Intel, jadis symbole incontesté de l'innovation technologique américaine, a légèrement perdu de sa superbe sur la dernière décennie. Bill Gates, co-fondateur de Microsoft et témoin privilégié de l'âge d'or du géant des processeurs, a partagé une analyse de cette perte de domination et de prestige.

Bill Gates pris en photo à Bruxelles le 11 octobre 2023, lorsqu'il annonçait un  nouveau partenariat de financement pour l'éradication de la poliomyélite.  © Alexandros Michailidis / Shutterstock
Bill Gates pris en photo à Bruxelles le 11 octobre 2023, lorsqu'il annonçait un nouveau partenariat de financement pour l'éradication de la poliomyélite. © Alexandros Michailidis / Shutterstock

Dans les annales de l'industrie technologique, peu d'entreprises ont marqué aussi profondément leur époque qu'Intel. Créatrice des processeurs qui ont propulsé la révolution informatique, le géant de Santa Clara est confronté à une forte érosion de son avance technologique, autrefois insurmontable.

En 1971, naît le processeur 4004, première puce commerciale intégrant 2300 transistors sur un seul composant de silicium : une innovation grandiose qui marqua l'avènement de l'ère du microprocesseur et posa les premières bases de l'informatique personnelle. La décennie suivante vit émerger une alliance stratégique entre Intel et Microsoft, dirigée notamment par Bill Gates, qui synchronisa le développement des processeurs avec l'évolution des systèmes d'exploitation. Cette symbiose technologique, incarnée par le célèbre duo « Wintel », démocratisa encore plus l'accès à l'informatique.

Cinquante ans plus tard, dans un entretien avec Associated Press, Gates analyse avec une lucidité teintée de nostalgie la perte de vitesse d'Intel, passée du statut d'innovateur incontesté à celui d'entreprise en quête de renouveau.

Intel : la fin d'un règne

« Je suis stupéfié qu'Intel ait perdu son chemin à ce point », confie Gates, dont le parcours entrepreneurial reste intimement lié aux innovations d'Intel. En effet, la dernière décennie a vu s'effriter la suprématie de la firme sur plusieurs fronts. Intel a accumulé les retards dans la course à la miniaturisation, butant successivement sur les transitions vers les gravures 10 nanomètres puis 7 nanomètres. Cette période coïncida malheureusement avec la montée en puissance d'AMD, à partir de la fin des années 2010, qui grignota progressivement des parts de marché avec ses processeurs Ryzen

Le coup de grâce survient lorsqu'Apple, client historique, abandonna les processeurs Intel en 2020 pour ses propres solutions (Apple Silicon). Gates semble regarder cette période avec un mélange de regret et d'admiration, notamment concernant les tentatives de redressement de la part d'Intel. « Je trouvais que Pat Gelsinger [NDLR : PDG d'Intel de 2021 à 2024] avait eu du cran en affirmant : "Je redresserai la conception et la production". J’espérais, pour lui et pour le pays, qu’il y parviendrait. J’aurais aimé voir Intel rebondir, mais à ce stade, la tâche s’annonçait bien trop ardue ».

 Intel a manqué des occasions de se positionner sur de nouveaux marchés, comme les puces pour smartphones, contrairement à TSMC. © El editorial / Shutterstock
Intel a manqué des occasions de se positionner sur de nouveaux marchés, comme les puces pour smartphones, contrairement à TSMC. © El editorial / Shutterstock

L'ère des nouveaux maîtres du silicium

Le paysage des semi-conducteurs s'est progressivement recomposé autour de nouveaux acteurs dominants. TSMC excelle dans la fabrication de pointe, NVIDIA domine complètement le secteur de l'intelligence artificielle, tandis que Qualcomm règne sur le marché mobile. Pour Gates, le fossé s'est très (trop ?) largement écarté : « Gordon Moore [NDLR : cofondateur d'Intel avec Robert Noyce en 1968] a toujours maintenu Intel à la pointe de la technologie. Aujourd’hui, ils sont un peu à la traîne, tant en matière de conception que de fabrication de puces ».

Une situation aggravée par les défis financiers auxquels est aujourd'hui confronté l'ancien géant : la modernisation de ses usines, indispensable pour rivaliser avec ses grands concurrents, nécessiterait des investissements colossaux, de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards de dollars. Cette montagne financière avait refroidi les velléités de rachat, y compris celles de Broadcom qui n'avait pas donné suite malgré son intérêt initial.

Pour autant, Intel n'est pas condamnée et conserve encore d'excellents atouts : une marque forte et un héritage technologique important, de très bonnes capacités de production, une forte disposition à la résilience pour maintenir sa compétitivité. À elle de puiser au(x) bon(s) endroit(s) pour sortir de la tempête la proue devant.

Source : Tech Spot