Stéphane Richard n'a visiblement pas digéré les perquisitions menées chez Orange la semaine dernière, dans le cadre du litige qui l'oppose à l'américain Cogent. S'exprimant auprès du Figaro, il remet vivement en cause le fonctionnement de Bruxelles, qui serait d'une certaine manière obnubilée par une politique consumériste largement défavorable à l'économie européenne, dans un contexte concurrentiel exacerbé.
Orange vs Cogent : une affaire de « peering »
Le 11 juillet dernier, la Commission européenne confirmait mener une enquête à propos des pratiques des FAI en matière d'acheminement de trafic (ou « peering », ndlr). L'institution viserait principalement les plus gros acteurs communautaires, comme Orange, Deutsch Telecom ainsi que Telefonica. À l'origine, un litige opposant Orange et l'américain Cogent, distributeur de sites Web, ce dernier accusant l'opérateur du brider les débits faute d'accord financier entre les deux parties.
À la recherche d'éléments concordants, elle a donc mené des perquisitions dans les locaux du premier opérateur français. Ce que Stéphane Richard, le PDG du groupe, n'a pas vraiment apprécié. « Bruxelles a envoyé chez Orange vingt et un agents pendant quatre jours. Ils sont allés dans quatre de nos sites. Ils ont saisi mes ordinateurs et ont perquisitionné mon bureau. Tout cela est quand même violent ». Pour lui, ces opérations montrent une certaine forme d'« acharnement ».
Stéphane Richard dit ne pas comprendre pourquoi les instances européennes se font « le complice d'un acteur américain », au détriment de ses concurrents européens, pourvoyeurs sur le continent d'emplois et d'investissements. Et de finir en expliquant qu'une telle situation ne se produirait jamais aux États-Unis.
La baisse des prix du « roaming » « affaiblit » les opérateurs
Au-delà de l'absence de prise de position en faveur des intérêts européens, le PDG d'Orange en rajoute une couche, en pointant du doigt « la politique consumériste à tous crins » de la Commission. Il évoque ici directement la politique tarifaire du « roaming », ces surcoûts appliqués par les opérateurs pour l'usage des mobiles à l'étranger, que la Commission s'évertue depuis 2007 à tirer vers le bas. Il assure que la prochaine baisse coûtera à Orange la bagatelle de 300 millions d'euros en termes de marges.
Si le consommateur est in fine le premier à s'y retrouver, le dirigeant dénonce un frein à l'investissement, notamment sur la fibre, et le risque que le trop fort affaiblissement des acteurs européens ne suscite des velléités de rachat de la part des acteurs américains. « Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner de voir Carlos Slim racheter KPN ou les grands opérateurs américains s'intéresser à des acquisitions à bas prix en Europe », indique-t-il. Pour lui, l'une des raisons pour laquelle les opérateurs communautaires conservent leur identité ainsi que leur indépendance tiendrait de la seule présence des États dans leur capital.
Stéphane Richard demande un régulateur européen unique
Stéphane Richard aimerait que la Commission revoie ses priorités. Il en appelle à la mise en place d'un « moratoire » sur les prix du « roaming », « afin de faire une étude d'impact sérieuse des précédentes mesures de baisse ». Mais surtout, il prône l'instauration d'un régulateur européen unique des télécoms, pierre angulaire de la création d'un marché unique. Il régnerait selon lui une trop forte concurrence sur le continent, d'où le besoin de permettre un certain nombre de rapprochements entre les acteurs.
Reste « certaines distorsions de concurrence, comme sur le câble par exemple. Seuls les réseaux fixes des opérateurs sont régulés, alors que les câblo-opérateurs sont en mesure de passer à la fibre optique parfois avec des subventions publiques, sans que les opérateurs tiers aient la possibilité d'accéder à leurs réseaux », regrette-t-il. Avant d'appeler à un véritable engagement de la Commission sur la question de la fiscalité des acteurs, pour qu'une concurrence équitable avec les firmes américaines soit réellement assurée.