D’après les derniers chiffres de l’INSEE, en France, moins de 25% des postes dans les métiers du numérique sont occupés par des femmes. Dans les rôles techniques, ce chiffre chute même à 10%. Sous-représentées, moins visibles, elles doivent encore prouver ce qui devrait être une évidence : leur place ici est légitime. Être une femme dans la tech en 2025, qu’est-ce que ça signifie ? Parcours, obstacles, importance de faire entendre sa voix : voici ce qu’en disent celles qui y travaillent au quotidien.
Pendant longtemps, coder était un métier de femme. Dans les années 50 et 60, l’informatique était considérée comme une tâche administrative, un prolongement du secrétariat. On programmait comme on tapait à la machine. Au début des années 80, nous représentions encore plus de 35% des effectifs dans l’industrie du logiciel.
Puis, l’image de la tech a changé. Avec l’essor des ordinateurs personnels, du business de la Silicon Valley et des filières d’ingénierie, l’informatique est devenue un secteur d’avenir. Progressivement, les hommes ont investi ces postes, les écoles d’informatique se sont masculinisées, et les femmes ont été écartées. Aujourd’hui, dans certains domaines, nous sommes passées sous la barre des 10%.
En 2025, les choses évoluent, mais les stéréotypes persistent. Nous écrivons sur la tech, mais nous sommes en minorité. Notre métier est encore perçu comme "masculin", et notre légitimité parfois interrogée.
Pourtant, nous sommes là. Nous informons, nous vulgarisons, nous questionnons. Et si nous avons voulu relater notre expérience, c’est parce que nous savons que la représentation compte. Plus les femmes seront visibles dans ces métiers, plus leur place y sera une évidence.
Parcours et sensibilités : une entrée en tech rarement linéaire
Faut-il être tombée dans la marmite technologique dès l’enfance pour y faire carrière ? Mia, elle, ne s’est jamais posé la question.
"Je devais avoir 7 ans quand j’ai découvert dans le bureau familial un imposant Amstrad. Ça a été le début d’une grande passion pour tout ce qui avait un écran, une manette ou un clavier. Je jonglais entre consoles et logiciels, chantais la mélodie du modem 56K quand je l’entendais... J’étais accro à la tech avant même de savoir ce que c’était." (Mia)
Elle apprend ensuite à coder seule, administre des forums en ligne, devient webmaster éditoriale, développeuse, puis cheffe de projet web.
D’autres ont pris des chemins plus sinueux. Mathilde n’avait jamais envisagé de faire carrière dans le milieu, même si la technologie l’a toujours fascinée.
"Il est vrai que depuis petite, j’affectionne tout particulièrement les jeux vidéo, mais il m’a fallu de longues années pour développer une réelle appétence pour le secteur. Puis dans les années 2000, plusieurs appareils grand public signés Apple sont arrivés. J’avoue que j’ai été subjuguée par l’iPhone, puis conquise par le MacBook. À la fin de mes études de journalisme, j’ai postulé, un peu par hasard, chez un média spécialisé dans tout ce qui touche au « geek ». C’est là que ma passion pour la tech est réellement née." (Mathilde)
Même chose pour Chloé, qui se destinait à un tout autre secteur avant de se retrouver dans la tech.
"J’avais bien une sensibilité tech, je bidouillais, je codais un peu pour des projets persos. Mais à la base, j’étais vraiment partie pour bosser dans les arts et le cinéma. Finalement, j’ai atterri dans un média tech. Officiellement parce que j’avais un profil utilisateur, et officieusement pour compléter un binôme mixte." (Chloé)
Mélina, qui a appris à coder des mini-jeux sur un Amstrad CPC 6128, a d’abord évolué comme modératrice de commentaires, community manager, journaliste société, puis journaliste tech. Elle qui se disait totalement ignorante du sujet jusqu’à l’adolescence se souvient pourtant très bien du moment où elle a compris que la tech n’était pas un terrain neutre.
"Au collège, la tech se limitait au club informatique, en binôme sur un Thomson T07, à apprendre le Basic et à appréhender Word. Je me souviens parfaitement que le prof de physique nous avait demandé de composer des duos mixtes en fonction de notre genre « comme ça, les garçons pourront apprendre le langage pendant que les filles les regardent et ensuite, elles apprendront à taper »." (Mélina)
Et pourtant, aujourd’hui, nous en parlons toutes les quatre à longueur de journée, et nous en avons même fait notre métier.
Les sujets traités chez Clubic : de la cybersécurité à l’exploration spatiale
Quatre parcours, quatre visions, une même passion : la tech sous toutes ses formes.
Si Chloé a commencé comme gestionnaire de base de logiciels, elle a rapidement voulu aller plus loin.
"En arrivant chez Clubic, j’ai demandé à m’orienter vers les tests d’applications et de services, un format plus intéressant pour moi parce que j’aime bricoler et comprendre comment les choses fonctionnent. Aujourd’hui, je couvre essentiellement les thématiques cyber et Microsoft, mais aussi des sujets liés aux navigateurs, à l’intelligence artificielle ou à Android. Et cette diversité me plaît, parce que la tech est poreuse : tout est connecté, et c’est ce qui la rend passionnante." (Chloé)
Une analyse partagée par Mélina.
"J’ai commencé par rédiger des articles sur l’actu cyber (attaques, virus, cyberescroqueries…) puis j’ai élargi mon spectre à l’IA, l’actu plus généraliste et depuis peu, la science et les mobilités. Comme Chloé, je vois la tech comme une nébuleuse au sein de laquelle une myriade de sujets se connectent les uns aux autres. Quand l’IA est utilisée pour faire gravir un cratère sur Mars à un rover ou que l’on peut piloter le chauffage de sa maison grâce à son smartphone, on comprend que tout est lié." (Mélina)
Mathilde, elle, se passionne pour l’espace, mais aussi pour l’impact des technologies qui façonne aussi notre rapport au monde.
"Férue d’astronomie et de science depuis que je suis enfant, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers la conquête spatiale. Ayant vécu aux États-Unis durant mes études, j’ai aussi un penchant pour le contexte géopolitique local, qui va de pair avec les enjeux technologiques actuels. En tant qu’utilisatrice invétérée de smartphones, ordinateurs et autres tablettes, j’adore discuter des nouvelles applications pensées pour améliorer le quotidien des usagers." (Mathilde)
Une perspective qui résonne avec celle de Mia, qui observe la tech à travers le prisme des usages et de son influence sur la société.
"Je m’intéresse beaucoup à la création de sites web, au streaming, à la retouche d’image, au montage vidéo, aux solutions bureautiques… J’adore aussi les sujets de société qui touchent à la tech : il y a tellement à dire quand on prend un peu de recul ! J’aime tester de nouveaux outils et expliquer comment ils fonctionnent. Je suis à la fois fascinée et terrifiée par les avancées de l’IA. Mais c’est peut-être parce que j’ai trop regardé Terminator." (Mia)
Nous explorons toutes différents pans du numérique, chacune avec nos centres d’intérêt et nos expertises. Mais nous partageons une même conviction : la tech ne se limite pas aux lignes de code. Elle se raconte, s’analyse et se questionne.
Les freins rencontrés : entre solitude, stéréotypes et remise en question permanente
Être une femme dans la tech, c’est parfois se battre pour être simplement considérée comme légitime. Quoi qu’on en dise, les obstacles existent toujours, même si la situation évolue.
Mia et Chloé en ont fait l’expérience à plusieurs niveaux.
"Dans le pire des cas, et je parle d’expérience, être une femme dans la tech, c’est être seule. C’est avoir une présomption d’incompétence. C’est espérer être payée pareil mais gagner toujours moins. C’est chercher tous les jours quelle tenue te rendra invisible. C’est devoir sourire quand les autres ont le droit de crier ou devoir remercier quelqu’un qui t’explique ta spécialité." (Mia)
"Des exemples, j’en ai à la pelle. Dans mon premier job, j’ai dû apprendre à parler plus fort pour me faire entendre. Littéralement. Il a fallu insister pour être écoutée quand s’adressait parfois à mes collègues hommes pour discuter de mes sujets, ou faire comprendre que mes désaccords étaient professionnels et non des « sautes d’humeur »." (Chloé)
Et si ce combat quotidien existe dans les interactions professionnelles, il se joue aussi dans la perception extérieure du métier.
"Quand j’ai annoncé à mes proches pour qui j’allais désormais écrire, ils m’ont tout de suite portée aux nues. « Maman dans la tech, mais ça dépote ! », « Sérieux, tu es journaliste tech ? Waaaaah », quand ce n’étaient pas des yeux ronds comme des soucoupes volantes, me rangeant immédiatement dans la catégorie des exceptions." (Melina)
Mais comme le déplore Mélina, sur le terrain, la réalité est bien différente.
"La limonade est ici plus acide. Je ne m’attarderai pas sur les commentaires et avis délibérément sexistes du lectorat, qui me voit tantôt comme une IA, tantôt comme une incompétente, quand je n’ai jamais lu autant de véhémence ou de remarques cinglantes sous les articles de mes confrères. Cette tendance traduit bien, selon moi, qu’on remet systématiquement en question les contenus que je rédige parce que je suis une femme. Alors quand on apprend que j’ai la cinquantaine bien sonnée, il n’est plus question de donner la moindre légitimité à mes articles. Trop vieille pour être efficace, motivée et en phase avec le rythme effréné des évolutions de la tech." (Mélina)
Ce scepticisme constant ne s’arrête pas aux commentaires. Il se traduit aussi dans les opportunités professionnelles et les écarts salariaux. Mathilde a elle aussi été confrontée à ces différences.
"Je pense très honnêtement avoir eu plus de chance que beaucoup de mes collègues. Mais je sais, aussi, que certaines de mes expériences découlent directement du fait que je sois une femme dans un milieu masculin. J’ai, sans surprise, subi le fameux écart salarial lors d’expériences passées." (Mathilde)
Une différence de traitement qui se ressent aussi dans l’accès à la parole et la reconnaissance de son expertise.
"J’ai aussi eu l’impression, à maintes reprises, de devoir redoubler mes efforts pour être prise en considération. Comme si le savoir et l’expertise que j’ai acquis durant toutes ces années à couvrir des thématiques spécifiques n’avaient pas vraiment de poids." (Mathilde)
Et pourtant, les choses changent.
"Évidemment, les choses ont changé en dix ans, et en bien. Aujourd’hui, c’est plus facile, même s’il reste parfois des réflexes et des stéréotypes à déconstruire." (Chloé)
"Je peux aussi reconnaître, à l’instar de mes collègues, que la situation va en s’arrangeant. Car le contexte a fortement évolué en une décennie seulement." (Mathilde)
Alors, faut-il s’accrocher ? Mia n’a aucun doute.
"Heureusement, et de plus en plus, il y a aussi de la bienveillance et de beaux projets. Ça vaut le coup de s’accrocher : plus on est représentées, plus on a de chances que les choses s’améliorent." (Mia)
Pourquoi il faut visibiliser les femmes dans la tech
Être compétente suffit-il pour être légitime ? Pour Mia, la question en devrait même pas se poser.
"Chaque être humain qui a une appétence et des compétences tech est légitime à travailler dans ce domaine. Le genre n’influe pas sur la compétence. Cette question est d’ailleurs particulièrement ironique dans un secteur centré sur des machines, non ? Les robots n’ont pas de genre et se fichent bien de qui les programme." (Mia)
Pourtant, les biais persistent. L’absence de modèles visibles crée une barrière invisible, mais bien réelle.
"Visibiliser les femmes dans la tech, ce n’est pas juste une question de reconnaissance, c’est une nécessité. Si elles ne voient pas d’autres femmes parler de cybersécurité, de systèmes, d’intelligence artificielle, elles auront plus de mal à s’y projeter. On pourra toujours répéter aux petites filles et aux adolescentes qu’elles ont leur place dans ces métiers, si elles ne voient aucun modèle actuel, elles risquent de ne même pas en avoir envie." (Chloé)
Un problème qui ne date pas d’hier. Les figures féminines qu’on cite en informatique sont quasiment toutes mortes.
"Ada Lovelace, Grace Hopper, Hedy Lamarr, Margaret Hamilton… Où sont les modèles contemporains ? Elles existent, bien sûr, mais on n’en parle pas. Moins de visibilité, moins de reconnaissance, et le cercle s’auto-alimente." (Chloé)
L’impact dépasse largement la question de la représentation : il influence l’accès aux postes clés. Mathilde rappelle à quel point le pouvoir et les financements restent majoritairement masculins.
"Aujourd’hui, les dirigeants de grandes entreprises technologiques sont quasiment tous des hommes ; en France, l’écart de fonds levés entre les patrons hommes et femmes de start-up est abyssal. Si les femmes ont joué un rôle prépondérant dans de grandes avancées technologiques et scientifiques, c’est une réalité que l’on ignore lorsqu’on est petite fille." (Mathilde)
Les médias ont un rôle à jouer
Le problème ne se limite pas aux entreprises. Chloé insiste sur le rôle des médias dans cette dynamique.
"Chez Clubic, 30 % du lectorat est féminin. Pour ces lectrices, lire des articles écrits par des femmes sur la cybersécurité, les systèmes d’exploitation ou l’intelligence artificielle, c’est voir que ces sujets ne sont pas réservés aux hommes. C’est constater que d’autres femmes en parlent, analysent, expliquent, et que leur expertise est tout aussi légitime." (Chloé)
La question n’est pas d’imposer un quota, mais de rendre visible ce qui existe déjà.
"J'essaie aussi d’écrire de manière englobante, en utilisant un maximum de termes neutres pour désigner le public et le lectorat. Pas pour militer, mais parce que c’est une façon simple d’inclure tout le monde et de rappeler que ces sujets concernent autant les femmes que les hommes." (Chloé)
Une bataille qui se joue sur plusieurs générations.
Mélina, avec sa carrière longue et variée, incarne parfaitement cette nécessité de transmission.
"Avoir cinquante ans et des brouettes fait de moi un vieux bébé qui a grandi en même temps que l’univers de la tech. J’ai donc eu le temps de m’imprégner de chaque nouvel outil, langage, usages de l’univers de la tech. Je suis de cette génération qui a connu le modem 56K et sa petite musique si caractéristique, a acheté le 1ᵉʳ iPhone, celui que brandissait Steve Jobs, et qui a connu l’avènement du télétravail." (Mélina)
Elle rappelle aussi que les interruptions de carrière et les biais d’orientation ont freiné des générations de femmes.
"En tant que femme, j’ai interrompu ma carrière pour prendre soin de mes enfants, heureusement par choix, mais toujours avec une curiosité et une appétence chevillées au corps, histoire de rester en selle professionnellement et surtout, de comprendre dans quel univers parallèle grandissaient mes enfants." (Mélina)
Mais ce n’est pas qu’une question d’âge ou de génération : le combat est toujours le même.
"Ma génération doit encore se battre pour exister dans la tech au même titre que celle des hommes qui exercent le même métier que nous, dans les mêmes conditions, mais avec un cursus bien plus alambiqué qu’eux. Ils ont eu accès aux formations tech plus facilement que nous, vouées que nous étions aux métiers plus littéraires ou tertiaires. C’était la règle. Et je constate hélas que mes consœurs plus jeunes que moi, certaines ayant l’âge de mes fils, c’est la même bataille. Preuve en est que les choses ne bougent pas assez vite, alors que la tech, elle, elle n’attend pas." (Mélina)
Alors, que faire ? Mélina a une réponse claire.
"Si je peux tordre le cou à quelques clichés, avec mes rides, mes petits-enfants et ma carte de presse de journaliste société, et donner envie, au passage, à celles qui ont d’autres freins qui les empêchent de se lancer dans le grand bain de la tech, alors oui, je continuerai, de temps en temps, à revendiquer ces différences." (Mélina)
Et demain ? Nos vœux pour l’avenir de la tech
Si nous devions espérer une chose, ce serait de ne plus avoir à écrire ce type d’article. Mia résume l’absurdité de cette nécessité.
"Que l'on n'ait plus à faire ce type d'articles. C'est un cliché mais c’est vrai. Il est grand temps d'arrêter de coller des étiquettes sur les gens. On ne peut pas réduire une personne à son sexe, ou tout autre caractéristique. Nous valons plus que ça." (Mia)
Car malgré les avancées, le recul est toujours possible.
"Il y a récemment eu un désolant rétropédalage concernant l'inclusivité et la diversité. Beaucoup pensent encore que les minorités ont moins de mérite. Petite, on me répétait sans cesse qu’il fallait que je travaille trois fois plus dur que les autres pour avoir l’espoir d’être tolérée. J’aimerais que les générations futures n’aient jamais à se sentir aussi illégitimes." (Mia)
Un vœu partagé par Mathilde, qui craint que le combat ne devienne encore plus difficile.
"J’espère que la dangereuse dynamique qui est actuellement en train de s’emparer de la Silicon Valley pourra être freinée et surtout, qu’elle ne fera pas d’émules. Combattre les initiatives en faveur de la diversité risque d’avoir un impact concret sur les possibilités offertes aux femmes et aux autres minorités dans le milieu." (Mathilde)
Mais l’objectif ne devrait pas être de lutter pour exister. Chloé aimerait que les femmes n’aient plus à justifier leur présence dans ces métiers.
"Que les femmes puissent enfin se sentir légitimes à parler de ces sujets, à démonter un PC, à apprendre à coder, sans avoir à surjouer la confiance ou à affronter des regards sceptiques. Que ces milieux deviennent des espaces safe, où elles puissent entrer sans se demander si elles auront à justifier leur place, à gérer des remarques, ou à être mises à la marge." (Chloé)
Parce que la tech, comme de nombreux autres domaines, appartient simplement à celles et ceux qui s’y intéressent.
Et si un jour, on pouvait enfin en finir avec ces barrières ? Mélina, elle, ne veut plus que la question du genre soit un facteur.
"Et ces différences, si aujourd’hui, j’ai appris à en faire des atouts, je souhaite au contraire que les générations de filles à venir n’aient plus à les revendiquer, et que dans le métier de la tech, les filles ne soient ni des exceptions, ni des règles, mais qu’on ne les recrute plus que sur leurs compétences, point." (Mélina)
Un futur dans lequel l’égalité ne serait plus un sujet, mais une évidence.