Qui peut contrôler Internet et ce qu’il s’y dit ? Si a priori la réponse est criante de vacuité, à quelques semaines d’élections majeures, l’agence française Viginum entame sa lutte contre les ingérences numériques étrangères.
Aujourd’hui, nous passons un temps considérable sur Internet et pour un grand nombre de Français, les réseaux sociaux sont devenus une source importante d'accès à l'information. Avec les progrès technologiques - notamment les deepfakes - et la multiplication des fermes à troll, les Français sont influencés par des évangélistes de l’ombre qui exercent le plus souvent de l’étranger.
L’ingérence numérique en chiffres
En France, à l’aube des présidentielles de 2017, un sondage IFOP mettait en évidence que 79 % des Français croyaient au moins en une théorie complotiste. Durant l’entre deux tours, 10 000 e-mails privés de l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron ont fuité, au milieu desquels ont été mêlés de faux mails. C'est l'affaire dite des « Macron Leaks ». Derrière cette double réalité, des hackers par millions disséminés autour du monde avec l’objectif d’escroquer, d'extorquer ou de manipuler l’opinion en vue d’un scrutin à la faveur de pôles d’intérêts externes.
Aux États-Unis, un rapport du MIT (Massachusetts Institute of Technology) montre que près de la moitié des Américains (140 millions) a été touchée par des informations issues de fermes à trolls dans le mois précédant les élections de 2020. Plus encore, ce même rapport met en exergue que les principales pages communautaires américaines sur Facebook sont alimentées par celles qu'on appelle des Troll Factory réparties en Europe de l’Est.
Des moyens massifs et des technologies puissantes
Sur Facebook, vous êtes certainement déjà tombés sur une publication de la base 311, à défaut d’en avoir entendu parler.
Avec des airs de Zone 51 chinoise, derrière cette figure de proue planquée à l’adresse de piscine municipale, ils seraient des millions. Deux, pour être précis. Une première moitié serait rattachée aux services d'État, l’autre serait constituée de mercenaires payés 50 centimes par publication, ce qui leur vaut le nom de Wu Mao (traduction littérale de la solde). La Russie a son pendant qui est connu sous le nom d’Internet Research Agency (IRA). Cette agence viserait à alimenter la toile de fake news via les réseaux et permettrait aux hackers d’exercer leurs talents.
Si les gouvernements concernés démentent toutes les mises en cause, les moyens mis en place sont considérables. Un rapport de l’IRSEM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire) décrit sur 654 pages la manière dont la Chine s’inspire de la Russie pour couvrir tout le spectre de l’influence : de la diplomatie publique à l’ingérence.
Là où l’objectif de la désinformation semble surtout psychologique, les échéances en ligne de mire et la virulence croissante des attaques appellent à l’intervention des services publics.
Quels sont les moyens disponibles pour lutter ?
Viginum est une commission de plus de 60 personnes qui n'a pas vocation à traquer les faits et gestes des internautes. L’agence se voit allouer les missions suivantes : veiller, détecter et analyser les dynamiques de propagation de contenus qui nuisent aux intérêts fondamentaux de la nation ; animer et coordonner les travaux interministériels ; contribuer aux travaux européens et internationaux. En d’autres termes, Viginum est une agence de régulation digitale qui travaille avec l’ensemble des équipes et des outils disponibles.
De leur côté, les plateformes courent après les faux profils et, bon gré mal gré, cherchent à démanteler les pages qui alimentent les utilisateurs actifs en contenu fallacieux. En février 2020, Mark Zuckerberg déclarait que Facebook supprimait un million de comptes par jour et, en mars de la même année, la firme se dotait d’une technologie d’étude comportementale pour une classification des entités suspectes par le machine learning. Mais la faille est dans la nature même de son algorithme. Il est conçu pour provoquer de l’engagement des utilisateurs. Or, avec des comptes par millions, les fermes à troll détiennent une partie du pouvoir qui fait le succès du réseau social. En ces termes, un deepfake insultant ou une image controversée propulsés aux avant-plans trouvent plus d'écho et fédèrent davantage que la réalité politico-économique.
Il existe également des moyens pour les entreprises. La start-up française Storyzy a conçu un logiciel de vérification de contenu sur Internet. Mêlant IA et intelligence humaine, le programme est disponible en Saas. Aujourd’hui, il s’impose comme un outil de fact-checking polyvalent alors qu'il était à l’origine destiné à l’information économique et financière.
Enfin, en marge des détecteurs de sources identifiées, il existe des plateformes comme hoaxbuster.com qui, sur le modèle collaboratif, vérifient l’information. Régulièrement, les bénévoles du site mettent à bas des canulars qui circulent en ligne.
Pour conclure, une étude de la Fondation Descartes met en évidence que les Français (issus d’un panel) accordent en moyenne moins de cinq minutes par jour à l'information, c’est peu. Plus encore, au cours des 30 derniers jours observés, près de 40 % des participants ont consulté des sources d’informations jugées « non fiables », c’est beaucoup. Le libre arbitre est notre meilleur allié. Chacun doit savoir s’informer et confronter les sources entre elles pour extraire le vrai de la manipulation et ne pas cliquer, interagir et relayer.
Sources : Technologie Review, France Info, Fondation Descartes, NY Times, ISREM