Le Conseil d'État a précisé les conditions dans lesquelles le Gouvernement peut légalement bloquer un réseau social. La décision du 1er avril 2025 fait suite au blocage controversé de TikTok en Nouvelle-Calédonie lors des émeutes de mai 2024, une mesure jugée finalement illégale malgré le contexte de grave crise.

Le blocage de TikTok par le Gouvernement en mai 2024 avait provoqué une ruée sur vers les VPN pour contournuer l'interdiction - ©RKY Photo / Shutterstock
Le blocage de TikTok par le Gouvernement en mai 2024 avait provoqué une ruée sur vers les VPN pour contournuer l'interdiction - ©RKY Photo / Shutterstock

Les violentes émeutes qu'a connues la Nouvelle-Calédonie en mai 2024, la Nouvelle-Calédonie, avaient coûté la vie à quatre personnes, dont un gendarme de 22 ans. Pour tenter de contenir cette situation exceptionnelle, le Gouvernement français avait alors pris deux mesures distinctes : la déclaration de l'état d'urgence sur l'île et le blocage complet de TikTok. Selon les autorités, le réseau social aurait joué un rîle dans la propagation des violences. Le haut-commissaire Louis le Franc a ordonné ce blocage en s'appuyant sur la théorie des « circonstances exceptionnelles », une jurisprudence établie pendant la Première Guerre mondiale. Initiative qui a immédiatement été contestée devant la justice par plusieurs associations dont la Quadrature du Net, qui l'a qualifiée de mesure « éminemment attentatoire à la liberté d'expression et totalement disproportionnée ».

TikTok
  • Interactions faciles
  • Réseau social engageant
  • Très divertissant
8 / 10

Le blocage des réseaux sociaux n'est légal que sous des conditions très strictes qui protègent les libertés fondamentales

Dans sa décision du 1er avril 2025, le Conseil d'État établit un cadre juridique précis qui limite considérablement le pouvoir du Gouvernement en matière de blocage des réseaux sociaux. Si le principe même d'une telle mesure n'est pas totalement exclu, il est désormais soumis à trois conditions cumulatives. D'abord, le blocage doit être « indispensable pour faire face à des événements d'une particulière gravité ». Ensuite, il faut qu'« aucun moyen technique ne permette de prendre immédiatement des mesures alternatives moins attentatoires aux droits et libertés ». Enfin, l'interruption doit être « prise pour une durée limitée nécessaire à la recherche et la mise en place de ces mesures alternatives ».

Ces restrictions s'expliquent par l'importance des libertés mises en jeu. Le Conseil d'État rappelle en effet qu'un blocage porte atteinte à plusieurs droits fondamentaux : « liberté d'expression, libre communication des pensées et des opinions, droit à la vie privée et familiale, liberté du commerce et de l'industrie ». La haute juridiction administrative reconnaît que la situation en Nouvelle-Calédonie constituait bien « des circonstances exceptionnelles » et que le Premier ministre pouvait légitimement constater « le rôle joué par l'utilisation du réseau social TikTok dans la propagation rapide de ces troubles ». Mais elle juge que la durée indéterminée du blocage, simplement liée à « la seule persistance des troubles à l'ordre public », rendait la mesure disproportionnée et donc illégale.

Le Conseil d’État précise aujourd’hui les conditions dans lesquelles le Premier ministre peut interrompre provisoirement l’accès à un réseau social - ©Vernerie Yann / Shutterstock

Les utilisateurs ont massivement contourné cette censure grâce aux VPN, ce qui questionne l'efficacité réelle de telles mesures

Comme on vous le disait sur Clubic à l'époque, la décision du Gouvernement a eu un effet immédiat mais sans doute pas celui escompté. Plutôt que de diminuer l'usage de TikTok, le blocage avait provoqué une explosion des inscriptions aux services de VPN pour contourner la censure. Selon les chiffres publiés, Proton VPN a enregistré une hausse de 2 500 % de nouveaux utilisateurs calédoniens par rapport au début du mois de mai 2024, tandis que NordVPN a connu une augmentation de 500 %.

« Les gens se tournent vers les VPN pendant les périodes de troubles pour accéder à un internet libre et contourner les blocages. La censure en ligne augmente à un rythme alarmant et n'est visiblement plus juste l'apanage des régimes autoritaires », avait expliqué un porte-parole de Proton VPN. L'entreprise avait par ailleurs qualifié la décision française d'« évolution inquiétante ».

Le cas de la Nouvelle-Calédonie ne fait pas figure d'exception. Emmanuel Macron avait déjà évoqué l'idée d'un blocage des réseaux sociaux suite aux émeutes consécutives à la mort de Nahel à l'été 2023. La décision du Conseil d'État clarifie désormais le cadre légal de telles initiatives et rappelle que même en période de crise, les pouvoirs exceptionnels de l'exécutif restent soumis au contrôle du juge administratif et à l'impératif de proportionnalité.