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Malgré son revêtement sombre, le satellite DarkSat de SpaceX cause une pollution lumineuse gênante pour les astronomes ; la solution se trouverait-elle du côté de VisorSat, satellite muni d'un pare-soleil ?

C’est une critique récurrente adressée au projet Starlink de SpaceX depuis le lancement de ses 60 premiers satellites en mai 2019 : sa constellation engendre une pollution lumineuse néfaste. Si Elon Musk la qualifie de négligeable, tout le monde ne partage pas son avis, à commencer par les astronomes. Avec désormais plus de 600 satellites déployés, rejoints par de nouvelles grappes presque chaque mois, une solution doit rapidement être trouvée.

Un problème qui va grandissant

Littéralement, tous ces engins, situés pour la plupart à 550 km d'altitude, sont accusés par les astronomes de perturber leur travail. De fait, l’ESO estimait en mars dernier que 3 % des observations du Very Large Telescope (VLT) pourraient être impactées par Starlink ; en ce qui concerne le télescope à large champ Vera Rubin (LSST), 30 à 50 % de son activité serait altérée par les satellites.

Une situation problématique pour Meredith Rawls, astronome à l’Université de Washington qui travaille sur le télescope Vera Rubin. Celui-ci, qui sera finalisé en 2021, aura pour mission de capturer des images panoramiques notamment utilisées pour les recherches sur la matière noire et l’énergie sombre, l’identification de phénomènes astrophysiques rares ou plus prosaïquement la cartographie des astéroïdes. Or, les satellites Starlink risquent d'entraver son activité : « Cela crée beaucoup d'erreurs systémiques... Et cause pas mal de gâchis », estime Meredith Rawls.

Toutefois, la communauté scientifique semble désormais bien décidée à s’attaquer sérieusement au problème. En août, la National Science Foundation (NSF) et l'American Astronomical Society (AAS) ont publié un rapport sur la situation, proposant dix pistes à exploiter pour minimiser les perturbations. Le rapport se base sur les analyses de plus de 250 experts dans le cadre de l’atelier SATCON1, lequel a réuni pour la première fois astronomes et opérateurs de constellations de satellites.

60 satellites Starlink parés au lancement
60 satellites Starlink parés au lancement

Parmi les solutions évoquées, on relève des méthodes d'obscurcissement, le déploiement des satellites sur des orbites inférieures à 600 kilomètres afin de minimiser l’éblouissement nocturne qu’ils causent ou encore l’ajustement de leur orientation par rapport au Soleil pour les rendre moins réfléchissants. Les opérateurs sont également invités à rendre accessible leurs informations orbitales aux astronomes pour que ces derniers puissent adapter leurs recherches.

De fait, en dépit des déclarations d’Elon Musk, la société SpaceX est consciente du problème. Elle a déjà mis en place diverses solutions pour y remédier, parmi lesquelles peindre les satellites avec une peinture sombre ou les équiper d'un « pare-soleil ». Tout cela, dans le but de les rendre moins lumineux et donc moins dérangeants pour les observateurs.

DarkSat : visible malgré son revêtement sombre

Ainsi, en début d’année, Sarlink a déployé un prototype de satellite d’un genre nouveau, baptisé DarkSat. Sa particularité : un revêtement noir antireflet. Ainsi peinturluré, il serait deux fois moins lumineux qu’un satellite Starlink basique, selon une étude menée par Jérémy Tregloan-Reed, astronome à l'université d'Antofagasta au Chili.

Selon le chercheur, cette avancée est prometteuse mais loin d’être suffisante. Il ne considère pas DarkSat « comme une victoire mais plutôt comme un bon pas dans la bonne direction ». En effet, si DarkSat est bien invisible à l’œil nu, il se révèle toujours incommodant pour un télescope de 0,6 mètre de diamètre.

En revanche, Jonathan McDowell, chercheur au Centre d'astrophysique de l'Université de Harvard et à la Smithsonian Institution, est nettement moins conciliant. Il salue l’étude réalisée par l’équipe de Tregloan-Reed, qu’il qualifie de « remarquable » puisque « l’une des premières études d’observation significatives d’un satellite Starlink ». Cependant, il estime que les résultats obtenus prouvent que DarkSat est une « impasse ». Il avertit de surcroît que si les satellites continuent d'être lancés sans que ce problème de pollution lumineuse ne soit réglé, « l'impact sera énorme ».

L’autre solution de SpaceX : VisorSat, le satellite muni d’un pare-soleil

Une autre voie explorée par SpaceX s’appuie, comme mentionnée plus haut, sur l’utilisation d’un pare-soleil. La société d’Elon Musk a lancé un premier prototype, nommé « VisorSat », en juin dernier.

Pour l’instant, en raison de la pandémie de coronavirus, les astronomes n’ont pas eu l’occasion de mener une étude approfondie sur VisorSat. Ils s’y attelleront dès que possible, lorsque de nombreux observatoires, actuellement fermés, rouvriront.

De son côté, SpaceX semble miser sur cette solution. En effet, sans même attendre les premiers résultats, tous les satellites déployés par la firme depuis mi-juin sont de type VisorSat.

La bonne entente, clé du succès

Dans tous les cas, sachant qu’à terme, la flotte de SpaceX pourrait atteindre 12 000, voire 42 000 appareils, et que d’autres entreprises envisagent elles aussi de lancer leur propre constellation de satellites - parmi lesquelles Amazon avec son projet Kuiper basé sur 3 236 engins ou encore OneWeb et ses 2 000 machines - la pollution lumineuse risque de devenir problématique si aucune solution viable n’est trouvée d’ici là.

Comme le souligne Meredith Rawls, il y a urgence : « Cela ne fera que s'accélérer. Et c'est un phénomène à long terme. Il s'agit de savoir quel genre de ciel vous voulez pour vos petits-enfants ». La chercheuse redoute l’attitude d’entreprises guère conciliantes, peu soucieuses de trouver des compromis avec les astronomes.

Le rapport de la NSF et de l’AAS est en tout cas un premier pas prometteur. De son côté, SpaceX fait, apparemment, preuve de bonne volonté. Un état d’esprit salué par Tregloan-Reed, qui estime que « le développement de DarkSat et du nouveau VisorSat montre que Starlink semble se consacrer à l'atténuation de l'impact lumineux ».

Comme Meredith Rawls, Patrick McCarthy, directeur du NOIRLab de la NSF, salue l’esprit de collaboration qui a permis le bon déroulement de SATCON1 et « espère que la collégialité et l'esprit de partenariat entre les astronomes et les opérateurs de satellites commerciaux se développeront ... Et que cela continuera à se révéler utile et productif ».

On verra dans les prochains mois si toutes ces bonnes volontés accouchent d’actes concrets. Quant à SATCON2, l'atelier se tiendra début ou mi-2021 et apportera, peut-être lui aussi, son lot de préconisations.