Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse ? En parallèle de la mission Zelnik lancée par le ministère de la Culture, la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques (SACD) vient de publier une liste de dix propositions visant à améliorer le financement de la création culturelle en France. Parmi dix mesures relativement consensuelles, comme l'application d'une TVA à 5,5%, un raccourcissement de la chronologie des médias ou la création d'une plateforme publique de référencement des œuvres, on trouve une proposition aux accents de serpent de mer : la taxation des revenus issus de la publicité en ligne, de façon à alimenter un fonds de soutien à la création. En ligne de mire : les régies publicitaires, de Google à Microsoft en passant par les grands groupes médias.
Suivre les recettes publicitaires de la TV vers le Web
A même de faire hurler les intéressés, cette suggestion est étayée par le constat suivant : petit à petit, les recettes publicitaires se déportent des canaux traditionnels, à commencer par la télévision, vers le Web. Or les chaines et groupes de télévision participent aujourd'hui de façon non négligeable à la création par le biais d'investissement dont le montant dépend directement de leurs rentrées d'argent. Autrement dit, si des groupes comme TF1, M6 ou Canal+ voient leurs recettes publicitaires dégringoler, les sommes consacrées au cinéma ou aux arts en général baisseront dans des proportions similaires.
Pour la SACD, il est donc nécessaire que les obligations de financement emboitent le pas aux recettes. « Si ce transfert ne s'accompagne pas de la mise en place d'une contribution en faveur de la création et de la diversité culturelle des acteurs générant des recettes publicitaires sur Internet, en lien notamment avec la diffusion de contenus audiovisuels et cinématographiques, il y a fort à craindre que le régime de soutien français à la diversité culturelle soit durablement et fortement déstabilisé », indique-t-elle au point numéro 7 de ses dix propositions.
Pour pallier cette déficience de la télévision, il conviendrait donc de taxer les recettes publicitaires générées sur Internet, « notamment par les sites et moteurs de recherche assurant la diffusion de programmes audiovisuels qui en sont aujourd'hui totalement exonérés », au profit d'un fonds de soutien à la création. Moteurs de recherche, services d'hébergement, sites diffusant des contenus vidéo, la liste des cibles potentielles est longue.
« Les fournisseurs d'accès à internet ont besoin d'une pause fiscale. En revanche les grands oubliés du financement de la création sont les moteurs de recherche qui font l'intermédiaire entre l'internaute et le contenu. Or ce sont les grands gagnants du système », précise Pascal Rogard, président de la SACD.
Afin d'être en mesure de taxer les recettes de sociétés non françaises telles que Google ou Microsoft, la SACD suggère en outre que ces dernières soient taxées à la source, directement chez l'annonceur.
Une idée récurrente
La proposition de la SACD intervient dans un climat propice. Si en France, Internet n'est que le troisième support pour les dépenses publicitaires (graphique ci-dessous), la Toile vient pour la première fois de dépasser la télévision au Royaume Uni, d'après les chiffres du premier semestre de l'année. Et pourtant, l'idée n'est pas neuve. Défendue par cette même SACD début 2007, elle a été étudiée à plusieurs reprises par le Parlement, notamment dans le cadre de la loi de réforme de l'audiovisuel public.
Les éditeurs concernés, sites Web, plateformes et moteurs, estiment quant à eux qu'une telle taxe serait préjudiciable aussi bien à leurs activités qu'à celles qu'elle serait censée financer. L'Asic (Association des services internet communautaires) avait joliment résumé son opposition à cette idée en début d'année par la formule suivante : « Taxer la marine à vapeur pour financer la marine à voile ».
« Cela participerait à faire de la France un enfer fiscal numérique », estime pour sa part Olivier Esper, responsable des relations institutionnelles de Google France, interrogé par Ecrans.fr. « De plus, la proposition est paradoxale car cela reviendrait à pénaliser les contenus français en ligne alors qu'on devrait au contraire les promouvoir. On devrait également promouvoir les contenus innovants et indépendants, et c'est justement ceux qui vont avoir l'audace de tester les nouveaux outils qui vont se faire taxer », poursuit-il.
La SACD et les éditeurs de service en ligne devraient avoir l'occasion d'exposer leur point de vue aux représentants de la mission Zelnik dans les semaines à venir. Lorsque cette dernière rendra ses conclusions, en novembre prochain, l'idée d'une taxe appliquée aux services audiovisuels en ligne refera donc peut-être surface.