Trois ans après les débats associés à la loi DADVSI, difficile d'éviter les redites, et la trentaine d'artistes réunie sous l'égide de la Sacem lundi matin n'a pu éviter certaines antiennes. Relativement convenu, le discours n'en est pas moins celui d'une profession diverse - ici représentée par un aréopage symbole de sa diversité : cinéastes (JJ Annaud, JC Carrière, A Corneau), variété et nouvelle scène (R Luce, C Mahé, E Da Silva), jazzmen et indépendants - qui craint pour son avenir, et refuse qu'on la suppose manipulée par les majors, syndicats ou sociétés d'auteur.
« C'est une bonne loi, probablement incomplète, mais qui s'ajoute à d'autres lois déjà existantes », a affirmé Jean-Claude Carrière, pour qui il s'agit de « défendre un droit attaqué par la gratuité ». « Sur les forums, les internautes ne demandent pas comment ne pas se faire piquer, mais juste comment télécharger », appuie Sanseverino, pour qui il est simplement devenu logique de récupérer musique et films par ce biais.
Alain Corneau s'est de son côté insurgé contre le caractère « quasi-mystique » que l'on confère à Internet. « Il s'agit d'un moyen de communication créé par les hommes, on doit donc pouvoir le réguler », a-t-il affirmé, avant de rappeler qu'il était logique qu'un vol soit sanctionné par une privation de libertés et donc de rejeter l'argument selon lequel la suspension de l'abonnement à Internet constituait une violation des libertés individuelles. « Quand on vole dans un magasin, on s'expose à aller en prison », résume-t-il. « La liberté d'expression est justement indissociable du droit d'auteur », défend encore JC Carrière, « si on lui coupe ces droits, l'auteur se retrouve asservi ».
Autre argument, qui fait l'unanimité lundi parmi les artistes présents : laisser le piratage saper les revenus de l'industrie, c'est compromettre la diversité culturelle. « C'est ça qui est liberticide, puisqu'on ne pourra plus offrir au citoyen un point de vue très large », commente Bertrand Burgalat, qui dit craindre que seuls les grands groupes, et donc les grandes majors, puissent survivre.
La fronde des internautes ne serait donc pas justifiée. « Si les gens sont énervés, c'est qu'ils veulent continuer à télécharger tranquillement », proteste Alain Corneau. D'autres soulignent le traitement accordé au sujet par les médias, accusés de faire leurs « choux gras » d'une affaire amplifiée par la démagogie dont font preuve certains politiques. « Cette loi est juste même si elle vient d'un gouvernement auquel on n'adhère pas », soutient Da Silva à l'issue d'une longue diatribe. « On ne surveille pas les internautes, on surveille les œuvres », ajoute-t-il.
Les Anciens contre les Modernes ?
Après quinze jours de suspension, c'est donc lundi après-midi, vers 17h30, que doivent reprendre les débats à l'Assemblée nationale. Un laps de temps malvenu pour les défenseurs du projet de loi, puisqu'il a permis au Parlement européen de se prononcer en faveur d'un rapport selon lequel la suspension de l'accès à Internet équivaudrait à une violation du droit à l'accès à l'éducation, considéré comme une liberté fondamentale.
Bien que cette décision n'ait aucune portée juridique pour Bernard Miyet, président du directoire de la Sacem comme pour Franck Riester, rapporteur UMP du projet de loi, elle constituera un soutien bienvenu à l'argumentation de députés qui suggèrent qu'une amende, et non une suspension de l'accès à Internet, vienne frapper les contrevenants. Quatre amendements allant dans ce sens ont ainsi été déposés par les députés Martin Lalande (UMP) et Jean Dionis du Séjour (NC). Il se murmure d'ailleurs que la majorité pourrait finalement défendre cette idée, avant de revenir à la suspension de l'abonnement une fois que les fournisseurs d'accès auront pu expérimenter les moyens de la mettre en oeuvre, même si officiellement, le gouvernement estime que l'amende est par essence « inégalitaire », et reviendrait à un « permis de télécharger » pour ceux qui en ont les moyens.
Incapable de faire l'unanimité au sein de la majorité, le texte laisse sceptiques les jeunes de l'UMP, et ne recueille qu'un assentiment réservé de la part de la secrétaire d'Etat au Numérique, Nathalie Kosciusco-Morizet, que l'on aurait pourtant pensée concernée au premier chef par la question. « Il faut réduire le décalage entre les attentes du public et ce qu'on lui propose », a-t-elle déclaré dimanche dans une interview au JDD, tout en concédant que le texte n'épuisait « pas la question des modèles économiques ».
L'histoire de la littérature a montré qu'il était possible de s'affranchir des modèles littéraires issus de l'Antiquité. En ira-t-il de même pour la diffusion de la Culture à l'heure d'Internet, que les artistes réunis lundi reconnaissaient comme un formidable outil pour lutter contre le sectarisme et encourager la découverte ?
Liste complète des artistes présents :
Musique : Françoise Hardy, Dany, Aldebert, Louisy Joseph, Sanseverino, Alain Chamfort, Christophe Mae, William Baldé, Jean Fauque, Claude Lemesle, Renan Luce, Didier Lockwood, Agnès Bihl, Bernard Cavanna, Maxime Le Forestier, Thomas Dutronc, Gotan Project, Ridan, Ycare, Da Silva, Bertrand Burgalat, Jean-Patrick Capdevielle, Philippe Lavil, Tété, Daphné, Yves Simon, Arthur H, Stanislas.
Cinéma : Jean-Jacques Annaud, Christian Carrion, Jean-Claude Carrière, Alain Corneau, Radu Milhaileanu, Nadine Trintignant.
Audiovisuel : William Karel, Illustration : Wiaz.