Faire entrer ou non le principe de neutralité du réseau dans la loi ? La question centrale est évoquée lors d'une table ronde organisée sur le sujet à Bercy. Après l'initiative de Free de bloquer la publicité pour ses utilisateurs de Freebox V6 suite à l'ajout d'une option en bêta, le débat a repris de la vigueur. L'opérateur a, par la suite, fait marche arrière mais la question reste en suspens.
Interrogé sur le sujet, Benjamin Bayart (président du FAI French Data Network) salue l'initiative de Fleur Pellerin d'inviter les responsables du secteur mais considère qu'il est « curieux que l'on pose la question de la neutralité en 2013, cela fait très longtemps que ces sujets sont recuits, il suffit de lire les rapports déjà faits pour s'en rendre compte. Des débats ont déjà été menés mais les politiques n'ont toujours pas fait leur travail. Mais mettons dans la loi la protection de la liberté d'expression. Une fois que ce point clé est posé voyons ce qui en découle, ce qu'il est possible de faire dans la loi ».
Une position également partagée par le député Christian Paul, dépositaire d'une proposition de loi sur le sujet. Il rappelle la : « nécessité d'inscrire le principe de neutralité dans la loi et de définir des exceptions au besoin. Il est ainsi possible de définir une règle de non-discrimination de principe pour limiter la loi de la jungle et tout le monde gagnerait à rappeler qu'Internet est un bien commun ».
Ce point de principe avait déjà été évoqué par les députés de La Raudière et Erhel lors de la publication d'un rapport sur la question. Le premier article mentionnait alors clairement le besoin d'inscrire ce principe dans la loi. Malgré ce document mais également les récents rapports de l'Arcep et du BEREC (au niveau européen), aucune décision ferme n'a encore été prise sur le sujet.
Pourtant, le besoin est fort estime Octave Klaba, le fondateur d'OVH. Il précise que : « s'il n'y a pas de neutralité, l'innovation ne va pas se faire. Par exemple la VoIP, si un opérateur décide d'en diminuer la qualité, rien ne l'empêche. Par contre il existe des exceptions à la neutralité où il est nécessaire de filtrer, lorsque l'on parle de sécurité en particulier de spam ou lors d'attaques. Enfin, la réglementation juridique existe déjà pour des sites de paris en ligne, par exemple. Chez nous, le peering (interconnexion) est assuré de manière pragmatique, on peer gratuitement avec des opérateurs et il n'y pas de problèmes jusqu'à un certain nombre de données échangées. On a pas d'autre choix que d'augmenter la taille du tuyau en cas d'afflux de demandes. C'est à nous de maintenir la bonne connectique avec Google. Nous n'avons aucun souci jusqu'à 10 -20 Go, mais au-delà, des ajustements sont nécessaires. Il faut donc bien savoir qu'il n'y a pas de problèmes sur d'autres thèmes que la vidéo. Les innovations qui vont suivre portent pourtant sur ce segment comme les Google ou Apple TV, la télévision connectée... »
Fleur Pellerin : « Nous ne pouvons pas tolérer la forme de censure pratiquée par certains marchés d'applications »
Selon les intervenants, il serait donc trompeur de définir la neutralité uniquement du point de vue de sa dimension économique et des « grands acteurs » du secteur, le volet civique devant être moteur de toute nouvelle mesure. Reste pour autant à connaître exactement les pratiques et les accords passés entre opérateurs.
Un point sur lequel Fleur Pellerin entend faire plus de clarté. Elle indique « comprendre les inquiétudes et préoccupations exprimées ce matin, ce qui nourrit notre travail. L'Internet neutre est au cœur d'enjeux majeurs à venir qu'ils soient d'ordre sociaux ou sociétaux car le réseau joue un un rôle fondamental pour l'exercice de la liberté d'expression. Mais, à mon sens, la neutralité du réseau du terminal jusqu'au fournisseur de contenu doit être garantie. Nous ne pouvons pas tolérer la forme de censure censure pratiquée par certains marchés d'applications ».
Ainsi, le « Conseil national du numérique sera consulté pour aborder l'opportunité de légiférer ou non sur la neutralité du réseau dès son installation ce vendredi », ajoute la ministre. Elle considère que si la base de travail existe, des travaux techniques restent à être menés pour examiner les conditions techniques de ces échanges entre géants et opérateurs mais également les garanties actuelles qu'offre de droit français en matière de liberté d'expression.
Le gouvernement rendra à la fin du mois de février sa copie et se positionnera officiellement sur cette épineuse question. C'est à l'occasion de ce séminaire portant sur le numérique, organisé le 28 février, que la décision de légiférer ou non sur le sujet sera prise officiellement.