L'Anses a récemment identifié le management algorithmique comme un des « facteurs majeurs de risques » pour la santé des livreurs à deux-roues. Ce système, qui attribue automatiquement les courses via une IA sans intervention humaine, génère stress, épuisement et accidents chez les travailleurs des plateformes comme Uber Eats et Deliveroo.

Comme le note l'Anses, le nombre de livreurs s'est multiplié en France depuis 2010, et a « explosé depuis la pandémie de Covid-19 ». Le 18 mars dernier, plusieurs travailleurs ont manifesté dans différentes villes françaises pour dénoncer leurs conditions de travail. « Les livreurs prennent les risques, les plateformes les bénéfices », pouvait-on lire sur une banderole.
Dans ce contexte, l'Anses a publié le 26 mars dernier un rapport qui analyse les risques pour la santé des livreurs. Elle y pointe particulièrement le rôle du « management algorithmique », un modèle de gestion privilégié par les plateformes, à l'instar de Deliveroo ou Uber Eats, qui fonctionne sans interaction humaine directe et qui automatise entièrement le pilotage de l'activité des livreurs.
L'algorithme crée une pression constante et une opacité qui isolent les livreurs
Le management algorithmique consiste à utiliser une intelligence artificielle pour attribuer des tâches aux travailleurs, avec pour objectif d'optimiser le rendement économique de la plateforme. Ce système supprime toute interaction humaine directe en éliminant la possibilité de discussion entre le travailleur et l'entreprise. Un tour devant un fast-food montre cette réalité, comme a pu le constater Le Figaro : les livreurs, scotchés à leurs téléphones, attendent qu'une course leur soit attribuée par l'algorithme.
L'Anses souligne que ce type de management « est source d'asymétrie informationnelle exacerbée entre plateformes et livreurs, par rapport à l'organisation classique du travail, et d'opacité pour les livreurs ». En effet, l'algorithme fixe les prix des courses, la rémunération des coursiers et constitue le lien quasi unique avec la plateforme. Les processus automatisés gèrent l'évaluation des prestations par les consommateurs, les évolutions de rémunération, les règles d'attribution des courses et les sanctions, sans possibilité pour les livreurs de comprendre les mécanismes.
Cette méconnaissance du fonctionnement de l'algorithme pousse les travailleurs à développer des comportements risqués. Selon une étude de 2019 citée par l'Anses, certains livreurs préfèrent rouler même sans commande parce qu'ils pensent augmenter leurs chances d'obtenir une course.

Les effets sur la santé apparaissent à court, moyen et long terme
Les conditions de travail spécifiques aux livreurs créent un environnement particulièrement propice à l'épuisement. Ils cumulent une activité physique intense à vélo ou à deux-roues motorisées dans un milieu urbain, l'exposition aux risques routiers dans des environnements peu adaptés aux vélos, les conditions météorologiques variées et la pollution. À cela s'ajoutent un statut précaire, des revenus instables et souvent bas, et un isolement social.
« Les livreurs sont soumis à une pression constante qui les amène à élaborer des stratégies d'auto-accélération », notent les experts de l'Anses. Ces comportements conduisent « à un risque d'épuisement physique, cognitif et émotionnel » et « favorisent la survenue de burn-out, de dépression, d'anxiété, d'accidents et de troubles du sommeil ».
Le rapport de l'Anses détaille précisément les impacts selon trois temporalités. À court terme : traumatismes dus aux accidents de la route ou aux chutes, et troubles musculosquelettiques causés par une mauvaise ergonomie « humain-vélo ». À moyen terme : atteintes à la santé mentale (stress, fatigue, épuisement) liées à la pression constante des notifications et à l'isolement. À long terme : troubles du sommeil, maladies métaboliques, respiratoires ou cardiovasculaires liés aux horaires atypiques et à l'environnement de travail.
Tout ce que peut faire l'Anses est de recommander l'obligation de l'application des dispositions du Code du travail garantissant une protection équivalente à celle des salariés pour ces travailleurs, à grande majorité indépendants. L'agence précise à ce sujet que ce statut, qui implique « des revenus souvent instables et bas et d’un possible isolement social », les prive « d'une politique de prévention des risques adéquate », et « d’une protection sociale suffisante ». Elle préconise également la prise en compte de ces éléments lors de la transposition en droit français de la Directive européenne (UE) 2024/2831 relative aux travailleurs de plateforme, adoptée en novembre 2024. Cette directive, une fois transposée, obligera notamment les plateformes à veiller à ce que les systèmes automatisés « soient supervisés par un personnel qualifié et à ce que les travailleurs aient le droit de contester les décisions automatisées », selon la Commission européenne. Les livreurs n'attendent désormais plus que cette mise en application, eux qui se pensaient protégés par l'adoption de cette directive et requalifiés en salariés.
Les plateformes de livraison auront deux ans pour se conformer à ces nouvelles exigences.