Les printemps calmes ne durent jamais longtemps au Japon. Politique, diplomatie, macro et micro-économies, faits de société, les événements et annonces n'ont pas manqué cette semaine. Dans le secteur de l'industrie high-tech, votre serviteur en exil en a retenu deux: un mariage et une renaissance.
Lundi, deux des groupes d'électronique grand public japonais, Victor Company of Japan (JVC, affilié à Matsushita/Panasonic) et Kenwood, ont fait un pas de plus vers une fusion totale en annonçant la création d'une société-mère commune pour les chapeauter. Les deux firmes s'étaient à vrai dire déjà fiancées en juillet 2007. Elles avaient alors indiqué envisager d'aller plus loin. Dans cette logique, ces deux maisons réputées auprès des audiophiles vont établir le 1er octobre une nouvelle entité, JVC-Kenwood Holdings (J&K Holdings), qui détiendra 100% des titres de JVC et de Kenwood ainsi que ceux d'une troisième société, J&K Technologies. Cette dernière a été créée en octobre dernier dans le but de développer et de produire des technologies communes destinées à JVC et Kenwood pour éviter les redondances synonymes de gaspillages. Fort rationnellement, cette firme commune J&K Technologies est appelée à grossir pour permettre au groupe de réaliser un maximum d'économies d'échelle.
Ce rapprochement JVC/Kenwood est initialement né de la volonté du groupe Matsushita, surtout connu pour sa marque phare Panasonic, de se défaire en partie de l'handicapante filiale JVC qui est plongée dans le rouge depuis plusieurs exercices. Cependant, Matsushita, qui sera actionnaire de J&K Holdings, avait à coeur de trouver pour JVC un partenaire en qui il puisse avoir totale confiance, ce qui l'a d'ailleurs conduit à rejeter l'offre d'un fonds d'investissement étranger soupçonné de ne pas nourrir de projet industriel viable et de fomenter des coupes sombres pour empocher rapidement des bénéfices.
Le nouveau spécialiste de l'électronique grand public J&K né de cette union concentrera essentiellement des activités de conception et fabrication de systèmes audiovisuels et de radionavigation pour automobiles, de matériels audiovisuels de salon et portables (TV, camescopes, chaînes Hi-Fi), et d'équipements destinés aux professionnels (caméras de surveillance, systèmes/terminaux de télécommunications à radiofréquences, etc.). Il conservera aussi les divisions de production de contenus et divertissements (CD audio) de JVC.
En s'unissant, JVC (créateur du format VHS, entre autres) et Kenwood (à l'origine spécialiste des talkie-walkie et autres dispositifs de radiocommunications) souhaitent changer chacune d'échelle en bénéficiant des apports de l'autre. Et ce, pour mieux affronter un environnement concurrentiel plus rude, tout en conservant leur marque et identité respectives. Ces deux entreprises, qui ont construit leur réputation sur les techniques sonores à partir du début du XXe siècle pour JVC ("La voix de son maître") ou au lendemain de la Deuxième guerre mondiale pour Kenwood fondée en 1946, ont toutes les deux très mal vécu les bouleversements de la numérisation qui a soudain permis à des fabricants d'ordinateurs et à une myriade de sociétés asiatiques de mettre sur le marché des produits audio innovants ou à bas coûts. Elles, qui avaient créé un savoir-faire pendant des années et élevé des générations d'ingénieurs pour perfectionner la restitution sonore, se retrouvaient soudain concurrencées frontalement par des jeunes pousses proposant des enceintes munies de haut-parleurs au son détestable pour écouter des musiques compressées stockées sur un disque dur.
On comprend leur désarroi du moment. "L'entrée dans l'ère du numérique a marqué un profond tournant dans le secteur", convient le président de Kenwood, Haruo Kawahara. "Cela a rendu plus complexe et plus coûteuse la création de produits qui se différencient vraiment de ceux des concurrents", ajoute-t-il. "Nous avons connu des années vraiment très difficiles", renchérit le numéro un de JVC, Kunihiko Sato, qui se félicite de l'union avec Kenwood, signe d'un "nouveau départ". A vrai dire, bien que toujours financièrement fragiles, JVC et Kenwood avait déjà réagi. Kenwood a par exemple conçu des chaînes Hi-Fi et autoradios pour accueillir un iPod, avec des enceintes et circuits de traitements qui ont à tout le moins le mérite de ne pas dégrader davantage la nature du signal (plus ou moins compressé) sortant du baladeur d'Apple. Kenwood a aussi ses propres appareils nomades pour les puristes. Quant à JVC, il a notamment innové avec des chaînes compactes à mémoire pour échanger des musiques avec un téléphone portable/baladeur ou en sortant le premier des camescopes à disque dur bien accueillis par le marché. Il a aussi développé des technologies pour TV à écran plat qui améliorent notablement la qualité des modèles LCD. De fait, on peut attendre de l'association de ces deux groupes d'experts des équipements audio et vidéo de premier choix.
"En combinant nos atouts, nous voulons proposer des produits totalement nouveaux qui reflètent les avantages de ce rapprochement le plus vite possible, tant sur le plan des technologies que de la créativité", insiste M. Kawahara. D'ici le 1er octobre prochain, date officielle de la création de J&K Holdings, JVC et Kenwood vont continuer d'assainir chacune leurs affaires, en écartant les activités non-stratégiques et en fortifiant les autres, en fonction de leur puissance et lacunes sur chaque segment de marché.
Avec près de 25.000 salariés dans le monde, J&K Holdings, qui mise sur des gains par synergies, escompte un chiffre d'affaires consolidé de 830 milliards de yens (5,32 milliards d'euros) pour l'exercice d'avril 2010 à mars 2011, soit 60 milliards de yens de plus que celui espéré à l'issue de l'année budgétaire en cours qui sera close le 31 mars 2009.
Un nouveau géant alors? Pas vraiment, car 830 milliards de yens, c'est à peine un dixième de Sony, lequel, né en même temps que Kenwood et bien après JVC, est le premier groupe d'électronique du Japon. Après avoir lui aussi subi « le choc iPod », Sony affiche à nouveau une mine resplendissante. Il a annoncé mercredi des ventes et bénéfices annuels inédits dans ses annales, essentiellement grâce aux performances de ses produits vedettes. Le groupe, fondé par Akio Morita, semble avoir retrouvé son âme, notamment grâce à son actuel numéro deux et patron de l'electronique, Ryoji Chubachi, un type qui a d'abord connu les laboratoires, les usines, les chaînes de production et qui connaît l'importance de la recherche à long terme et du travail d'équipe. Quant à l'américain Howard Stringer, PDG, il gère, négocie, joue les bons offices, fait du lobbying (actions nécessaires dans le monde des affaires actuel) mais ne se pose pas en "gourou" ni en ingénieur à même d'imaginer des produits révolutionnaires, ce que préparent peut-être Chubachi et ses équipes. Il paraît qu'on aura des surprises en juin...
En attendant, revenons en arrière. Au cours de l'exercice d'avril 2007 à mars 2008, Sony a dégagé un profit net record de près de 2,4 milliards d'euros, supérieur à ses prévisions. Il a dans le même temps enregistré le bénéfice d'exploitation le plus élevé de l'histoire du groupe (375 milliards de yens), sur un chiffre d'affaires qui s'est hissé au montant jamais vu de 8.870 milliards de yens, soit environ 57 milliards d'euros.
Après des restructurations, changements de dirigeants et une période de convalescence, ces résultats ont constitué la très bonne nouvelle de la semaine. Au point qu'ils ont dopé les titres de tout le secteur le lendemain à la Bourse de Tokyo. Cette embellie découle principalement des ventes soutenues d'appareils électroniques grand public, notamment les téléviseurs à écran à cristaux liquides (LCD) de la gamme "Bravia", les ordinateurs "Vaio", les appareils photo "CyberShot" ou encore les camescopes haute définition "Handycam". "Nous avons largement dépassé nos objectifs de marges de rentabilité sur les produits électroniques, en dépit de la hausse des tarifs des matières premières", s'est félicité un responsable financier du groupe, Nobuyuki Oneda, lors d'une conférence de presse. "Je pense que nous avons réussi à proposer des produits qui collent aux attentes du public en termes de design et de fonctions, une faculté que nous avions un temps perdu", a-t-il analysé. A noter que la faiblesse du yen tout au long de l'exercice a bénéficié à Sony comme à la plupart des groupes exportateurs nippons, générant un gain bienvenu de 80 milliards de yens (près de 500 millions d'euros). En effet, une variation d'un yen du cours de l'euro et du dollar a un impact respectif à la hausse ou à la baisse de 7 et 4 milliards de yens sur les comptes annuels du groupe.
Ceci dit, pour réaliser de tels gains de change, encore faut-il produire, livrer, distribuer et vendre des produits à l'échelle mondiale. Hors, à regarder de plus près les éléments délivrés lors de la présentation des résultats à Tokyo, l'Europe, avec 27% du total, constitue le premier marché des produits électroniques de Sony, grâce aux ventes de TV et PC, devant les Etats-Unis (22%) où ses appareils photo numériques sont très populaires aux côtés des PC et TV. Sony réalise « seulement » 17% de ses ventes d'appareils électroniques au Japon.
Dans le détail, outre 10,6 millions de téléviseurs LCD (600.000 de plus qu'attendu), Sony a écoulé 5,8 millions de Walkman (300.000 de plus que prévu), 7,7 millions de camescopes numérique (200.000 de plus qu'espéré), 23,5 millions d'appareils photos numériques (1,5 million de plus qu'escompté), 7 millions de lecteurs de DVD, 1,7 million d'enregistreurs DVD/disque dur, et 5,2 millions de PC Vaio. Dans tous les cas, les objectifs initiaux ont été atteints ou dépassés, et Sony espère faire encore mieux l'an prochain. Le mastodonte a réussi à dégager une marge d'exploitation de 5% sur ses produits électroniques, le double de l'année d'avant. Cette activité principale était même engluée dans le rouge il y a deux ans. Le tout a certes été un peu aidé par la cession de lignes de production de puces à Toshiba et par l'abandon d'un immeuble à Berlin, mais le groupe a quand même indiqué avoir réalisé 47 milliards de yens (300 millions d'euros) d'économies.
Même si Sony n'est toujours pas parvenu à rentabiliser le segment des télévisions, à cause d'une concurrence exacerbée qui fait chuter les tarifs en rayons en-deçà des prix auxquels les téléviseurs LCD sont fabriqués, les profits issus d'autres appareils électroniques et composants (circuits intégrés) ont très largement compensé.
"Alors que le marché mondial devrait croître de 30% environ en nombre d'unités, nous ambitionnons une augmentation de 70% de nos ventes à 17 millions d'exemplaires cette année", a expliqué M. Oneda, Sony étant désormais au coude à coude en tête des marques de TV LCD.
Après avoir comblé son retard sur Sharp et Samsung Electronics, Sony, qui s'est jusqu'à présent focalisé sur les TV LCD haut de gamme, promet d'élargir sa ligne de produits à des modèles compétitifs plus accessibles à un large public, notamment en employant des composants moins onéreux, à commencer par des dalles LCD différentes, c'est-à-dire pas celles produites en Corée du Sud avec Samsung, mais d'autres achetées à des sociétés taïwanaises. Objectif: accélérer le remplacement dans les foyers des TV à tubes par des modèles à écran plat et séduire les consommateurs des pays émergents qui s'offrent leur première petite lucarne. "Il s'agit clairement d'une stratégie visant à manger des parts de marché", a ajouté un autre responsable du groupe, rappelant qu'il y a seulement cinq ans, les TV LCD étaient totalement absentes du catalogue Sony. La section Blu-Ray Disc, format désormais unique de DVD de grande capacité pour stocker des contenus vidéo en haute définition, est elle aussi encore déficitaire, mais le passage en zone positive est prévu pour cette année.
Par ailleurs, le groupe a notablement réduit ses pertes sur la division des jeux vidéo, grâce à une forte augmentation des ventes de consoles de dernière génération PlayStation 3 (PS3) et des modèles portables PSP, ainsi que des jeux.
Quelque 9,24 millions de PS3 ont été achetées au cours de la période d'avril 2007 à mars 2008, ce qui porte le total à 12,85 millions depuis le lancement de cette puissante machine fin 2006. C'est un peu inférieur aux objectifs et très nettement moins bien que Nintendo avec sa Wii (24,45 millions écoulées depuis le lancement en décembre 2006), mais la bataille est loin d'être terminée. Le nombre de boîtes de jeux édités par Sony pour la PS3 vendues durant l'exercice passé a pour sa part atteint 57,9 millions d'unités auxquelles s'ajoutent les 13,3 millions écoulées avant avril 2007, sans compter les titres proposés par des studios de développement tiers. Entre avril 2007 et mars 2008, le groupe a également vendu 13,9 millions de PSP (50% de plus que l'année d'avant) et 13,7 millions de PlayStation 2 (7% de moins).
Sony pense désormais vendre 10 millions de PS3 de plus cette année, sans faire du dumping, sans tricher. En effet, si Nintendo n'a pas l'intention de baisser le prix de la Wii, Sony n'a pour sa part nullement la possibilité de brader sa PS3 dont le tarif de revient reste plus élevé que la somme à laquelle elle est proposée en magasin, en dépit de continuelles réductions de coûts sur les composants. Même si le groupe s'attend à perdre encore de l'argent sur les seules PS3, il table sur les jeux associés pour contre-balancer afin d'équilibrer dès cette année les comptes de la « plate-forme PS3 » (jeux + console) et sortir ainsi sa filiale de jeux du rouge. Sony, qui détient aussi une banque et une société d'assurance au Japon, a aussi tiré quelques profits de ses activités de studio de cinéma et de maison de disques (Sony Music et Sony BMG), notamment grâce à sa filiale nippone. Cette dernière exploite un catalogue d'artistes locaux archi-populaires dont les singles et albums se vendent en masse via les sites de téléchargement pour mobiles, ainsi qu'en CD.
Conclusion: les "vieilles maisons", surprises par l'arrivée dans leur secteur de nouveaux venus qui bousculent la donne avec des produits inédits en profitant intelligemment des progrès technologiques, sont certes sonnées sur le coup, c'est le cas de JVC et Kenwood, mais il serait hâtif de les considérer comme "has-been". Sony, que d'aucuns qualifiaient de moribond il n'y a pas si longtemps, vient d'en apporter une preuve réjouissante.