Au moins quatre cas d'iPhone dont l'écran s'est soudainement fissuré ont été rapportés dans la journée de mercredi par différents médias en ligne, ce qui porte à une douzaine environ le nombre d'incidents recensés depuis le début du mois d'août. Cette vague d'incidents, qui intervient alors que pouvoirs publics et associations de consommateurs s'emparent progressivement du dossier, a une nouvelle fois valu à l'iPhone les honneurs de certains journaux télévisés de 20 heures. En attendant que les enquêtes déterminent les causes exactes de cette étrange épidémie qui semble ne toucher que la France, retour sur cette série noire, les possibles causes du phénomène et le traitement qui est accordé à ce dernier.
« Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire ». Ce ver d'Apollinaire résume finalement assez bien l'étrangeté de la situation. Tout commence le 7 août dernier, dans le sud de la France, lorsque le quotidien La Provence relate les mésaventures de Romain, un jeune Aixois dont l'iPhone se serait soudain mis à « crépiter », avant que l'écran ne se fissure brusquement et qu'un éclat de verre lui jaillisse dans l'oeil. L'iPhone ne serait pas tombé, et n'aurait pas été exposé à une chaleur extrême : le jeune homme affirme qu'il était simplement en train de téléphoner. Facteur aggravant : cet incident se produit quelques jours seulement après qu'Apple a été accusé d'avoir tenté d'acheter le silence d'une famille anglaise chez qui un baladeur iPod aurait soudainement pris feu.
La loi des séries
Rebelote quatre jours plus tard, avec la découverte d'un nouveau cas à Marseille. Lui n'a pas reçu d'éclat de verre dans l'oeil, mais l'écran de son iPhone semble complètement fissuré. Le plus étrange dans l'affaire est que le terminal fonctionne toujours, même si ses capacités tactiles se trouvent quelque peu amoindries. Jusqu'ici cantonnée à la sphère Web, celle que l'on baptise déjà « l'affaire des iPhone explosifs » gagne les télévisions nationales qui toutes diffusent des images de Romain montrant son iPhone à l'écran étoilé.
Une telle exposition ne pouvait laisser indifférent, et rapidement de nouveaux incidents sont rapportés par les médias, qui vont jusqu'à accorder leur Une lorsqu'ils sont en position d'exclusivité sur le sujet. Il faut dire que l'affaire suscite un certain intérêt : la vidéo dans laquelle un journaliste d'Europe 1 interroge une jeune victime totalise plus de 60.000 consultations sur le Web en deux jours. De fil en aiguille, on dénombre jeudi au moins douze cas. Si les premiers étaient étonnamment concentrés dans le sud de la France, la région parisienne peut désormais se targuer d'elle aussi être touchée par l'épidémie : Noisy-le-Sec, Versailles et Achères-la-forêt comptent désormais leur iPhone fissuré. Non sans humour, un journaliste du Figaro entreprend de recenser les cas sur une carte interactive.
Afficher La carte de France des iPhone craquelés sur une carte plus grande
Selon les cas, les circonstances varient, mais le résultat est toujours le même. « Je le prends pour répondre, j'appuie sur le bouton et là, l'écran se fissure. Ça n'a même pas duré trois secondes. En une seconde c'était fait. C'était très impressionnant. », explique Raphaël, l'un des derniers à s'être manifesté. Deux rapportent avoir reçu un éclat de verre dans l'oeil. Tous affichent, fièrement ou non, un iPhone dont l'écran est effectivement brisé, même si les fêlures ne sont pas toutes identiques.
Explosion, implosion ?
En examinant les différentes photos publiées sur le Web, quelques sceptiques se demandent si certaines de ces victimes autoproclamées n'ont pas accidentellement cassé leur iPhone, puis tenté de profiter de l'alléchante perche tendue par la presse pour en obtenir un nouveau sans frais, auréolé d'une gloriole temporaire. Les nombreuses approximations des médias, dont certains mélangeaient cette semaine encore « explosions », « implosions » et « éclatements » n'arrangent rien à l'affaire. Aucun ne va d'ailleurs jusqu'à détailler précisément les circonstances, en listant par exemple l'âge de l'appareil ou son modèle exact. 3G ou 3GS ?
Toutes les victimes, ou presque, indiquent avoir pris contact avec le service après vente de leur opérateur, qui les a renvoyées vers celui d'Apple. Là, la réponse varie dans la forme mais le fond est, d'après les témoignages recueillis, toujours le même : nous ne sommes pas au courant de tels incidents, pour lesquels on ne discerne aucune cause plausible ; vous devez donc d'une façon ou d'une autre être responsable du bris de l'écran de votre iPhone.
Suite au premier de ces incidents, Apple garde le silence pendant plus d'une semaine, et ne le rompt qu'après communication à la presse de la Commission européenne, pour indiquer qu'à sa connaissance, il ne s'agit que d'accidents isolés, sur lesquels il est impossible de se prononcer sans enquête approfondie. Pour l'instant, aucun résultat d'analyse n'a été rendu public, même si l'une des victimes a assuré à la rédaction de LCI qu'il était prêt à la financer avant de trainer Apple en justice si cela était nécessaire.
Dans l'intervalle, grand public et médias en sont réduits aux conjectures. Les JT convoquent blogueurs high-tech et spécialistes proclamés qui dans un premier temps défendent, comme nous l'avons nous même fait, l'hypothèse d'une batterie défectueuse. L'histoire de l'électronique grand public regorge en effet d'accidents liés à des batteries lithium-ion s'étant soudainement échauffées ou enflammées : il apparait donc plausible que l'iPhone ait été victime de ce phénomène.
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère
A y regarder de plus près, cette dernière ne tient pas : dans plusieurs des accidents relatés, l'iPhone fonctionne sans encombre, ce qui serait impossible si sa batterie avait connu un court-circuit. On constate par ailleurs que la coque plastique de l'appareil ne présente le plus souvent aucune trace de dégâts, alors qu'elle est au contact direct de la batterie. La piste batterie est alors abandonnée au profit d'un autre coupable potentiel : l'écran. Réputé solide, difficile à rayer, l'écran de l'iPhone n'est en effet pas à l'abri d'un vice de fabrication. On imagine alors une série d'iPhone destinés à la France dont l'écran pourrait présenter un défaut le conduisant à se fissurer brusquement. L'hypothèse expliquerait pourquoi seule une dizaine d'appareil est touchée en France alors qu'Apple affiche quelque 26 millions d'iPhone dans le monde.
Pendant que le phénomène prend de l'ampleur, la DGCCRF dit avoir diligenté une enquête. Hervé Novelli, secrétaire d'Etat chargé du Commerce et de la Consommation devrait quant à lui rencontrer vendredi le directeur commercial d'Apple France, Michel Coulomb. « Hervé Novelli rappellera les obligations générales de sécurité qui incombent aux entreprises concernant les appareils mis sur le marché à disposition des consommateurs », indique un bref communiqué du ministère de l'économie et des finances. Bien qu'aucune des victimes, réelles ou supposées, n'ait été blessée, cette intervention contribuera peut-être à mettre un peu d'ordre dans ce que Balzac aurait sans doute qualifié de Ténébreuse affaire.