de très longues durées. Autant d'exploits humains et techniques que les États-Unis, empêtrés dans les retards de leur navette spatiale (elle ne volera qu'en 1981), ne peuvent que regarder de loin.

Surtout, les déboires de la décennie de 1970 ont l'air définitivement derrière l'URSS spatiale. Terminé les stations qui ne fonctionnent pas, les pannes du système d'amarrage de Soyouz ou les accidents dramatiques. Pour la première fois, Saliout 6 est une station spatiale qui fonctionne, longtemps et avec fiabilité. Mais alors, à quoi ça ressemblait, une année dans la station soviétique ?

Saliout 6 peut avoir un véhicule de chaque côté, un à l'avant et l'autre à l'arrière © URSS / N.A
Saliout 6 peut avoir un véhicule de chaque côté, un à l'avant et l'autre à l'arrière © URSS / N.A

Personne à bord !

D'abord, une chose dont on n'a plus l'habitude aujourd'hui : la station Saliout 6 pouvait rester inhabitée durant plusieurs mois. Ainsi, du 19 août 1979 jusqu'au 10 avril 1980, il n'y avait strictement personne à l'intérieur de l'énorme module habitable. Mais c'est aussi une prouesse soviétique que d'avoir à l'époque un véhicule qui se pilote à distance avec autant et même plus de contrôle que sur un satellite classique.

Les indications sont nombreuses, de la qualité de l'air à la pression intérieure, en passant par la charge électrique des différents compartiments intérieurs ou le taux d'humidité. Mieux, comme l'URSS gère des véhicules semi-automatisés, elle peut s'occuper du ravitaillement sans astronautes dans la station. Fin mars 1980, le cargo Progress 8 décolle donc de Baïkonour et s'amarre deux jours plus tard à Saliout 6, même s'il n'y a personne à bord pour s'occuper des 2,5 tonnes de fret.

Préparer l'arrivée des « résidents »

La première mission de l'année 1980, comme ce fut d'ailleurs le cas en 1979, embarque deux cosmonautes qui vont former l'équipage « résident », c'est-à-dire qu'ils vont être à bord le plus longtemps, et resteront pour gérer à la fois la station et les cargos. À deux, ils réalisent aussi quelques expériences scientifiques, mais en gros, ils sont plutôt le personnel navigant, ils vont faire en sorte que Saliout 6 puisse poursuivre sa mission et rester habitable.

Leur tâche consiste aussi à accueillir des équipages qui, eux, vont rester seulement une semaine et qui auront des expériences à valider, des activités scientifiques, etc. Pour ce rôle important et de longue durée, il y a en général au moins un cosmonaute expérimenté à bord de Soyouz. L'équipage de Soyouz 35, qui se prépare pour son vol en avril, est composé de Valentin Lebedev et Leonid Popov, qui n'a jamais volé à ce moment-là, mais cumule déjà une décennie depuis sa sélection, avec de multiples entraînements.

Les deux membres de Soyouz 35, souriants, alors qu'ils passent pour la première fois 6 mois en orbite © URSS / N.A par spacefacts.de

Manque de chance, Lebedev est victime de l'un des accidents les plus bêtes de toute l'épopée spatiale et se blesse au genou en faisant… du trampoline. Comme il doit être opéré, il lui faut un remplaçant. Mais le bureau des cosmonautes est face à un problème : idéalement, ils ont besoin de quelqu'un d'expérimenté. Exceptionnellement, ils vont donc demander à Valery Ryumin de retourner dans Saliout 6, ce qui est absolument sans précédent.

En effet, Ryumin est celui qui a fermé le dernier l'écoutille de la station le 19 août 1979. Il venait déjà d'y passer 175 jours d'affilée, battant un record. Qu'importe, cela fera un gros titre supplémentaire et donnera beaucoup d'informations aux médecins soviétiques pour si un jour, les missions longues se multiplient. Après quelques jours à Baïkonour, la fusée avec ses deux passagers décolle et emmène Soyouz 35 sur la bonne trajectoire. Le 10 avril 1980, ils pénètrent dans Saliout 6.

Un début de mission très chargé

Pourtant, la station n'est pas tout à fait comme Valery Ryumin l'avait laissée. Deux hublots sont obscurcis, et les cosmonautes repèrent des impacts de micrométéorites ou de débris sur le verre extérieur. À l'intérieur, il faut changer le « vieil air » en le purgeant et en utilisant des bouteilles arrivées au sein du cargo Progress.

Les deux occupants ont rapidement établi le bilan et se mettent immédiatement au travail pour rendre à nouveau la station complètement habitable. Pour l'époque, cela nécessite un peu plus d'un tour de main ! Il faut changer des équipements, remplacer des batteries, intégrer un nouveau programme avec l'horaire de l'ordinateur de bord synchronisé avec le sol, etc. Le 25 avril, Progress 8 est désamarré, rempli des poubelles de la station et des équipements remplacés, pour qu'il se désintègre dans l'atmosphère. Mais les deux cosmonautes n'en ont pas terminé avec l'intendance, puisque le 27 avril, c'est Progress 9 qui décolle, et c'est reparti pour 2,5 tonnes de rangement !

À l'heure des visites

En mai, il y a un peu de temps pour des expériences à bord, qui tournent beaucoup autour des nouveaux matériaux : des polymères, de l'assemblage avec de la mousse de polyuréthane, des cycles de fonte de matériaux dans un four pour observer les changements de structure… Puis, le 25 mai, une fois le cargo Progress reparti (une fois encore, pour être désorbité, et donc désintégré), c'est l'heure de la première visite, avec la mission Soyouz 36. Il s'agit d'une mission de courte durée d'une semaine, qui faisait partie du programme d'échanges avec les « nations communistes alliées », Intercosmos.

À bord se trouvaient donc un cosmonaute expérimenté (en l'occurrence, Valeri Kubasov) et le tout premier Hongrois à partir pour l'orbite, Bertalan Farkas. Ils restent 7 jours et repartent… dans la capsule des deux cosmonautes résidents ! En effet, lors des missions longues dans Saliout 6, mais aussi plus tard dans Saliout 7 et Mir, les équipages restent plus longtemps en orbite que leurs capsules, il y a donc un jeu de chaises musicales entre les véhicules qui arrivent et repartent. Dès leurs collègues revenus sur Terre, Ryumin et Popov installent leurs affaires dans la capsule, et font le tour de la station pour la réamarrer de l'autre côté (il y a une écoutille pour les permanents, et une autre qui sert aux visites).

Presque la première Soyouz avec des panneaux en une décennie © URSS / N.A par Spacefacts.de

Le 5 juin, soit à peine quelques jours plus tard, une autre capsule Soyouz décolle de Baïkonour et rejoint à son tour Saliout 6. Mais cette mission n'est ni destinée à l'équipage résident ni au programme Intercosmos. Elle teste un nouveau modèle de capsule Soyouz, la version « T ». Cette dernière est pleine de promesses, avec à nouveau des panneaux solaires (ce qui offre une plus grande autonomie), et surtout, de la place pour trois cosmonautes et leurs combinaisons, alors que depuis 1971, les missions sont menées à deux.

Pour des raisons de sécurité, cette mission de test « T2 » n'embarque que deux membres d'équipage et ne vise qu'à tester les fonctions principales de la capsule, notamment l'amarrage. Tout se passe relativement bien, même s'il faut passer en manuel pour les manœuvres finales. Les cosmonautes ne resteront que deux jours avec l'équipage résident, qui se retrouve à nouveau seul le 9 juin.

Des pannes et du temps long

Valery Ryumin et Leonid Popov restent donc dans Saliout 6, avec l'un pour l'autre comme seule compagnie durant un mois et demi supplémentaire. En plus de quelques expériences scientifiques, ils vont faire face à quelques pannes et remplacements qui vont leur demander du temps, par exemple celui de leur tapis de course qu'il faut réparer rapidement, car les médecins soviétiques l'ont bien constaté, la clé d'une récupération active après un vol spatial long peut reposer en grande partie sur l'activité musculaire.

Début juillet, un nouveau cargo Progress s'amarre à la station, le troisième en quatre mois. Les deux cosmonautes ont trois semaines pour s'occuper de la cargaison avant son départ le 19. Le même jour, ils ont une belle représentation publique, puisqu'ils font la déclaration d'ouverture des Jeux olympiques de Moscou en début de soirée. Le 24 juillet, une nouvelle semaine commence avec des visiteurs, à nouveau pour une mission courte Intercosmos (et le premier cosmonaute vietnamien, Pham Tuan). Comme leurs prédécesseurs, ils laissent leur capsule toute neuve à l'équipage résident et retournent sur Terre après 7 jours.

Les visites sont des moments importants, pour la diplomatie sur Terre, mais aussi pour l'équipage de deux résidents © URSS / N.A. par Spacefacts.de

Marathon spatial pour l'époque !

Il reste presque deux mois et demi de mission à Valery Ryumin et Leonid Popov avant de pouvoir rentrer sur Terre. Ils passent le mois d'août seuls, puis préparent en septembre l'arrivée d'une quatrième visite, avec une fois encore, un duo de cosmonautes d'Intercosmos (avec Arnaldo Tamayo Méndez, premier Cubain à aller en orbite). La semaine ensemble à quatre sera très chargée, avec de nombreuses expériences, et le 26 septembre, lorsque les visiteurs s'en vont, la très longue mission des deux résidents touche doucement à sa fin. Un véritable record pour l'époque, avec quasiment 185 jours passés en orbite, au moment de leur rentrée sur Terre le 11 octobre 1980.

Ainsi, durant une seule longue mission avec deux cosmonautes résidents, l'URSS a réussi à envoyer 4 missions courtes sur sa station spatiale, dont un véhicule de test. Mieux, à la fin de l'année 1980, l'Union soviétique a testé une nouvelle capsule Soyouz T, avec trois cosmonautes, qui s'est amarrée « en bonus » à la fin du mois de novembre à Saliout 6. Une gestion d'un grand nombre de missions absolument impressionnante !