« L'usage de Bitcoin pour des activités illégales est plutôt limité » : c’est ce que conclut un nouveau rapport américain produit par un ancien patron de la CIA, qui contredit singulièrement les discours officiels associant la crypto-monnaie au crime organisé.
« Les grandes généralisations sur l'utilisation de Bitcoin pour du financement illicite sont largement exagérées ». Telle est l’une des deux conclusions du rapport An Analysis of Bitcoin’s Use in Illicit Finance (Une analyse de l’usage de Bitcoin dans la finance illicite), rendu public le 6 avril 2021. Le rapport est d’autant plus d’actualité que des rumeurs faisant état d’une possible charge de la part du Département du Trésor des États-Unis ont fait surface ce week-end. « Plusieurs institutions financières vont être accusées de blanchiment d’argent utilisant des crypto-monnaies », a-t-on vu apparaître sur Twitter le 18 avril, sans autre précision et sans qu'aucune source ne soit indiquée pour corroborer l’information.
Un ancien de la CIA aux commandes de ce nouveau rapport
Quoi qu’il en soit, le sujet de l’usage illicite de Bitcoin et des crypto-monnaies a fait l’objet de multiples études. Mais la particularité (et l’intérêt) de ce dernier rapport tient beaucoup à la personnalité de son principal auteur, Michael Morell. Spécialiste du renseignement durant 33 ans, ancien directeur adjoint de la CIA, et même directeur de l’agence par deux fois (en 2011, puis de 2012 à 2013), avant de rejoindre la cabinet de stratégie géopolitique Beacon Global Strategies... Une voix pour le moins crédible quand on évoque le financement du terrorisme, le crime organisé ou le blanchiment d’argent.
Le rapport, rédigé avec deux autres consultants, a été commandité par le Crypto Council for Innovation, un lobby visant à promouvoir l’adoption des crypto-monnaies et représentant quelques poids lourds de l’industrie de la fintech (dont Coinbase, Fidelity Digital Assets ou Square). Mais Morell prévient dès la préface : « Je dirai ce que je vois, avec objectivité et transparence, comme je l'ai fait tout au long de ma carrière d'analyste du renseignement ».
Deux salles, une ambiance
Depuis sa création en 2009, Bitcoin est irrémédiablement associé à des pratiques illégales. Début 2021, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, avait plusieurs fois insisté sur l’usage de la crypto-monnaie sur le Dark Web ou pour le blanchiment, estimant que Bitcoin favorisait le « funny business ».
Le rapport de Morell en convient, Bitcoin a bien été utilisé par le passé dans des activités illicites, qu’il s’agisse de places de marché de produits illégaux comme Silk Road ou de tentatives de ransomware.
Mais cela a, selon lui, engendré « des deux côtés de l’Atlantique » des réactions exagérées : « des déclarations officielles suggérant que Bitcoin est principalement utilisé à des fins illicites », encore accentuées par des « titres racoleurs » dans les médias. Des postures « mal informées et non fondées sur des données », « un battage médiatique bien supérieur à la réalité », aux dires de quelques-uns des nombreux experts (de la finance, du terrorisme, du renseignement, de la cybersécurité) interrogés par les auteurs du rapport.
Ce dernier évoque d’ailleurs plusieurs études récentes montrant combien l’usage illicite de Bitcoin est en réalité très marginal. En janvier 2021, le cabinet d’analyse des données blockchain Chainalysis avait montré que « les activités illégales liées aux crypto-monnaies représentaient 1 % de l’activité totale en 2020 ». Et pour ce qui concerne Bitcoin uniquement, la société CipherTrace estimait en février 2021 que « l'activité illicite représente moins de 0,5 % du volume total des transactions ».
Dans tout ça, l’immense majorité des activités financières illégales utilisent bien davantage le système bancaire traditionnel que les crypto-monnaies, remarque le rapport. Et Bitcoin, qui n’est, rappelons-le, pas une crypto-monnaie anonyme, est loin d’être l'outil préféré des criminels. « Les preuves s’accumulent pour montrer que les activités illicites quittent Bitcoin pour aller vers des crypto-monnaies réellement basées sur l’anonymat », note Morell. Plusieurs crypto-monnaies réputées intraçables, dont Monero (pointé dans le rapport et dont l’usage est en hausse), Zcash ou MobileCoin (intégré depuis peu à la messagerie Signal en Grande Bretagne, pour offrir une méthode de paiement confidentielle) ont été créés, précisément, pour offrir davantage d’anonymat que Bitcoin.
Police en mode blockchain
Dans tout ça, Bitcoin semble donc ne pas être le vrai problème des autorités en charge de lutter contre les financements occultes et le blanchiment. « Il est plus facile pour les autorités de tracer les activités illégales utilisant Bitcoin qu’il ne l’est de suivre les activités transfrontalières utilisant les transactions bancaires classiques, et encore bien plus facile qu’avec l’argent liquide », résume Morell, qui cite un expert avançant même que « si tous les criminels utilisaient une blockchain, on pourrait éradiquer toute activité financière illicite ».
C’est d’ailleurs ce qui conduit les auteurs à une seconde conclusion : « La blockchain sur laquelle sont enregistrées les transactions Bitcoin est un outil sous-utilisé, dont les forces de l'ordre et la communauté du renseignement peuvent mieux tirer parti pour identifier et contrer les activités illicites ». Morell constate que la plupart des gouvernements ont tardé à saisir l’importance des blockchains, et insiste longuement sur l’intérêt qu’ils auraient à se l’approprier : « la blockchain permet aux forces de l'ordre d'adopter une stratégie proactive bien plus sophistiquée pour identifier les activités illicites ».
En somme, loin d’être le paradis de la fraude et du blanchiment d’argent qu’on a bien vouloir décrire, Bitcoin favoriserait en fait la transparence et n’aurait que peu d’intérêt pour les criminels, tandis que la technologie qu’il a démocratisée pourrait s’avérer un outil de premier plan pour traquer les activités illégales.