La société française, qui veut faire renaître l'Aérotrain cher à Jean Bertin, développe sa navette concurrente de l'Hyperloop avec l'avantage de présenter une facture bien plus légère que celles de ses nombreux concurrents.
Ce n'est pas un avion, ni un quelconque autre appareil issu de l'aéronautique. Pourtant, Spacetrain pourrait bien représenter une alternative à un mode de transport qui doit se réinventer pour affronter les contraintes écologiques et environnementales. La société française développe sa propre navette autonome basée sur la technologie Hyperloop, à l'initiative de l'entrepreneur Emeuric Gleizes. Pour aborder son développement d'un point de vue technique et discuter de sa potentielle mise en service dans les prochaines années dans l'Hexagone, nous sommes allés à la rencontre de Thomas Bernin, directeur Stratégie et développement de l'entreprise, à l'occasion du Salon du Bourget 2019.
Interview de Thomas Bernin, directeur stratégie et développement Spacetrain
Clubic : Que représente concrètement Spacetrain ?Thomas Berning : Spacetrain est une navette montée sur des coussins d'air qui circulent en sustentation à deux millimètres du sol, propulsée par des moteurs linéaires à induction, et qui est alimentée par de l'hydrogène, ce qui fait qu'il y a zéro émission. La navette circule à 500 km/h ; elle est idéale sur les trajets interurbains entre les métropoles et les villes moyennes par exemple.
Sur quels trajets peut-on imaginer voir circuler Spacetrain ?
Cela peut très bien être sur des trajets comme Orléans-Paris, que l'on parcourrait en 15 minutes, où Le Havre-Paris en 30 minutes.
« Les systèmes électriques de la navette sont alimentés en énergie par de l'hydrogène stocké à l'arrière du véhicule »
Quel est le rapport vitesse/trajet ?
Cette vitesse moyenne de 400-500 km/h que l'on promet, nous pourrons l'atteindre assez facilement, par exemple sur un trajet type de 50 à 60 kilomètres.
Concernant l'alimentation énergétique, vous avez parlé d'une alimentation par hydrogène, avec aucune émission...
Tous les systèmes électriques de la navette sont alimentés en énergie par de l'hydrogène stocké à l'arrière du véhicule, qui va passer dans une pile à hydrogène pour être transformé en énergie, et donc alimenter tous les systèmes.
La capacité de stockage en hydrogène de cette navette permettrait de parcourir 600 kilomètres, et c'est pour cela que l'on privilégiera les tracés de 300 kilomètres, de façon à faire au moins un aller-retour sans recharger.
Peut-on se projeter et déjà imaginer que la navette fasse, admettons, un trajet de 500 kilomètres, qu'elle fasse le plein et qu'elle reparte dans la foulée ?
Oui, on peut effectivement imaginer faire le plein à mi-parcours.
« Notre infrastructure est moins coûteuse au développement et à l'entretien par rapport aux autres »
Le coût que vous annoncez pour un kilomètre est de l'ordre de 8 à 10 millions d'euros, ce qui est jusqu'à 10 voire 15 fois plus faible que le coût d'autres navettes Hyperloop.
Cette différence s'explique par le fait que l'infrastructure est passive. Celle d'un TGV achemine l'énergie dans le train, avec des caténaires qui sont aussi complexes qu'onéreux. Il y a aussi tout un tas d'autres composants sur le rail d'une ligne à grande vitesse qui font que cette solution est très chère, puisqu'on l'estime à 20, voire 25 millions d'euros par kilomètre. Sur les projets hyperloop, l'infrastructure est aussi très complexe. Il s'agit de refroidir un tube, d'assurer l'étanchéité de ce tube aussi, cela consomme énormément d'énergie.
Chez nous, la sustentation se fait par un système de coussins d'air, ce n'est donc pas le monorail qui implique la sustentation et l'énergie est embarquée dans la navette. Du coup, l'infrastructure est dite "passive", elle sert simplement de support et de guidage. Elle est ainsi moins coûteuse au développement et à l'entretien par rapport aux autres.
Quand pourrez-vous mettre en service une navette Spacetrain ?
Pour l'instant, nous estimons que la mise en service sera possible en 2025. Cela va dépendre du rythme auquel nous allons lever les fonds dont nous avons besoin pour franchir les différentes étapes de réalisation du projet. À ce stade, il s'agit de mettre en place des protocoles de test et de doubler nos effectifs en renforçant nos équipes de certaines expertises, comme des responsables simulation. Demain, nous passerons à une phase en environnement réel.
« Des navettes de 60 à 250 passagers »
Combien de passagers une navette Spacetrain pourra-t-elle accueillir ?
Nous avons une navette de 60 passagers. Une autre peut en accueillir 140 et une dernière, à étages, a une capacité de 250 passagers.
Au niveau des infrastructures, la France est-elle suffisamment équipée selon vous ?
La filière hydrogène, en France, doit encore faire des efforts pour que ce type de transport puisse faire partie du quotidien des usagers. Mais on parle beaucoup de trains à hydrogène, notamment en Allemagne.
Où en est l'attribution du Monorail de Saran ? Comment ça se passe avec la Région Centre-Val de Loire ?
En fait, le dossier est plus entre les mains de l'État qu'entre celles de la Région, c'est-à-dire que le Monorail de Saran est un édifice public qui appartient à l'État, donc c'est ce dernier qui est décisionnaire là-dessus. Le projet que nous portons autour du monorail leur plaît beaucoup, de même qu'aux autorités locales. Cependant, cela ne fait pas tout et il y aura une procédure à suivre pour qu'il puisse nous être attribué. Nous devrions avoir une réponse définitive d'ici la fin de l'année, normalement.
Si la réponse est positive, il y aura une phase de travaux que l'on estime à une année au grand maximum. Même si le monorail est en bon état, quelques éléments sont à changer. Maintenant, le béton a très bien vieilli et pourrait être réutilisé quasiment tel quel, donc les travaux seront assez rapides. Nous pourrions estimer et voir un premier prototype fonctionner sur ce monorail là à l'horizon 2021.
La circulation se fait grâce à des coussins d'air. Comment cela fonctionne ?
À l'intérieur de la navette, il y a des moto-ventilateurs qui vont remplir les caissons d'air, avec de l'air qui va être compressé puis expulsé directement contre le monorail ; c'est ce qui va créer un filet d'air de deux millimètres et donc empêcher quasiment tout frottement, avec une consommation énergétique maîtrisée.
Dans le cas où la météo viendrait à être défavorable, la navette pourra-t-elle circuler ?
En cas de météo défavorable, les coussins d'air fonctionnent normalement. L'un des objets, et l'un des intérêts de ces années de tests, est de déterminer quelles vont être les contraintes environnementales et surtout, comment le système autonome qui se trouve dans la navette va impacter la circulation en fonction de ces contraintes. Nous savons également qu'à partir d'une certaine vitesse, le rôle des coussins d'air est amoindri et la consommation diminue, puisqu'une portance se fait automatiquement.
« Nous avons besoin de lever des fonds maintenant, pour finir cette phase de prototypage »
Les risques de déraillement sont-ils réellement atténués avec l'Hyperloop ?
Cette architecture de rail, qui est un T inversé, dans lequel la navette est coincée, empêche les déraillements. On ne peut donc pas parler de déraillement comme pour la roue du TGV.
Au niveau du financement, pour l'instant, vous fonctionnez sur des fonds propres ?
Oui, tout à fait, mais comme nous sommes un bureau d'études, nous arrivons à englober une partie de ce que l'on dépense dans le crédit d'impôt recherche. Nous faisons également du sponsoring avec des marques comme Dassault Systèmes ou Air Liquide, qui mettent à notre disposition des fournitures qu'on ne pourrait pas acquérir en restant seuls. Malgré tout nous avons besoin de lever des fonds maintenant, pour finir cette phase de prototypage. Le prototype est prêt, mais il faut l'infrastructure, ne serait-ce que quelques dizaines de mètres.
Sur le long terme et pour aller jusqu'à la phase de commercialisation, il nous faudrait 40 millions d'euros. C'est une somme très importante mais qui nous paraît possible à réunir lorsque l'on voit comme ce projet fédère, et quelles valeurs et bonnes énergies il véhicule.
Des députés français proposent de supprimer certains vols français doublés par une ligne de train. C'est une réelle opportunité pour vous...
Les vols courts courriers sont, typiquement, un de nos concurrents. À l'échelle européenne, on tend à supprimer les vols intérieurs. C'est le genre de trajets qui pourraient être assurés par des navettes Spacetrain.
Merci Thomas pour votre temps.
Merci à vous.