Que diriez-vous d'adopter un androïde ? Ces être cybernétiques ont tout pour plaire : ils ne se plaignent jamais, suivent les ordres à la lettre et sont incapables de faire du mal à un humain. Aucun souci à vous faire, la marchandise est sûre. Enfin, la plupart du temps...
Nous nous donnons 5 citations et 5 paragraphes pour vous convaincre.
Kappa 16 (2020)
Neil JomunsiChers lecteurs, je dois vous confesser quelque chose : je choisis souvent mes lectures au pifomètre. Je n'ai pas de maison d'édition préférée. Je suis rarement de près l'actualité des sorties. En bref, je me contente de voguer au grès des vagues incertaines de l'espace-temps !
Toutefois, il y a quelques années de cela, j'ai fait une entorse à mon non règlement. Je suis devenu accro aux productions d'une petite maison d'édition indépendante nommée Walrus. Dirigée par Neil Jomunsi - alias Julien Simon - elle a fait émerger dans mon quotidien des romans pulp qui sont vite devenus chers à mon cœur. Dino Hunter et Toxic, dont je vous parlais précédemment, en font partie.
Walrus a malheureusement fermé ses portes, mais Neil Jomunsi, lui, n'a pas abandonné l'écriture. L'auteur français s'y est même remis de plus belle, rééditant ses séries et nouvelles phares, dont l'inénarrable Jésus contre Hitler.
Aujourd'hui, je tenais donc à vous présenter Kappa16, l'une des meilleures novellas rescapées de la glorieuse épopée Walrus. Un petit hommage, à mon humble façon. Tu nous manques, petit morse...
« Bonjour. Je suis Kappa16©, votre nouveau robot de compagnie »
XXIIème siècle. La robotique a fait des avancées fulgurantes. Les robots intelligents ne sont plus un mythe, mais bien la réalité tangible de millions de personnes à travers le vaste monde. Enoch est l'un d'eux, un modèle Kappa de 16ème génération conçu par la société Symbio. Pas aussi évolué et « humain » que la série 17, il n'en reste pas moins une petite merveille d'ingénierie.Ce sont ses aventures, au sein de sa nouvelle famille, que nous allons suivre. À l'instar du Déchronologue, le récit de Neil Jomunsi est volontairement décousu. Je vous rassure quand même, il est plus simple de suivre l'enchaînement des événements : le bouquin ne fait qu'une centaine de pages. L'ensemble est présenté comme une succession d'enregistrements, un peu comme une sorte de journal intime version 2.0.
L'aventure commence ainsi par la fuite du robot. Celui-ci a enfreint les sacro-saintes Lois de la Robotique et provoqué un événement grave. Lequel ? Haha, vous pensiez vraiment que j'allais vous le dire ? Je serai muet comme un androïde en fin de batterie !
« < ? ; Listen "... Nous allons te présenter Saul." ; ? > »
Acheté d'occasion, Enoch va vite découvrir sa nouvelle famille d'accueil : Tomas, Claire, Henri et Saul. La famille de classe moyenne est typique du futur, mais pas si éloignée de nous, à bien y réfléchir.Notre brave robot va ici devoir remplacer un humain pour une tâche très particulière, à savoir s'occuper du petit Saul. Le jeune garçon souffre en effet d'une forme sévère d'autisme. Ses parents sont à bout, le corps médical a abandonné l'affaire, bref c'est loin d'être la joie au domicile des berlinois du XXIIème siècle...
Neil adopte, dès le début de la novella, une écriture qui séduit. Certaines parties sont écrites en code informatique afin de nous immerger au mieux dans le cerveau électronique d'Enoch. C'est surprenant mais diablement efficace. On en oublie même vite qu'il n'est qu'une machine. Il faut dire que la robotique est maintenant à un stade incroyablement avancé. Alexa, Siri et Google Assistant ? Mais c'est de la préhistoire ma petite dame !
Toutefois, si on se rapproche plus des androïdes rencontrés dans l'excellent film iRobot, force est de constater que le comportement humain, lui, n'a pas changé en plusieurs générations. C'est bien simple : les robots provoquent, au mieux de la curiosité, au pire de la colère et du dégoût. Il faut croire que l'évolution a du mal à toucher les humains eux-mêmes...
« Claire ne doit rien savoir »
Les premiers pas d'Enoch dans sa nouvelle maison se font plus ou moins bien. Ses programmes lui permettent de gérer au mieux les crises de Saul. Véritable merveille de technologie, l'androïde arrive à établir un semblant de complicité avec l'enfant autiste. Malheureusement, il n'en va pas de même avec les parents...Claire, qui est embourbée dans une dépression depuis des années, repousse tout contact visuel, verbal ou physique avec le robot. Mais face au comportement de Tomas, cela semble presque bénin. Disons-le franchement, le père est une vraie ordure. Alcoolique et violent, il bat sa femme et assouvit ses pires pulsions sexuelles avec Enoch. Le sort de sa famille lui importe peu.
C'est d'ailleurs là toute la force de cette novella : le robot semble finalement le plus humain d'entre tous. Tomas est un vrai monstre qui semble avoir perdu toute rationalité, et on a juste envie de le tartiner de baffes à chacune de ses interventions. Neil Jomunsi parvient ainsi à faire éclore chez ses lecteurs un véritable attachement à l'androïde, cette machine qui semble finalement nous surpasser, de si loin...
« Ce qui se rapproche le plus du concept d'âme dans le #Shinto s'appelle ''tama'' ou ''mitama'' »
Vous l'aurez compris, Enoch est loin d'être tombé dans une famille de rêve. Cela n'empêche pas notre androïde d'assurer sa tâche de façon détachée, sans jamais se plaindre. Il faut dire qu'il est soumis aux fameuses Lois de la Robotique, véritable clin d'œil au vénérable Asimov et ses Robots. Enfin, ça, c'est jusqu'à ce que le père effectue un piratage du système et fasse sauter les limitations d'Enoch, ce qui mènera à la fuite de l'androïde et à un événement dramatique... Quand je vous dis que ce type mérite des baffes !Mais je m'égare. Tout n'est pas sombre dans Kappa 16, loin de là. Vivre, durant une centaine de pages, dans la tête d'un robot hyper-évolué est finalement très plaisant, car Enoch est un véritable poète. L'IA qu'il utilise lui confère une perception particulière de la vie, qui puise à de nombreuse reprises dans les fondements du shintoïsme.
Je ne sais pas si Neil Jomunsi est passionné par la culture japonaise ou s'il a fait de solides recherches à ce sujet, mais une chose est certaine : ça fonctionne diablement bien dans son bouquin. Les nombreuses références au Japon apportent un aspect poétique au texte, et viennent casser le côté bestial et instinctif de Tomas. Enoch devient ainsi une véritable antithèse de la grosse brute qui terrorise Claire. La machine sensée être vide, apporte finalement plus au genre humain que n'importe qui. C'est tout simplement beau.
« Je suis désolé, Saul »
La boucle est bouclée. La fuite d'Enoch en début de roman trouve son explication dans les dernières pages. La mise en place du drame est pourtant le fruit des actions des humains, surtout de cette tête à baffes de Tomas - oui, je déteste viscéralement ce personnage - et Claire dont les mots dépassent les pensées. La perfection de la machine est une fois de plus entachée par ses créateurs.Malgré tout, Enoch s'en tire bien. Je ne vous divulguerai pas le final - pas la peine d'insister ! - à vous le plaisir de la découverte. Je vous recommande juste de dévorer cette petite pépite. Neil Jomunsi abandonne ici le style très caricatural de Jésus contre Hitler pour nous livrer une novella touchante qui ne devrait pas vous laisser indifférent.
La formule fonctionne à merveille et confirme que les auteurs indépendants ont un énorme talent à revendre. Après Kappa16, foncez sur les autres productions de Neil, elles valent le coup d'œil. Sur ce, je vous laisse, je vais m'éclater à voir Jésus botter le train des nazis zombies. À la prochaine !