La désinformation est devenue une arme stratégique dans le cyberespace. Des experts français du Commandement de la cyberdéfense expliquent comment ils ont déjoué une opération visant l'armée française au Niger, avec un faux document d'opération militaire.

Un cybercombattant en lutte informatique d'influence (L2I) © COMCYBER
Un cybercombattant en lutte informatique d'influence (L2I) © COMCYBER
L'info en 3 points
  • La désinformation a frappé l'armée française avec un faux document visant à éveiller l'antipathie au Sahel.
  • Les cyberexperts français ont détecté des incohérences flagrantes, révélant une probable origine russe du document falsifié.
  • Grâce à un audit minutieux des métadonnées, les autorités françaises ont pu rétablir la vérité auprès du public.

Nous sommes le 28 août 2023, et ce jour-là, une attaque informationnelle contre les forces françaises a éclaté sur les réseaux sociaux. Un faux document de 12 pages, présenté comme une « fuite » détaillant les préparatifs d'une prétendue opération militaire contre la junte nigérienne, s'est propagé rapidement. Cette manipulation avait un objectif clair : attiser le sentiment antifrançais au Sahel, dans un contexte déjà tendu après le coup d'État du 26 juillet.

Le parcours viral d'un document falsifié contre l'armée française détaillé

À 1h52 du matin, le faux document fait sa première apparition sur Facebook via le compte de Simon Kere (20 000 abonnés), avec un impact initial limité à seulement 15 partages. Mais la manœuvre s'accélère en fin de matinée, lorsque le contenu est repris sur une chaîne Telegram (MOP-DPLA), puis amplifié par deux influenceurs Facebook : PEDRO HEBDO TV (113 000 abonnés) et Rabani Harouna (61 000 abonnés).

La mécanique classique de désinformation, expliquée par le COMCYBER (Commandement de la cyberdéfense), se déploie alors. Elle commence par la publication d'un contenu falsifié, suivie d'une amplification stratégique. L'après-midi, c'est au tour de la chaîne Telegram « La Dame de Sochi » (61 000 abonnés) de relayer le document, et le partage touche rapidement plus de 11 000 personnes. Enfin, l'activiste Bana Ibrahim (91 000 abonnés) clôture cette campagne en partageant la fausse information à 20h30 auprès de sa communauté Facebook.

En une seule journée donc, cette fake news a atteint plusieurs dizaines de milliers de personnes, sans jamais être reprise par les grands médias nigériens. Fait notable, plusieurs internautes ont immédiatement exprimé leur scepticisme ou dénoncé la falsification. Pendant ce temps, les cybercombattants français se mobilisaient déjà pour analyser et contrer cette menace informationnelle.

Décryptage méthodique d'une attaque informationnelle sophistiquée

Les spécialistes de la lutte informatique d'influence (L2I) ont pu rapidement identifier des anomalies grossières dans le document. Premier indice : un document ne peut être simultanément classifié « secret défense » et « diffusion restreinte », sans compter que la classification « secret défense » n'existe plus en France depuis 2021. Autre incohérence remarquable, la mention du « 1er REI » (régiment étranger d'infanterie), une unité qui n'existe tout simplement pas dans l'armée française.

L'analyse des métadonnées a aussi révélé des informations cruciales sur l'origine probable de l'attaque. Le document avait en effet été créé dans le fuseau horaire GMT+4, qui corrspond à certaines régions administratives russes comme Volgograd, bien loin du Niger (GMT+1). Plus troublant encore, le nom d'auteur, « Arnaud Y », apparaissait à deux reprises dans les propriétés du fichier.

C'est ce détail qui a particulièrement interpellé les experts. Une personne portant ce même nom avait suivi une formation d'élève-officier à titre étranger dans l'une des écoles militaires françaises. Une formation suffisante pour maîtriser la rédaction d'un ordre d'opération élémentaire, ce qui explique ici le niveau de connaissance des procédures militaires, malgré les erreurs volontaires ou non.

Après ce travail d'investigation, la communauté des fact-checkers a pu être mobilisée pour rétablir la vérité auprès des populations locales.