Pierre Pigaglio, bonjour. Peut-on vraiment saluer le modèle de déploiement de la fibre à la française lorsqu'on le compare aux autres initiatives européennes ?
Pierre Pigaglio - La France rentre dans le classement européen, ce qui est un début de reconnaissance pour les efforts accomplis. D'autres pays ont toutefois des modèles de déploiement intéressants, comme le Portugal par exemple, où le gouvernement a réussi à élaborer une plateforme d'entente, valable sur le plan financier, réunissant tous les acteurs impliqués dans le déploiement. Il a ensuite impulsé un véritable mouvement en faisant raccorder tous les sites publics. Ces chantiers publics ont ensuite facilité le raccordement des domiciles situés aux alentours.
Lancé à l'initiative du Premier ministre, ce projet alliant objectifs politiques et économiques a été bien mené. Des prix finaux plancher ont été calculés, à partir desquels l'offre s'est rapidement structurée, sans bataille idéologique puisqu'il y avait un objectif clair à tenir. Dans la mesure où tous les acteurs ont été réunis autour de la table - BTP, opérateurs, raccordeurs, éditeurs de bouquets, etc - l'adhésion a été nationale.
N'est-ce pas le cas en France, maintenant que le cadre réglementaire a été arrêté et que France Télécom a accepté de se ranger au modèle défini par l'Arcep ?
La situation a bien avancé en France, du côté du régulateur comme du côté des opérateurs. Aujourd'hui, tout le monde se rend compte qu'il faut s'unir et mutualiser. Le gouvernement, avec le plan d'investissement issu du grand emprunt, impulse aussi un bon mouvement, qui devrait se révéler un facteur d'entrainement pour l'ensemble des acteurs. Le mouvement de France Télécom est effectivement sain. Avec l'image de marque d'un acteur mondial des télécoms, il ne pouvait pas se satisfaire d'un statu quo ou risquer de se faire dépasser sur le plan technologique. Mais encore une fois, il manque une pulsion politique, une réelle volonté de faciliter l'accès à la fibre, qui aurait une valeur éducative sur le client. Aujourd'hui, tout le monde n'a pas encore bien compris pourquoi s'équiper en fibre plutôt qu'en ADSL par exemple.
Dans ce contexte, quel objectif fixer en matière de couverture du territoire ?
Il reste encore le dilemme de la plateforme financière, puisque la couverture suppose des frais de déploiement massifs au niveau des DSP (Délégations de Service Public, ndlr), qu'il est compliqué de mettre en oeuvre dans les zones moyennement dense. l'idée d'une couverture fibre à 100% n'est pas crédible. Elle est d'ailleurs à peine souhaitable, tant les coûts de raccordement seraient aberrants.
En France, il faut prendre en compte la mixité entre zones denses et habitat dispersé. Le satellite ou le CPL (Courant porteur en ligne, ndlr) sont des alternatives intéressantes. On sait aussi que les réseaux mobiles vont être renforcés. Ici, on gagnerait à disposer d'une plateforme commune, une commission, une entité engagée dans l'opérationnel qui permettrait à chacun d'exprimer ses contraintes et pourrait ensuite conduire à une prise de décision efficace.
On en revient donc à cet effort de mutualisation ?
Bien sûr. Et il n'y aura pas de mutualisation si l'on ne sait pas ce qu'on partage. Les réseaux seront amenés à évoluer. Ne retombons donc pas dans les erreurs qui remontent à l'époque du cuivre, où il n'y avait pas de référentiel et pas de construction d'un historique. Il ne faut pas oublier que la connaissance du cuivre ou de la fibre n'est rien si l'on ne connait pas le réseau. Dans les travaux de déploiement, c'est toujours le génie civil qui coûte le plus cher, avec de 50 à 85% des coûts. A côté du béton, de la construction des chambres, etc., le fait de tirer la fibre ne représente pas grand chose. Pour accélérer le mouvement, on commence par exemple à s'intéresser au raccordement en façade. Là encore, une bonne connaissance de l'infrastructure et une étude sérieuse sont indispensables pour déterminer s'il s'agit d'une option à retenir. On peut alors envisager toutes les technologies et toutes les possibilités de raccordement.
Le FTTB ne serait-il pas justement le bon moyen pour accélérer le déploiement dans les zones denses ?
FTTB ou FTTH (fibre jusqu'en bas de l'immeuble ou fibre jusqu'au domicile, ndlr), c'est un faux débat. A terme, on voudra des débits symétriques dont il faut de la fibre. En tant qu'utilisateur, je veux de la fibre et au travers de toutes les études, on voit bien que la solution à long terme est la fibre, que ce soit pour des usages professionnels, des expériences de télé-médecine, des centres de service ou de support... mais aussi bien sûr les usages liés au téléchargement, qui sont une réalité, ou la télévision sur la fibre. Dans tous les cas, il faudra du débit, et mon propos n'est pas sponsorisé !
Le FTTB peut donc être une solution d'attente. Si vous disposez d'un immeuble déjà équipé en desserte et qu'on peut proposer 20 ou 30 Mb/s, il faut le faire, en partant du principe qu'on verra par la suite comment améliorer l'ensemble. D'où l'intérêt de disposer d'un historique, qui rendra plus aisées les évolutions le moment venu.
Le marché de la fibre trouvera-t-il son équilibre, entre des investissements très importants et des offres commerciales encore peu développées ?
L'équilibre est plus aisé à obtenir pour un opérateur comme Numericable, à la fois raccordeur et diffuseur. Ils ont réfléchi à leurs prix, qui correspondent à leur logique économique. En règle générale, on a des offres attractives qui a priori répondent à l'équilibre, mais pour l'instant on n'est pas e mesure de servir tout le monde. Aujourd'hui, si l'on découvre une offre attractive, il faut attendre de voir si l'on peut être raccordé avant de la souscrire. Il y a donc déception si on ne l'est pas. On en revient donc à la nécessité d'un plan de déploiement massif, pour que le raccordement devienne plus facile et qu'il n'y ait pas de déception du public. Il entrainerait une adhésion massive, et donc la rentabilité.