Moins de deux ans après les enchères pour l'attribution des fréquences 5G, la Cour des comptes a fait le bilan. Et selon elle, le monde industriel n'a toujours pas saisi les enjeux de la technologie mobile de cinquième génération.
La Cour des comptes vient de rendre public, ce jeudi 21 juillet, un référé adressé le 2 mai dernier au ministre de l'Économie, des Finances et de la Relance Bruno Le Maire. Ce référé traite des enchères 5G et fait une sorte de bilan de passage, moins de deux ans après l'attribution des fréquences. Pour la juridiction présidée par Pierre Moscovici, la procédure fut un succès, mais « les bénéfices de la 5G pour le grand public sont jusqu'à présent relativement limités ». Elle dédouane les opérateurs télécom et vise davantage le secteur industriel, pas vraiment concerné selon elle par les enjeux de la technologie, désignant l'État comme coupable du retard observé.
La 5G, une technologie qui a du mal à percer auprès du grand public…
Les opérateurs verseront progressivement 2,8 milliards d'euros à l'État pour avoir acquis, à quatre (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free), la bagatelle de 310 MHz de fréquences, à hauteur de 70 à 90 MHz chacun, augmentant ainsi d'environ 50 % leur patrimoine de fréquences. Ces opérateurs ont, en contrepartie, promis de généraliser le réseau 5G au plus tard à la fin 2030.
Pour le moment, la Cour des comptes juge le rythme de déploiement « conforme aux objectifs » fixés par l'État, tout en maintenant la pression pour une bonne maîtrise de la couverture territoriale, qui fait partie des points suivis de près, notamment par l'ARCEP, le but étant d'éviter un nouveau new deal pour la 5G, comme ce fut le cas il y a quatre ans pour la 4G.
Car il faut le dire, et la Cour des comptes ne s'en prive pas : pour l'instant, du point de vue grand public, la 5G ne sert qu'à décongestionner les réseaux 4G actuels dans les zones denses, principalement, et à offrir un boost de débit. « Pour l’heure, les usages sont surtout récréatifs (vidéo haute voire très haute définition et jeux en ligne) et ne correspondent pas aux nombreuses promesses de la 5G en matière d’internet des objets, d’innovations technologiques ou encore d’amélioration des services publics grâce à la "ville connectée" », note la juridiction.
À ce stade, l'engouement commercial n'est franchement pas dingue, et l'augmentation des tarifs (sauf exception) pour les forfaits 5G peut rebuter les consommateurs dans une période où le pouvoir d'achat est sérieusement malmené, sans oublier l'investissement à réaliser dans un nouveau smartphone pour obtenir un terminal compatible. Mais ce constat sur l'évolution de la technologie auprès du grand public n'est pas ce qui inquiète le plus les magistrats financiers du Palais Cambon.
…et encore moins au sein du tissu industriel français
À la différence des précédentes générations, la 5G a une vraie vocation à constituer un catalyseur d'innovation pour les entreprises, avec des centaines de milliards d'euros de retombées potentielles dans les dix ou quinze prochaines années et la création de plus de 20 millions emplois dans le monde. Mais tout cela repose sur de nouveaux usages et applications de la 5G. Et pour la Cour des comptes, le constat est simple : « ils n'existent pas encore ». Pourtant, l'ARCEP avait ouvert la voie en permettant de nombreuses expérimentations sur la technologie, et ce dès 2018, outre les consultations publiques organisées. Mais seuls les acteurs du secteur des télécommunications se sont pleinement investis dans le déploiement.
La Cour estime que les entreprises industrielles, censées pourtant être considérées comme les bénéficiaires et utilisateurs premiers, « n'ont pas témoigné un intérêt marqué pour la 5G et le développement de nouveaux usages ». Elle pointe d'ailleurs du doigt le rôle de l'État pour expliquer ce faux départ, État qui « n'a pas réussi à les impliquer davantage dans les premières phases du déploiement », alors à la main de l'ARCEP et des opérateurs.
Bpifrance a bien essayé de soutenir certains projets industriels, mais cette initiative ne peut pas constituer à elle seule une stratégie d'appropriation de la 5G. La Cour regrette qu'il ait fallu attendre le lancement de la stratégie d'accélération sur la 5G en juillet 2021 pour que les objectifs de l'État – concernant la dimension économique et industrielle de la 5G – soient pris en compte. Ces efforts comprennent une enveloppe de 734 millions d'euros, dont 480 millions qui doivent être distribués d'ici la fin 2022, en soutien des acteurs de la 5G en France.
Pour accélérer les choses, la Cour des comptes recommande de rendre publiques, de façon plus régulière, les actions mises en œuvre dans le cadre de la stratégie d'accélération sur la 5G et les résultats obtenus. Elle demande aussi la mobilisation des acteurs industriels et économiques autour des usages de la 5G, afin de rattraper le retard pris en France dans le domaine.
La France a effectivement tout intérêt à rattraper son retard, alors qu'une 6G est déjà envisagée d'ici la fin de la décennie.