Si la domotique domestique n'est pas encore vraiment développée en France, l'opérateur Orange, qui vient de lancer deux nouvelles offres Maison Connectée et Maison Protégée, montre qu'il croit en son potentiel.
Orange a officiellement lancé ses offres Maison Connectée et Maison Protégée le 16 avril 2019. Le premier service, qui se traduit par l'achat d'objets connectés proposés par Orange, se destine aux curieux et amateurs de technologie. Le second est une offre pure de télésurveillance, issue de la société Protectline, née de la joint-venture entre Orange (51% des parts) et Groupama (49%). Ces deux nouvelles offres témoignent de la volonté de la société de devenir, à terme, un acteur qui compte sur le marché de la domotique. Pour parler la stratégie de l'opérateur, de ses offres plus en détail et de leur futur, ainsi que de celui de l'enceinte intelligente Djingo,Clubic a interrogé Christian Bombrun, qui a chapeauté ce double projet. Il est le Directeur Divertissement et Nouveaux Usages d'Orange France, président de Protectline et ancien de Canal+ et M6.
Interview de Christian Bombrun
Clubic - Comment avez-vous piloté ces deux offres ? Comment a-t-on commencé à discuter des offres Maison Connectée et Maison Protégée chez Orange, et surtout, comment peut-on les distinguer ?
Christian Bombrun - La thématique de la maison connectée, pour un opérateur de télécommunications, date d'il y a longtemps. Chez Orange, il y a quelques années, nous avions déjà une offre Homelive (qui s'arrêtera définitivement le 31 juillet 2019, ndlr). Le sujet de la domotique est presque plus naturel que celui de la banque, les marchés et les clients nous y attendent.
Basés sur l'expérience de Homelive, nous avons bien identifié deux familles de besoins, séparé les variables et dissocié la promesse de confort qui va être agressive d'un point de vue tarifaire, avec des équipements que le client peut configurer et installer comme il le souhaite, et de la promesse de sécurisation qui est, en termes d'expérience, à peu près l'inverse, puisqu'il y a un technicien qui se déplace, qui installe le nombre d'équipements nécessaires, et qui garantit, quand il est parti, que l'installation est correcte et que le plateau de surveillance peut prendre le relais.
Ensuite, pour la partie business, lorsque vous regardez les acteurs, vous voyez bien qu'il existe deux familles : les GAFA, qui sont plutôt tournés dans l'offre domotique, avec peu de succès à ce jour, car pas un seul acteur ne réussit à dominer le secteur de la maison connectée, si je mets de côté les speakers eux-mêmes. Même les entreprises comme Legrand ne cannibalisent pas le marché. Et de l'autre côté, il y a ceux de la télésurveillance, qui est développée de partout, qui existe en France. Nous avons identifié un besoin client. Le taux de pénétration de la télésurveillance en France est autour de 5%, 8 à 10% en Espagne, 10 à 15% en Europe du Nord, 20% aux États-Unis, où le taux de cambriolage est nettement supérieur à celui de la France. En Europe, il n'y a pas de différence majeure entre les pays d'Europe. Il y a donc eu un raisonnement économique qui consiste à dire qu'il y a un secteur que l'on peut développer.
« Je suis content que nous partagions une analyse sur la maison connectée avec Free »
Vous parliez des GAFA à l'instant. Selon vous, avec des FAI qui sont par définition les premiers à nous relier à Internet, les opérateurs peuvent-ils être les acteurs qui vont démocratiser les équipements et usages domotiques, comme on peut le voir avec Free qui a sorti son Pack Sécurité avec la Freebox Delta ?
Oui, nous nous voyons comme l'acteur qui a la capacité de démocratiser cet usage : en le faisant savoir, en fabricant des solutions simples, et en mettant à disposition des tarifs agressifs auprès du très grand public. Pour le coup, je suis très à l'aise pour dire que l'on partage ce raisonnement avec Free, même si nous avons une exécution différente. En revanche, je suis humble sur le sujet. Nous ne sommes pas dans une logique hégémonique. Je ne suis pas certain que nous serons les seuls. Le client choisira. Mais oui, nous restons convaincus qu'il y a une part de clients importante qui connaîtra la domotique à travers notre offre. D'autres choisiront les offres plus verticalisées ou celles des GAFA. C'est tout à fait normal que nous ayons une compétition, le secteur est nouveau. Nous n'avons pas vocation à être numéro un. Si on le devient, tant mieux.
La Delta n'est donc pas une menace pour Orange ?
Je ne considère pas forcément qu'il y a réellement une concurrence sur ce sujet-là. Je suis plutôt content que nous partagions une analyse sur la maison connectée avec Free. Mais je me permets de dire qu'il y a une grosse différence avec l'opérateur, qui est que c'est un choix que nous avons fait il y a quelques années de cela. Lorsque nous avons conçu la Livebox 4, nous avions imaginé ce système-là, ce qui nous permet de le diffuser en faisant une mise à jour de la Livebox, avec déjà 3 millions de décodeurs dans la nature.
Une Livebox 4 est indispensable pour bénéficier de Maison Connectée, mais n'est pas nécessaire pour Maison Protégée, c'est bien ça ?
Maison Connectée est réservée aux abonnés Jet, Play et Up. Pour l'instant, les anciens abonnés Zen ne sont pas pris en compte ni les abonnés Sosh. Il faut être titulaire d'une Livebox 4, effectivement. Cela concerne tout de même 3 millions de clients, ce qui fait beaucoup par rapport à notre concurrent.
Du côté de Maison Protégée, il suffit d'être client Orange ou Sosh. Mais il faut être client chez nous, de quelque manière que ce soit.
Mais les deux plateformes vont « se parler ». Aujourd'hui, elles sont relativement autonomes, la centrale de télésurveillance que nous fournissons par Maison Protégée n'a pas besoin de la Livebox 4. Il y aura des ponts, dans les mois qui viennent, entre les deux systèmes notamment au niveau des applications.
« Vous allez payer le prix annoncé, sans mauvaise surprise »
Sur l'offre Maison Protégée, il existe une différence de prix selon que l'on habite dans un appartement au rez-de-chaussée ou une maison (30,99 euros par mois) et un appartement en étage (25,99 euros par mois). Pouvez-vous clairement la justifier pour celles et ceux qui se posent la question ?
Lorsque vous regardez les offres de télésurveillance existantes, si vous voyez les nombreuses publicités, une fois que le technicien vient faire l'installation, la réalité, c'est qu'il est quasiment impossible de sortir de son logement installé avec le prix affiché, car tout est en option. Regardez les différentes offres : pour une vingtaine d'euros, vous avez un détecteur d'ouverture de porte, un détecteur de mouvement, le badge, ce qui fait qu'en général, le prix moyen de la télésurveillance varie entre 35 et 40 euros chez nos concurrents.
Nous avons fait le choix inverse, qui est de dire que le prix de 25,99 euros par mois est garanti (ou 30,99 euros pour rez-de-chaussée et maison), et ce peu importe la configuration du logement. Le technicien qui va venir chez vous va installer le nombre de détecteurs d'ouverture de porte nécessaire à la configuration de votre logement, il va vous donner deux badges. Le backup GSM est compris, donc vous allez payer le prix annoncé, sans mauvaise surprise.
Il faut avoir conscience qu'une maison, ce n'est pas la même chose à sécuriser qu'un appartement, et malheureusement, si vous êtes en rez-de-chaussée, c'est pareil, toutes les fenêtres doivent être sécurisées. En étage, on n'a objectivement aucun ouvrant véritablement en danger. Au final, il y a une forme d'équité entre les deux prix.
Imaginons qu'un client qui a décidé de souscrire à Maison Protégée, qui est une offre sans engagement, veut laisser tomber cette offre. Comment ça se passe ?
Un rendez-vous est pris pour récupérer l'équipement, et il y a 49 euros de frais de résiliation, qui correspondent au prix de l'intervention pour récupérer les équipements.
« Plus de 1 000 personnes testent Djingo actuellement »
A-t-on des nouvelles du speaker Djingo ?
Djingo va bien. Lors de la conférence de presse de présentation de Maison Connectée, Dingo était au milieu des autres objets connectés, en marche, pour montrer que le produit fonctionne. Plus de 1 000 personnes le testent actuellement. Nous ne sommes pas encore au niveau de qualité satisfaisant pour déclencher la mise en marché. Mais cette mise en marché arrivera dans les prochains mois. Djingo est en chemin vers le client.
Est-ce qu'on parle d'un produit unique, ou d'une gamme comme a pu le faire Amazon avec Echo ?
Nous avons annoncé un speaker. Nous réfléchissons à des tas d'autres choses qui n'ont pas fait l'objet d'annonce. Je n'ai rien à annoncer sur le sujet.
Sur la 5G : est-ce qu'elle constitue une bonne opportunité pour Maison Connectée et Maison Protégée ? Quelle influence peut-elle avoir sur les deux services ?
La 5G offre une connectivité totale, continue, avec une configuration qui permet de consommer très peu de batterie pour beaucoup d'objets. C'est un des apports de la 5G d'aller développer l'écosystème des objets connectés. C'est encore un peu tôt pour vraiment dire commercialement comment ça va faire évoluer les offres actuelles. Nous n'en sommes pas là. Mais Orange reste mobilisé sur la 5G. Nous ferons des annonces sur le sujet dans les mois à venir. Le produit que nous lançons n'a en tout cas pas besoin de la 5G pour fonctionner.
« L'offre Maison Connectée va s'améliorer tous les six mois »
De nouveaux produits supplémentaires sont-ils espérés pour Maison Connectée, puisque nous ne recensons que 5 accessoires ?
C'est un point très important, oui, ce n'est que le début. Il y a aura de nouveaux objets tout le temps. Les produits Netatmo et Philips Hue seront compatibles avant la rentrée. Il y a aussi un enrichissement d'objets sous marque Orange qui arrive. Je fais le parallèle avec l'écosystème de la télévision pour Maison Connectée. Dans les trois ans qui viennent, l'offre va s'améliorer tous les six mois. 5 accessoires, ça reste insuffisant.
Comment avez-vous su que les deux offres étaient prêtes à être commercialisées ?
Des tests sur ces deux offres sont menés depuis plusieurs mois dans 500 foyers. Comme pour Orange Bank, et comme nous le faisons sur Djingo, nous écoutons les clients. Si nous avons décidé de nous lancer, c'est que nous étions satisfaits des retours des 500 testeurs.
Avez-vous déterminé des objectifs chiffrés pour les deux offres ?
Oui, on en a, mais nous restons prudents. Nous avons la capacité, sur la télésurveillance, d'être un des acteurs majeurs du marché. Mais en termes de chiffres, je n'ai pas d'éléments officiels à communiquer.
Quel service présente le plus gros potentiel selon vous, en l'état actuel des usages et du marché ? Maison Connectée ou Maison Protégée ?
Je crois aux deux, mais au sens économique du terme, c'est la télésurveillance qui présente le plus gros potentiel économique pour Orange France. Mais nous allons mener les deux de front. La Maison Connectée, on la présente comme le cinquième « P » d'Orange, avec ceux d'Internet, de la voix, de la télévision et du mobile.
Merci pour votre temps Christian, et à une prochaine fois.
Merci Alexandre !