Droit à l'oubli, contrôle d'Internet, début de débat ?

Alexandre Laurent
Publié le 08 décembre 2009 à 01h51
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Ne boudons pas notre plaisir : il est rare que la télévision accorde une heure de son temps aux problématiques liées à Internet sans tomber dans des travers faciles, voire dans une stigmatisation grossière des méfaits liés à ce réseau par nature difficile à réguler, même si les règles ne manquent pas. France 3 a tenté lundi soir de relever le défi, au travers de l'émission Ce soir ou jamais, en réunissant plusieurs personnalités autour d'un sujet qui fait rage, en France et au-delà de nos frontières : faut-il contrôler Internet ?

Au menu de cette heure de débats en direct, on retrouve du côté des pro-régulation Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP coutumier des sorties fracassantes dès qu'on touche à la Toile, puis Jacques Séguéla, fameux publicitaire, lui aussi régulièrement raillé par les internautes suite à quelques déclarations sans compromis telles que « Internet est la pire saloperie que l'homme a jamais inventée » ou « les femmes devraient censurer Google ». En face, Benjamin Bayart, président du French Data Network (FDN), farouche partisan de la neutralité du Net, Yoram Elkaim, directeur juridique EMEA de Google - qui nécessairement prêche pour sa paroisse ; Emmanuel Hoog, PDG de l'INA, et Bastien Millot, conseiller en communication.

Comme tout débat réalisé dans le carcan draconien que représente le temps d'antenne en direct, les échanges ne sont pas allé au fond des choses (les spécialistes resteront donc sur leur faim) mais ils auront le mérite de soulever certaines questions bien concrètes, et de laisser des points de vue divergents s'exprimer. Passionnés que nous sommes par ces questions, nous ne pouvions manquer de suivre ces débats. A défaut de substantifique moelle sur ces questions de fond, Clubic vous propose, à chaud, un compte rendu remis en ordre des arguments échangés, qui permettra à certains d'étayer leur réflexion sur le sujet. Le cas échéant, il en restera sans doute quelques jolis aphorismes...

Du droit à l'oubli sur Internet

Si sur les médias spécialisés, on se laisse parfois à négliger les profanes pour entrer directement dans le vif du sujet, il n'en va pas de même en télévision, où l'on sait que le téléspectateur aura vite fait de changer de chaine s'il ne sait pas de quoi on parle. D'où l'intérêt de démarrer cette séance de débat par un exemple bien concret : en l'occurrence, celui de cette jeune québécoise, qui s'est vue sucrer ses indemnités d'arrêt maladie parce qu'elle avait posté des photos d'elle, tout sourire dehors, sur Facebook. Une anecdote qui a rapidement fait le tour du monde, et qui pose le problème du rapport que l'on entretient avec les informations qu'on publie en ligne. En corollaire, le difficile problème du droit à l'oubli.

« A partir du moment où on l'ouvre sur Internet, on est une personnalité publique », résume Benjamin Bayart. « Quand je publie, je rends public ». Autrement dit, je suis responsable de mes actes et je sais que lorsque je poste un message sur les forums de Clubic ou une photo sur Facebook, ces contenus sont susceptibles d'être lus a posteriori.

Il y a les contenus qu'on publie, mais aussi ceux que d'autres publient à votre insu, rétorque Jacques Séguéla, qui prend l'exemple de la championne de natation Laure Manaudou, dont des photos intimes ont été publiées en ligne sans son consentement. Pour lui, un garde-fou est indispensable : « mes propres photos m'appartiennent, on ne peut pas laisser ça pour des siècles et des siècles sur le net ». Louant le fabuleux champ des possibles qu'ouvre le Web, notamment en matière de publicité, le cofondateur d'Euro RSCG en appelle à une forme d'auto-régulation d'Internet, où les « intercitoyens » sauraient eux-mêmes juguler les contenus préjudiciables.

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Faut-il pour autant légiférer sur le droit à l'oubli ? Non, selon Bastien Millot, qui rappelle qu'aujourd'hui, on ne trouve plus trace des photos compromettantes de Laure Manaudou, dans la mesure où la sportive a joué de tous les ressorts prévus par la loi pour les faire disparaitre des sites français ou francophones. Dans ce genre de situation, « il y a déjà un arsenal juridique », confirme Yoram Elkaim, de Google. On versera toutefois au dossier l'élément suivant : les photos incriminées restent très aisément accessibles en ligne pour qui sait les chercher...

« La difficulté est plus dans la sensibilisation aux usages », ajoute Yoram Elkaim. Sensibiliser d'une part l'internaute en tant que producteur d'informations susceptibles de rester accessibles en ligne, mais aussi en tant que consommateur d'information : apprendre à décrypter les informations, tenir compte de la source qui les relaie, etc.

La tâche n'a rien d'une gageure, ne manque pas de souligner Frédéric Lefebvre. Le porte parole de l'UMP rappelle à ce sujet que dans l'un de ses journaux télévisés, la chaine M6 (éditrice via l'une de ses filiales de Clubic) a récemment été abusée par un montage vidéo diffusé sur Internet. Selon lui, la solution passerait par une régulation au niveau mondial. Puisqu'un moteur de recherche tel que Google ne peut assurer son service en s'adaptant aux différentes législations nationales, il faudrait gérer les choses de façon globale, comme le font actuellement les grands états au niveau financier suite à la crise.

Jacques Séguéla rappelle les terribles événement qu'a pu faciliter Internet, comme ces adolescents conduits au suicide parce qu'ils ont été victimes de canulars. « On se tue à cause d'Internet », affirme-t-il avec fougue. Sans nier l'intensité de ces drames, Taddei désamorce la bombe en rappelant que de tels drames peuvent être occasionnés par un harcèlement téléphonique ou par des lettres anonymes. Pour Bayart, le « seul bon traitement, c'est d'apprendre aux gens à parler en public, à écrire publiquement, à savoir qu'on ne poste pas des billets d'amour sur son blog public ».

Internet régulé... au niveau mondial ?

Chantre de l'information en temps réel, Internet est aussi le support qui n'oublie pas facilement. « Internet abolit la distance et le temps, or la justice est ancrée dans l'espace et le temps », argumente Jacques Séguéla, à deux doigts du syllogisme. Le sujet ne sera toutefois approfondi, la faute à un court interlude rappelant à quel point Internet joue un rôle de catalyseur lorsqu'un homme politique se laisse aller à tenir des propos délicats. Le « Casse toi pauvre con » de Nicolas Sarkozy, ou l'histoire des Auvergnats de Brice Hortefeux auraient-ils connu un tel retentissement s'ils n'avaient pas été si largement relayés en ligne...

Pour Frédéric Lefebvre, les « gens malveillants sont une minorité, mais sur Internet, ils se protègent derrière l'anonymat », ce qui n'est pas aussi simple hors ligne. « Perte de pouvoir pour l'establishment ?  », interroge Frédéric Taddei, l'animateur. Du côté de Google, on rappelle que les gens peuvent être retrouvés sur Internet, ce qui soulève d'ailleurs un autre débat : la contradiction entre la nécessité de conserver des traces des actions commises en ligne, et la maitrise de l'individu sur les informations personnelles qui sont enregistrées par les différents sites, hébergeurs ou moteurs de recherche.

Du point de vue de Google, la conservation des données pendant neuf ou douze mois ne pose guère de problème, surtout lorsque ces dernières ont été rendues anonymes. Elle servent en outre la qualité de service, dans la mesure où elles permettent d'améliorer l'efficacité d'un moteur de recherche en tirant parti de l'expérience acquise, fait valoir Yoram Elkaim. L'argument ne fait pas mouche du côté de Benjamin Bayart, pour qui les états d'âme d'un particulier n'ont que peu de poids face aux intérêts d'une multinationale dont la valorisation boursière se compte en centaines de milliards de dollars.

Internet, la démocratie de demain ?

Particuliers comme personnalités publiques devraient apprendre à tenir compte de ce canal où la moindre information peut prendre des proportions terribles, qu'elle soit ou non sortie de son contexte. Parfois victimes, les hommes politiques ont aussi appris à utiliser cet outil. Comme lorsque le député Bernard Frimat profite d'un rappel au règlement à l'Assemblée nationale pour souligner publiquement que le maire de Nice et ministre de l'Industrie, Christian Estrosi, poste pendant les débats des messages peu amènes - et bourrés de fautes d'orthographe - envers les socialistes sur Twitter.

Pour Bastien Millot, la tentation de vouloir absolument réguler Internet viendrait peut-être du fait que de nombreux hommes politiques ne maitrisent pas cet outil. Tête de turc des internautes, qui l'ont fait temporairement bannir de Twitter, Frédéric Lefebvre est peut-être celui qui a su le mieux s'approprier cet outil. S'il a si vite appris, c'est peut-être parce qu'il a subi les attaques les plus virulentes.

Bloqué sur Twitter (son compte aurait été dénoncé comme un spam, Frédéric Lefebvre se félicite d'avoir pu doubler ses opposants. « J'ai passé un coup de fil à Loic Le Meur, qui a prévenu Twitter, ils ont rétabli le compte et j'ai été le premier compte certifié de France. Donc je remercie mes adversaires, puisque maintenant ça me permet de communiquer avec eux. », explique-t-il. Quelques minutes plus tard, il lâchera que l'un des dangers d'Internet, « c'est que à force de faire des copier coller, on oublie la création ».

Et la régulation dans tout ça ? Emmanuel Hoog, de l'INA, imagine que cet Internet déjà si présent dans notre quotidien occupera demain une place toujours plus importante. « Demain le vote se fera peut-être sur Internet », argue-t-il. Dès lors, il serait illusoire de compter sur une quelconque autorégulation, basée sur l'éducation des internautes. En contrepartie de cette montée en puissance, notamment au niveau du processus démocratique, il convient que la vie privée de chacun soit convenablement protégée, ce qui ne peut se faire sans le droit.

Un espace de démocratie se doit d'être régi, acqiesce Jacques Séguéla, pour qui le XXIe siècle signerait, après les révolutions marchande et industrielle, le début d'une ère de l'« infotriel ». « Il faut que nous apprenions à gérer cet immatériel », ajoute-t-il. Cette gestion doit-elle passer par un contrôle autoritaire ? La question reste ouverte. Pour ceux qui souhaiteraient retrouver la teneur exacte des échanges, l'enregistrement de l'émission devrait être proposé en télévision de rattrapage dans la journée sur le site de France 3.
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