Depuis février 2024, l’Espagne connaît une situation inédite : des milliers de sites parfaitement légaux se retrouvent inaccessibles chaque week-end. En cause, une campagne de blocage d’envergure menée par LaLiga – la ligue de football espagnole – pour lutter contre le piratage IPTV.

Si l’initiative vise les flux illégaux de matchs, ses effets collatéraux inquiètent de plus en plus les professionnels du web et les défenseurs des libertés numériques.
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Des méthodes radicales
Si les premières salves de blocages ne datent pas d'aujourd'hui, tout s'est accéléré avec la décision de justice rendue le 18 décembre 2024 par le tribunal de commerce n° 6 de Barcelone. Elle a autorisé LaLiga à bloquer en urgence des adresses IP impliquées dans la diffusion illégale de ses matchs via des services IPTV. Cette ordonnance accorde à LaLiga un pouvoir inédit, renforcé par le soutien des ayants droit, lui permettant d’intervenir sans notification préalable auprès des hébergeurs ou fournisseurs d’accès.
En théorie, ces blocages sont censés être ciblés, fondés sur l’identification en temps réel de flux pirates. En pratique, jusqu’à 3 000 adresses IP sont mises hors ligne chaque week-end, notamment parmi celles attribuées à des services d'infrastructure comme Cloudflare, qui hébergent une part massive du web mondial.
Problème : ces adresses IP sont souvent partagées par des centaines voire des milliers de services parfaitement légitimes, qui se retrouvent soudainement inaccessibles. Le résultat est sans appel : des sites d’e-commerce, des blogs personnels, des plateformes de streaming indépendantes, voire des pages d’administration publique sont subitement coupés pour des millions d’internautes espagnols — non pas parce qu’ils hébergent du contenu illégal, mais parce qu’ils partagent une IP avec un flux pirate ciblé par LaLiga. Un effet domino numérique, dont l’ampleur soulève des inquiétudes croissantes au sein des professionnels du secteur.
Une stratégie de blocage tous azimuts ?
LaLiga pointe du doigt Cloudflare, accusé de servir de "bouclier humain" aux diffuseurs pirates. Le président de la ligue, Javier Tebas, justifie cette stratégie sans détour : "Si l’adresse IP héberge aussi des services légitimes, c’est de la responsabilité de Cloudflare. Nous, on bloque les pirates."
Pour éviter ces coupures massives et les effets collatéraux sur les services légitimes, LaLiga a conclu un accord avec CDN77, un prestataire européen d’infrastructure spécialisé dans la diffusion de vidéos en direct et à la demande. Contrairement à Cloudflare, souvent critiqué pour sa neutralité vis-à-vis des contenus qu’il transporte, CDN77 a accepté de coopérer activement avec LaLiga. Le principe est simple : lorsqu’un flux illégal est détecté sur une IP appartenant à CDN77, ce dernier s’engage à retirer immédiatement l’adresse IP concernée de la circulation et à la remplacer par une autre, évitant ainsi le blocage global de toute l’IP par LaLiga.
Ce mécanisme de coopération, vanté par le patron de LaLiga, Javier Tebas, lui-même, devait constituer un exemple de bonne pratique technique et juridique. Cependant, selon plusieurs experts réseau, des adresses IP appartenant à CDN77 ont tout de même été bloquées par LaLiga, malgré leur volonté de collaborer. Cette situation soulève des interrogations : LaLiga dispose-t-elle d’un contrôle suffisamment précis de ses listes de blocage ? Ou bien applique-t-elle une stratégie plus large que prévue, même envers les prestataires coopératifs ? Pour certains observateurs, ce flou illustre les limites d’une politique de blocage massif sans supervision indépendante.
Une fracture numérique invisible
Alors que des chercheurs espagnols publient régulièrement des listes de sites affectés, LaLiga minimise l’ampleur du phénomène. Pour Tebas, les cas de surblocage seraient marginaux, voire "instrumentalisés" par des entreprises comme Google.
« Google a même payé des agences de communication pour amplifier la polémique. Je suis convaincu que lorsque Google Drive a été coupé en Italie, c’était avec la pleine connaissance de Google. »
Javier Tebas - Président de LaLiga
Face à ces accusations, les chiffres restent flous. Cloudflare évoque des millions d’utilisateurs affectés, tandis que LaLiga assure que les plaignants n’ont pas prouvé l’impact réel devant les tribunaux.
Ce blocage systématique soulève une question plus large : peut-on sacrifier des pans entiers du web pour lutter contre le piratage ? Le débat dépasse le cadre du football. Il touche à la neutralité du net, aux responsabilités des CDN, et à l’équilibre entre lutte contre la fraude et accès équitable à l’information.
Pour les utilisateurs espagnols, les conséquences sont parfois absurdes : un site de santé, une page professionnelle ou un service public peuvent devenir inaccessibles simplement parce qu’un autre utilisateur de la même IP diffuse un match piraté.
Source : Torrent Freak