Les 33 moteurs de Super Heavy sur fond de soleil levant. Pourtant, c'est bien réel ! © SpaceX
Les 33 moteurs de Super Heavy sur fond de soleil levant. Pourtant, c'est bien réel ! © SpaceX

7 mois après le premier vol du mastodonte Super Heavy et de son vaisseau Starship, SpaceX tentait la même mission ce 18 novembre. Le résultat final peut sembler identique, il a explosé, non ? En vérité, les équipes ont amplement réussi leur pari avec un prototype beaucoup plus abouti. Il reste quelques corrections pour aboutir au succès.

À 14 h 03 ce samedi 18 novembre, le booster Super Heavy B9 a réussi la séquence d'allumage pour ses 33 moteurs. S'élevant dans le ciel texan devant des milliers de spectateurs réunis pour l'occasion sur la côte, le duo Starship/Super Heavy a réalisé une première partie de mission sans faille, accélérant durant 2 minutes et 45 secondes. Puis les moteurs du booster B9 se sont progressivement éteints tandis que le Starship allumait ses six « Raptors », dont trois sont adaptés au vide et fournissent l'essentiel de la poussée, et trois autres au centre sont plus efficaces en vol atmosphérique. La séparation « à chaud » terminée, le booster Super Heavy a tenté de rallumer ses moteurs pour un retour au sol contrôlé, mais il a explosé. Et le Starship a lui aussi terminé sa course en mille morceaux quelques minutes plus tard, à 148 km d'altitude et 24 000 km/h. Deux jours plus tard, il est temps de bien regarder ce qui a marché, ce qui a raté, et de faire le bilan.

Starship et Super Heavy s'élancent vers le ciel. Un départ beaucoup plus propre que celui du mois d'avril. © SpaceX
Starship et Super Heavy s'élancent vers le ciel. Un départ beaucoup plus propre que celui du mois d'avril. © SpaceX

Jusqu'au décollage, une superbe maîtrise du segment sol

Facile d'oublier, surtout lorsqu'on voit Super Heavy s'élancer devant une trainée de flammes de plus de 300 mètres de long, le travail impressionnant réalisé par les équipes et les structures au sol. En effet, même si SpaceX a répété l'assemblage et multiplié les comptes à rebours fictifs depuis la fin du mois d'août, le lanceur géant a décollé quelques jours à peine après avoir eu l'autorisation administrative. À peine 24 heures de délai à cause d'un moteur de contrôle sur l'une des grilles de stabilisation du booster principal… Or plus imposante est la fusée, plus nombreux sont les ennuis potentiels lors du compte à rebours, du remplissage des réservoirs ou de la séquence finale pour les moteurs, d'autant qu'il y en a 33 à allumer ! Avec seulement 3 minutes de décalage à cause d'un retard de pressurisation, les équipes de la Starbase ont fait décoller l'ensemble de 120 mètres de haut et environ 5 000 tonnes sur la balance ! Et contrairement à l'essai du mois d'avril, tous les moteurs Raptor se sont allumés.

Or cet allumage était capital, non seulement pour décoller, mais aussi pour rester le moins longtemps possible au-dessus de la table de tir. Lors du premier essai, à cause du raté de plusieurs moteurs, Super Heavy avait accéléré paresseusement, abîmant durant de longues secondes les infrastructures. En plus d'une séquence modifiée, SpaceX avait également repris sa copie avec la table de tir, avec un système de plaque métallique refroidie et un genre de déluge original. Sans avoir à creuser un carneau (ces tranchées qui, sous les lanceurs traditionnels, canalisent sons et gaz d'échappement), les équipes de SpaceX semblent donc avoir résolu l'important problème de la dégradation du pas de tir.

Pas de « pluie de béton » cette fois à des kilomètres à la ronde, pas de bloc de centaines de kilogrammes d'aggloméré projetés sur la route ou la plage, pas de métal tordu et fumant… Sur X.com, Elon Musk confirmait dimanche soir que les installations étaient en excellent état, et ne nécessitaient aucune reprise majeure avant le prochain essai. Un énorme progrès.

Une montée sans incident (ou presque)

De T-0 à T+2 minutes et 45 secondes, la tâche était dévolue au booster Super Heavy B9 d'accélérer le Starship avant qu'il continue seul son chemin. Là encore, en avril dernier, plusieurs moteurs se sont éteints au cours de cette montée, tandis que des flammes à l'intérieur de la baie moteur ravageaient jusqu'à l'électronique de vol : le booster avait fini par entamer une vrille incontrôlée. Rien de tout cela ce 18 novembre, avec une montée et une inclinaison vers l'horizon ponctuées par les habituels commentaires de « trajectoire nominale » de la part du contrôle au sol. Là encore, il s'agit d'un progrès impressionnant que SpaceX doit à ses très nombreux essais de moteurs au sol comme à ses modifications pour mieux blinder et uniformiser la section la plus basse de son lanceur. Tout n'était pas 100 % parfait cependant, et pour le savoir il a fallu zoomer sur le Starship S25. Ce dernier, au fur et à mesure de l'accélération, a perdu des dizaines de tuiles garnissant sa face inférieure et censées lui assurer un bouclier thermique lors de son retour dans l'atmosphère.

L'étape la plus scrutée par les équipes au sol comme par les observateurs extérieurs était sans doute celle de la séparation entre le booster Super Heavy et le Starship. Elle a donc eu lieu « à chaud », avec l'allumage des six moteurs de Starship avant de se séparer du premier étage et tout s'est très bien passé de ce côté-là, semble-t-il. Tout juste le Super Heavy a-t-il pivoté un peu vite sur lui-même. Était-ce prévu ou cela a contribué à sa désintégration quelques secondes plus tard ? En effet, SpaceX s'était fixé comme objectif pour le booster, après la séparation avec Starship, de le ramener au sol (en fait en mer, dans le golfe du Mexique) dans une simulation de retour et d'atterrissage. Un bonus important pour la suite de la carrière de Starship, qui est prévu comme un ensemble de briques réutilisables.

La séparation des étages Super Heavy (le booster à gauche) et Starship (le vaisseau à droite). Trois moteurs du Super Heavy assuraient une poussée lors de la séparation. © SpaceX

Explosions à prévoir

C'est à cette étape que le vol s'est corsé. Un problème est survenu lorsque le booster Super Heavy a voulu rallumer ses moteurs : au minimum, cela a partiellement échoué (SpaceX n'a pas encore expliqué la source du problème), et l'ordinateur de bord a ensuite déclenché le système d'autodestruction. Satisfaction tout de même, c'est aussi une amélioration, car lors du premier tir il y a 7 mois, ce même système n'avait pas fonctionné.

Starship, lui, a pour la première fois dépassé la Ligne de Karman (100 km) et est entré dans l'espace avant de poursuivre sa trajectoire à plus de 150 km d'altitude. Il a même bien failli accélérer jusqu'à la vitesse nécessaire pour réussir son vol de test et atteindre l'Océan Pacifique, puisqu'il fonçait à 24 000 km/h lorsqu'il y a eu un dernier problème… 15 secondes seulement avant l'extinction prévue des moteurs. Là encore, le système est automatique et l'ordinateur de bord a immédiatement enclenché la destruction du Starship. Et là aussi, il a fonctionné comme prévu, même si ce n'était peut-être pas 100 % concluant.

En effet, Starship est un véhicule très résistant, et il semble que des observateurs munis de télescopes aient observé que le nez du vaisseau est retombé relativement intact vers l'océan (information qui n'est pas corroborée pour l'instant par des recherches ou des constats en mer). Là encore, avec cette autodestruction, impossible d'évoquer un succès de la mission, mais le progrès est indubitable et impressionnant, et il l'a été dans toutes les phases de ce nouvel essai en vol.

Même si la priorité est au vol orbital, pour la réutilisation il faudra que SpaceX résolve son problème de tuiles thermiques. © SpaceX

De la patience pour la suite ?

Malgré l'optimisme d'Elon Musk, qui écrit sur X.com que le matériel pour le décollage numéro 3 sera prêt d'ici environ 3 semaines (souvenez-vous, le même Elon Musk annonçait un délai de 2 mois seulement entre le premier et le deuxième vol), les raisons qui laissent penser que SpaceX va accélérer sa cadence sont nombreuses. D'abord le site de lancement est en bon état et les quelques travaux nécessaires ont déjà commencé. Ensuite, on sait que SpaceX n'a pas préparé que les éléments du deuxième vol ces derniers mois. Tout autour de la Starbase, les boosters Super Heavy et les Starship s'empilent. Les prochains exemplaires sont déjà produits, il n'y a plus qu'à corriger les erreurs et tester à nouveau. Le Super Heavy B10 et le Starship S28 semblent déjà dans les starting-blocks…