Avec un peu de retard, Virgin Galactic a dévoilé ses résultats du premier trimestre. A nouveau des dizaines de millions de dollars de pertes, tandis que les premiers vols touristiques s'éloignent encore et que la concurrence s'en rapproche.
Tandis qu'un nouveau livre vient étriller la gestion et la communication de l'entreprise.
Communication contre résultats
Avec 55,9 millions de dollars de pertes, le premier trimestre de l'année révèle des résultats sans grande surprise pour Virgin Galactic. L'entreprise fondée en 2004 par Richard Branson ne peut justifier aucun revenu sur cette période, son unique source de capitaux, les vols touristiques suborbitaux ne rapportent rien… Car Virgin n'a toujours pas terminé son très long programme d'essais. L'avion fusée est pourtant en projet depuis… 16 ans !
Virgin, installé depuis l'année dernière sur le « SpacePort America » au Nouveau Mexique, a pourtant multiplié les tentatives ces derniers mois pour tenter de capter l'attention du public. En dévoilant par exemple le nouvel exemplaire d'avion fusée de l'entreprise, le VSS Inspiration (un premier appareil, le VSS Unity, est utilisé pour les essais). Ou en axant sa communication sur les premiers « clients » internationaux à voler au sein de l'appareil : des employés de l'agence spatiale italienne (ASI) qui accompagneront leurs expériences à la frontière de l'espace à plus de 80 kilomètres d'altitude dans un vol prévu plus tard cette année.
Plus tard… C'est toutefois le mot clé sur lequel achoppe Virgin Galactic. Il y eut bien sûr les promesses de R. Branson lors des premières ventes de tickets, avec des vols paraboliques suborbitaux prévus dès 2008 ! La réalité technique fut toute autre, et l'accident mortel de l'appareil d'essai VSS Enterprise en octobre 2014 a considérablement impacté le programme. Malgré tout, même lors de son entrée en bourse en septembre 2019 sous l'impulsion d'une fusion/rachat (SPAC), Virgin Galactic avait conservé des objectifs particulièrement ambitieux, tant en termes de nombre de vols (16 prévus en 2020) que de revenus (plus de 600 millions à l'horizon 2024-25). Des objectifs une fois de plus révisés à la baisse en 2021.
Galactic testing
En effet, le programme de tests de l'avion fusée VSS Unity est régulièrement repoussé. Il reste quatre vols devant chacun franchir les 80 km d'altitude (50 miles, soit la définition américaine de l'espace) pour que l'appareil soit jugé apte à emmener, quatre par quatre puis six par six, les 600 touristes inscrits pour aller observer quelques minutes la courbure de la Terre se détachant sur le noir profond du cosmos.
Le premier de ces vols devait avoir lieu en décembre dernier : il n'embarque personne sinon les deux pilotes et un important set d'expériences financées notamment par la NASA. Une deuxième parabole est prévue en configuration « touristique » avec des employés de Virgin Galactic afin de peaufiner l'expérience utilisateur, une troisième validera l'ensemble du « rêve d'espace » avec le décollage du milliardaire et fondateur Richard Branson, tandis que la dernière sera au service de l'Agence Spatiale Italienne.
En réalité, le dernier vol réussi du VSS Unity avec moteur allumé remonte au 22 février 2019, il y a plus de deux ans. Virgin Galactic y avait embarqué sa première passagère, Beth Moses, cadre responsable des astronautes dans l'entreprise. Campagne de publicité à l'appui, ce vol était une fête, et les équipes devaient rapidement transférer leurs opérations de l'aéroport de Mojave (Californie) au Spaceport America (Nouveau-Mexique). Mais derrière la communication peaufinée de l'entreprise, il semble que le vol soit passé très près de la catastrophe, les équipes au sol découvrant des fissures sur des éléments des ailerons pivotants de l'appareil. Une mauvaise publicité évitée par un silence gênant durant plus d'un an… Mais qui ressort aujourd'hui dans différents reportages, notamment le livre « Test Gods: Virgin Galactic and the Making of a Modern Astronaut » du journaliste Nicholas Schmidle, lequel a eu accès durant 4 ans aux coulisses de l'entreprise.
Les années passent vite…
VSS Unity a été modifié, et l'avion fusée était censé retourner à plus de 80 km d'altitude en décembre dernier… Mais le vol a tourné court lorsque l'ordinateur de bord gérant le moteur a souffert d'un problème électromagnétique. Là encore, il a fallu plusieurs mois pour que les équipes corrigent le problème, et VSS Unity était attendu au mois de mai 2021 pour son vol. Il n'en sera rien : Virgin Galactic, dans son rapport sur le premier trimestre, note qu'à cause de soucis de maintenance avec l'avion porteur (le VMS Eve), il faut prévoir des travaux anticipés. Eve devait quoi qu'il arrive cesser de voler durant au moins quatre mois en 2021, afin d'être inspecté et préparée pour les « hautes cadences » des futurs vols touristiques.
L'avion fusée n'ayant pas réussi un seul vol ces deux dernières années devrait donc assurer quatre paraboles suborbitales dans les 7 mois et demi à venir, avec une grosse période d'arrêt de son avion porteur… Les comptes n'y sont pas. Et il est probable que les premiers revenus de Virgin Galactic (sans même évoquer une quelconque rentabilité) doivent attendre 2022.
Virgin Galactic, qui est cotée en bourse, a vu ses cours malmenés ces dernières semaines. Grâce à deux opérations de capitalisation en 2019 puis 2020, ses comptes sont toujours dans le vert : il reste un peu plus de 600 millions de dollars dans les caisses, de quoi tenir encore au moins deux ans au rythme actuel des dépenses. Malgré tout, plusieurs fonds de placements qui l'année dernière s'étaient vu séduits par les perspectives de rentabilité, les vols de richissimes touristes et les promesses de liaisons futures grâce à des avions hypersoniques ont changé leur évaluation. Après les déboires et les nouveaux retards de ce début d'année, le titre a plongé de 54 dollars le 5 février jusqu'à 16 dollars ce 13 mai. Une dégringolade qui n'est peut-être pas terminée, car tous les yeux sont à présent tournés vers… Blue Origin.
Et si Blue passe à la vitesse supérieure ?
L'entreprise de Jeff Bezos est la seule concurrente de Virgin Galactic sur le segment des vols paraboliques à très haute altitude. Et si l'avion fusée de Virgin avait plusieurs longueurs d'avance en 2019, Blue Origin prépare aujourd'hui l'entrée en service commercial de sa capsule… cet été. Le 20 juillet, jour de l'anniversaire des premiers pas lunaires, New Shepard embarquera 5 employés de l'entreprise et un richissime chanceux, puisque la dernière place du vol a été mise aux enchères. Reste à connaître le rythme des futurs vols habités chez Blue Origin, et le coût des billets « réguliers » pour ces quelques minutes d'une expérience pour l'instant inédite.
Avec New Shepard en service, Virgin Galactic perd son avantage de « premier sur le marché » malgré ses 600 billets déjà vendus. Reste à savoir s'il y a de la place pour deux, et si Virgin Galactic pourra un jour commencer à honorer ses promesses. Malgré toute la bonne volonté de l'entreprise et de ses salariés, pour y arriver, il faudra voler…