Interrogés mercredi par le Sénat américain en leur qualité de lanceurs d'alerte, plusieurs ingénieurs de Boeing ont déploré les failles majeurs de sécurité des avions du groupe. Les risques seraient devenus courants.
Le géant Boeing, qui a cumulé les couacs ces derniers mois, est-il vraiment devenu laxiste en matière de sécurité ? C'est ce qui ressort de l'enquête sénatoriale aux États-Unis, dont le point d'orgue a été l'audition d'ingénieurs de l'avionneur ce mercredi 17 avril 2024. L'un d'eux, Sam Salehpour, accuse directement Boeing de produire « des avions défectueux ». Tenu par le secret, il a préféré prendre le risque de « sauver des vies », plutôt que de « se taire ».
Malgré la pression, un fidèle ingénieur de Boeing témoigne contre son entreprise
Rarement dans son historique Boeing n'avait autant été secouée par ses propres forces vives, transformées en lanceurs d'alerte. Il faut dire que l'actualité récente touchant la firme de Arlington ne plaide pas en sa faveur. On a tous en mémoire la porte-bouchon perdue en vol de ce Boeing 737 MAX 9 de la compagnie Alaska Airlines.
Boeing est sous diverses enquêtes, alors forcément, le témoignage des quatre salariés ou anciens employés de la société était attendu, surtout lorsqu'ils confessent que chaque passager peut courir un risque sur certains modèles. Les appareils 787 Dreamliner, 737 MAX et 777 ont notamment été pointés du doigt.
Mis à l'écart pour avoir décidé de prendre la parole et évoquant avoir reçu des menaces physiques, Sam Salehpour, qui travaille au sein de l'entreprise depuis 17 ans en tant qu'ingénieur, n'a pas témoigné de gaieté de cœur, mais par devoir. « Je ne suis pas ici parce que j'ai envie d'être ici (…), mais parce que je ne veux pas voir de crash d'un 787 ou d'un 777 », a-t-il déclaré devant les sénateurs, reprochant à Boeing de « produire des avions défectueux ».
Boeing produirait trop d'appareils trop vite, faisant fi de la sécurité
En paix avec lui-même et animé par le sentiment de « sauver de nombreuses vies » potentiellement, Sam Salehpour a lâché les chevaux au micro du Sénat américain. Selon lui, Boeing userait de raccourcis dans la fabrication de certains avions, comme ceux du programme 787, qui réduiraient autant la sécurité que le cycle de vie de l'appareil. Après avoir alerté sa direction, il aurait été demandé à l'ingénieur « s'il faisait partie de l'équipe, ou non ».
Salehpour a par exemple détaillé que les salariés d'une usine Boeing avaient mal assemblé les tronçons du fuselage du B-787 Dreamliner, incorrectement attachés entre eux avec le risque de les voir se dissocier les uns des autres en plein vol, une fois l'avion ayant plusieurs milliers de vols au compteur.
Les sénateurs aussi bien démocrates que républicains ont été consternés par les mots de l'ingénieur. Ils l'ont d'autant plus été que des membres d'un groupe d'expert ont témoigné devant la commission sénatoriale que le constructeur se livrait à une course effrénée à la production d'appareils, au détriment de la sécurité. Et même si Boeing réfute en bloc en disant garder toute sa confiance dans les appareils mis en cause, les multiples témoignages accablent la firme américaine.
Le régulateur américain de l'aérien mis en cause pour son inaction face à Boeing
Deux autres ingénieurs avaient dès lundi, lors d'un briefing, donné le chiffre de 1 400 avions Boeing qui comporteraient des failles majeures de sécurité. Ed Pierson, ancien responsable de Boeing sur le programme du 737 MAX, a déclaré avoir alerté à de nombreuses reprises sur le manque de sécurité de l'appareil, et que les crashs des 737 MAX 8 en 2018 et 2019 ayant fait 346 morts n'ont pas changé grand chose dans l'état d'esprit de l'avionneur.
La Federal Aviation Administration (FAA), l'agence américaine de la réglementation de l'aérien, en a aussi pris pour son grade mercredi. L'institution est ciblée pour avoir été trop laxiste dans le processus d'approbation du 737 MAX. « La FAA doit être un régulateur. Elle doit faire son travail. C'est la pièce manquante pour le moment », a souligné Joe Jacobsen, ancien ingénieur de l'agence et de Boeing.
Celui qui est à la tête de la FAA depuis octobre dernier sur nomination de Joe Biden, Mike Whitaker, est décidé à remettre de l'ordre dans les affaires de Boeing. Il a notamment limité la production de 737 MAX, en laissant à la société jusqu'au 28 mai prochain pour établir un plan de résolution des problèmes de fabrication et de sécurité des appareils. Boeing pourrait bien avoir une deuxième chance de pouvoir montrer au monde entier qu'il est en avionneur de confiance. Au géant de la saisir.
Source : AP News