La « vidéosurveillance algorithmique », nourrie à l'IA, est à l'origine d'une polémique touchant la ville de Reims, qui collabore depuis 2021 avec le géant Thales pour surveiller ses citoyens… sans les en informer.
Dès 2021, à Reims, la police municipale a commencé à utiliser un algorithme vidéo qui, grâce à l'intelligence artificielle, permet une surveillance et une analyse du comportement des Rémois dans une ville où les caméras de surveillance sont légion. Nos confrères de StreetPress révèlent les contours de la collaboration entre la mairie et Thales Group, qui se livrent à une expérimentation à grande échelle, le tout dans le dos des citoyens.
Reims, une référence française de la vidéosurveillance algorithmique ?
Reims a adopté Savari, un bébé né de Thales Group. Mais de quoi parle-t-on ? Le géant français de la défense décrit Savari comme une solution qui utilise des algorithmes vidéo intelligents et le deep learning (ou « apprentissage profond », un sous-domaine de l'IA) pour des missions de surveillance, de supervision et d'analyse automatique de situations. Il peut s'agir d'un banal regroupement ou d'une intrusion.
Elle sert aussi à détecter, identifier et classifier les formes et les objets, comme les armes, en l'espace de quelques instants seulement. Cette vidéosurveillance intelligente est même capable de sévir dans le domaine routier, grâce à un système de lecture des plaques d'immatriculation qui lui permet notamment de verbaliser ceux qui ne paient pas leur stationnement.
Savari a donc séduit celui qui est à la tête de la cité des rois depuis près de 10 ans, Arnaud Robinet (du parti Horizons). Et cela tombe bien, car plus de 245 caméras de surveillance ont été installées dans l'agglomération (selon les chiffres communiqués en janvier 2023 par la mairie de Reims), venant s'ajouter aux 36 déjà en place. Un centre de surveillance urbain a même été inauguré en 2016 au sein de l'hôtel de police. Une vingtaine d'opérateurs y travailleraient nuit et jour, 7 jours sur 7. Au même titre que Marseille, Toulouse ou Nîmes, qui ont toutes passé des contrats avec des entreprises spécialisées, Reims expérimente la vidéosurveillance algorithmique.
Un flou juridique dont profitent les industriels et les élus, au détriment des citoyens
À Reims justement, l'opposition s'indigne. « Ce qui me choque, c'est que ça a été fait dans une grande opacité. Ce n'est pas normal que les citoyens ne soient pas informés », peste Léo Tyburce, élu Europe Écologie Les Verts. En novembre 2021, l'adjoint à la sécurité Xavier Albertini avait plus ou moins rassuré les élus, évoquant alors une étude avec « une entreprise nationale d'un logiciel (ndlr : sans la nommer) qui n'est pas de la reconnaissance faciale », qui permet de « reconnaître n'importe quel véhicule qui se trouve pris dans le champ des caméras ».
Alors, aujourd'hui, comment justifier cette collaboration avec Thales Group ? Le nombre de plus en plus important de caméras, donc de vidéos à analyser, est évoqué par le maire Robinet pour justifier l'utilisation d'un algorithme. L'argument fait mouche auprès des professionnels du secteur, qui jugent « nécessaire » l'usage de l'intelligence artificielle pour aider les humains, trop peu nombreux pour gérer autant de caméras et de flux. Du côté des opposants, cet argument ne tient pas. « Il y a un énorme marché privé qui est en train de se lancer et qui est en partie financé par des fonds publics », explique un représentant de La Quadrature du Net, qui réclame de longue date la fin de la vidéosurveillance en France.
Le budget de la mairie de Reims consacre en effet une belle parenthèse à 7 millions d'euros aux investissements pour la vidéosurveillance et l'équipement de la police municipale. Un logiciel dit « d'aide à la relecture » a été financé, et ce, sans en informer les habitants, piégés par le flou juridique qui entoure le déploiement de ces outils de « vidéosurveillance algorithmique », de plus en plus précis et polyvalents.
Source : StreetPress