Du lapin connecté Nabaztag à Sen.se, quel est le cheminement de votre évolution ?
Rafi Haladjian : En 2003, avec Nabaztag, le plus important pour nous c'était de connecter les objets, c'était l'objectif de la société Violet. Le Nabaztag était une espèce de symbole qui signifiait : si vous pouvez connecter quelque chose d'aussi absurde qu'un lapin alors vous pouvez tout connecter. C'était une démonstration par l'absurde.
Quelle est votre définition de l'Internet des objets ?
On nous demandait souvent la raison pour laquelle les objets doivent être connectés et finalement ce n'est pas la bonne question à se poser. Que tous les objets soient connectés, c'est une évidence et ce n'est pas le plus important. Ce qui est intéressant c'est de savoir ce qu'il se passe lorsque ces objets sont connectés et la manière de les utiliser.
Qu'apporte alors cette connectivité ?
Aujourd'hui pour entrer ou recevoir des données vous allez vous placer devant un appareil spécialisé comme un ordinateur ou un smartphone puis demander à ce que l'on vous fournisse l'information désirée. L'enregistrement ou la captation de cette information se fait hors contexte. Typiquement vous courez, et une fois que vous avez fini vous prenez votre smartphone et vous dites : « aujourd'hui j'ai couru 20 minutes à une intensité moyenne ».
Le problème de ce modèle c'est que vous n'obtenez que les informations que les gens veulent bien vous communiquer. Aussi ces personnes doivent être motivées pour vous apporter l'information et celle-ci est en plus interprétée, en l'occurrence le degré de l'intensité est ici subjectif.
Avec FitBit par exemple nous avons un mécanisme de captation de données en temps réel. Finalement j'aurais davantage d'informations, lesquelles seront objectives.
Et ces données à quoi serviront-elles ?
La révolution est véritablement dans l'intelligence et la qualité des données captées. Elles nous permettent de concevoir des systèmes de plus en plus intelligents avec une analyse plus fine. On va par exemple pouvoir chercher des solutions en faisant du crowd sourcing avec des données de comportement.
Il y a beaucoup de choses dans le domaine médical. Prenons par exemple des personnes âgées qui ne sont pas malades. On pourrait imaginer placer un capteur dans un fauteuil et mesurer le nombre de temps que la personne reste assise chaque jour. En soit ce n'est pas spectaculaire mais sur 2, 3 ou 4 ans vous allez voir l'évolution d'un sexagénaire dynamique qui vient de prendre sa retraite rester de plus en plus longtemps assis sur ce fauteuil, signe d'une vieillesse plus marquée.
On peut par exemple mesurer des choses toutes simples comme les ouvertures des portes de réfrigérateur. En plus de recevoir une alerte, l'utilisateur sera en mesure de discerner des insomnies ou une crise boulimie.
D'une certaines manière, cela implique aussi un changement des comportements de l'utilisateur...
Fondamentalement on va de moins en moins supporter de ne pas savoir ce qu'il s'est passé. Au début c'était une question d'accessibilité. Avant nous trouvions cela normal que les choses ne soient accessibles qu'à la maison. Aujourd'hui celles-ci doivent être disponibles n'importe où et tout le temps. Et puis avec Google et Wikipedia, on ne supporte pas que les choses soient méconnues. Il me suffit de regarder sur Google pour tout savoir. Il y a 15 ans lorsque j'envoyais un paquet, je ne connaissais pas forcément sa position. Aujourd'hui j'ai un numéro de suivi.
Tout doit être connaissable.
Et donc aujourd'hui nous disposons d'interfaces de programmation spécifiques avec Sen.se ?
Nous avons construit une plateforme qui est capable d'encaisser toutes sortes de données avec des outils de manipulation pour les envoyer vers des applications qui les traiteront et les stockeront selon les usages. C'est le socle de Sen.se.
Cette plateforme est commercialisée à des entreprises qui fabriquent des appareils et puis nous l'avons mis à disposition de tout le monde avec Open Sen.se. Les développeurs ou les designers peuvent s'amuser à tout connecter pour créer des usages et comprendre les manipulations des données d'un capteur ou réfléchir à une meilleure visualisation de ces dernières.
Actuellement nous développons des appareils qui permettront de collecter ce type de données de manière permanente.
Des appareils directement développés par Sen.se ?
Tout à fait.
Quand ces derniers seront-ils disponibles ?
C'est une question de mois. Nous sommes au début de la phase de fabrication.
Quels sont les usages récurrents de la plateforme Sen.se ?
La plupart des gens sur Sen.se mesurent soit la température soit la consommation d'énergie. Au début on s'interrogeait sur la pertinence de ces usages et puis il se trouve que les données d'un thermomètre sont très simples à récupérer. Finalement il faudrait concevoir les objets comme des thermomètres.
Sur le domaine de l'Internet des objets, comment se positionne la France ?
Je pense que nous sommes pas mal placés. Il doit y avoir 20 ou 30 sociétés qui fabriquent des objets communicants dans le monde, et il y en a cinq qui sont françaises. Quels sont les autres secteurs dans lesquels la France détient une part de marché de 25% ?
Je ne sais pas à quoi cela est dû. Non seulement nous ne sommes pas mauvais mais en plus ce ne sont pas des copies de produits américains. Dans le web aussi on a des choses pas mal mais le plus souvent il s'agit d'une adaptation régionale. Nabaztag était le père des objets communicants.
L'allocation d'une adresse IP à chaque objet, est-ce là un élément important selon vous ?
Non en fait au début nous pensions que c'était important et pendant un an et demi nous avons travaillé sur la norme 6LoWPAN qui permet l'utilisation de l'IPV6 à l'intérieur des micro-capteurs. Nous avons développé les premiers usages en 6LoWPAN. Et il y a un peu plus d'un an j'ai décidé de tout jeter parce que si c'est intéressant conceptuellement, dans la pratique, c'est autre chose. Par exemple une prise électrique disposait d'un serveur et n'importe qui ayant obtenu l'adresse de cette prise électrique pouvait la pinger pour l'allumer et l'éteindre à distance. Il fallait donc mettre un pare-feu pour empêcher l'accès... Donc finalement il est plus intéressant de rester en IPV4 avec un DHCP qui distribue des adresses.
Mettre une adresse IP dans chaque ampoule électrique, en pratique c'est assez absurde parce que les couches de sécurité qu'il faut rajouter pour revenir au même point qu'en IPV4 augmente les coûts.
Je vous remercie.