Vue d'artiste de la sonde Ulysses après son éjection par la navette en orbite terrestre © Boeing
Vue d'artiste de la sonde Ulysses après son éjection par la navette en orbite terrestre © Boeing

Longue route que celle qui mène à étudier l’héliosphère, surtout quand l’objectif est de réussir des mesures en passant au-dessus des pôles ! Coopération poussée pour son époque, Ulysses est un véhicule plus complexe qu’il n’y paraît, une mission qui a nécessité un peu de chance et des trésors d’ingéniosité.

À peu de choses près, elle a bien failli ne jamais étudier le Soleil.

Il ne fait pas froid aux pôles solaires

La toute jeune agence spatiale européenne, au milieu des années 70, est aussi ambitieuse que radicale dans ses choix de missions. Pour mieux comprendre les émissions solaires, les émissions de particules chargées et l’héliosphère, elle étudie une mission hors du plan de l’écliptique du Système solaire. En effet, comment le Soleil émet-il près de ses pôles ? Il n’y a qu’une façon de vérifier la théorie, mais plusieurs moyens pour y arriver.

Comme la NASA travaille sur un sujet similaire, les deux agences se rapprochent en 1977 pour monter ce qui s’appelle alors « International Solar Polar Mission ». L’idée initiale était d’avoir deux sondes parcourant un trajet similaire et parallèle, mais tournant dans le sens inverse l’une de l’autre : de quoi mesurer en même temps les résultats aux pôles Nord et Sud du Soleil. Malheureusement, les retards des premières missions de la navette américaine coûtent cher à la NASA, qui doit réduire la voilure. Il n’y aura qu’un seul véhicule, européen, et il s’appelle finalement Ulysses.

Vue d'artiste de la mission Ulysses produite dans les années 80 par l'ESA © ESA
Vue d'artiste de la mission Ulysses produite dans les années 80 par l'ESA © ESA

Aller vers Jupiter pour atteindre le Soleil

Pour autant, les Américains ne se sont pas désengagés du projet. Ils fournissent le lancement, les services de leur grand réseau mondial d’antennes (le Deep Space Network), les propulseurs principaux ainsi qu'un autre élément absolument essentiel que l’ESA ne maîtrise pas. En effet, pour envoyer une sonde de plusieurs centaines de kilos passer au-dessus des pôles du Soleil, il faut énormément d’énergie. On peut l’apporter soit au moment de quitter le voisinage de la Terre avec un énorme étage de fusée, soit avec des propulseurs ioniques/plasma (ils ne sont pas encore au point pour ces missions à l’époque), soit avec une assistance gravitationnelle.

Sauf que la seule planète capable d’apporter autant d’énergie lors d’un survol, c’est Jupiter. Et il y a un problème : Jupiter est beaucoup plus lointaine du Soleil que la Terre, il est impossible pour les véhicules de l’époque de rejoindre la géante gazeuse en utilisant des panneaux solaires (les cellules n’avaient pas le rendement d’aujourd’hui). Il n’y a pas le choix, il faut utiliser un générateur électrique radioisotopique, un RTG, alimenté au plutonium. La coopération atteint ses limites, mais le véhicule décollera des États-Unis, et le matériel radioactif ne quittera pas le territoire avant son lancement : les autorités donnent leur feu vert.

Inspection périodique des générateurs disponibles pour la NASA dans les années 90 (ici pour la mission Cassini, mais c'est le même design) © NASA

Le plutonium est prévisible

L’avantage du générateur radioisotopique, c’est que d’une part, la NASA maîtrise son fonctionnement, mais que cela fonctionne aussi précisément qu’une horloge, avec des valeurs de puissance électriques connues pour 15 à 20 ans de génération. C’est une pile, et cela simplifie grandement l’architecture d’une sonde.

Ulysses est donc un véhicule assez compact de 367 kilos au lancement, centré autour de ses réservoirs d’ergols et de ses propulseurs, avec les instruments en périphérie. L’une de ses deux faces principales est occupée par sa très grande antenne de communication avec la Terre, qui constitue aussi son axe de rotation. En effet, Ulysses tourne sur elle-même (5 tours par minute, ou rpm). Elle a un mât dépliable de 7,5 mètres de long sur lequel sont installés plusieurs capteurs reliés à ses 12 instruments scientifiques destinés à collecter des données sur le champ magnétique du Soleil, le vent et le plasma solaires, les particules chargées, le milieu interstellaire…

Ce qui est important, c’est la robustesse générale. En effet, les équipes scientifiques espèrent dès l’origine faire plus d’un passage autour des pôles solaires, mais ce sera à grande distance. Il faut donc que la sonde survive idéalement autour de 10 ans.

C’est parti ? Pas si vite

Fin 1985, la sonde est terminée dans les ateliers de Dornier, en Allemagne. Elle est prête pour ses tests et pour le départ pour les États-Unis où, après une dernière batterie d’essais, elle sera installée au sein de la navette Challenger pour son départ vers Jupiter, puis le Soleil.

Le décollage est alors prévu pour le mois de mai, même s’il y a de gros doutes pour tenir cette date. La sonde doit partir avec un nouvel étage supérieur largué par la navette, le Centaur G, encore en développement. Dans tous les cas, le programme subit un coup d’arrêt majeur le 28 janvier 1986, lors de l’accident dramatique et fatal de la navette Challenger à son décollage, coûtant la vie à son équipage de 7 astronautes.

Assemblage de la sonde Ulysses sur son ensemble de propulsion solide. Tout ça pour cette toute petite sonde ! © NASA

Comme tout projet lié aux navettes, l’existence même de la mission est remise en cause. Mais comme la sonde est déjà terminée et que le programme STS américain reprend avec précaution ses vols en 1989, Ulysses dispose bien d’une opportunité pour s’envoler. Elle décolle avec la navette Discovery et un imposant double étage à propulsion solide, pour s’évader de l’orbite terrestre.

Il lui faut néanmoins attendre le 6 octobre 1990 pour obtenir enfin le feu vert. La mise en orbite initiale est correcte, et l’équipage, sous le commandement de Richard Richards, manœuvre précisément pour éjecter la sonde Ulysses 6 heures après leur arrivée dans l’espace, à 307 kilomètres d’altitude, avant de s’éloigner à distance pour que la sonde allume son moteur. Cette dernière assure sa stabilité par une rotation rapide à 80 rpm, une méthode utilisée régulièrement dans les décennies 70, 80 et 90 pour les mises en orbite.

En route pour une longue route

Une fois éjectée de ses étages solides, la petite sonde déploie son mât et entame donc son trajet vers Jupiter. Étrange tout de même, pour une mission qui décolle afin d’étudier le Soleil, de prendre exactement le chemin inverse ! Ulysses devient même la sonde la plus rapide à quitter l’attraction terrestre pour son temps, un record qui tiendra jusqu’à la mission New Horizons en 2006.

Grâce à sa vitesse, elle atteint Jupiter en moins d’un an et demi, mais les équipes ont eu le temps de préparer le survol qui va décider de tout le destin de la mission. En effet, ce n’est pas la première fois qu’un véhicule utilise une assistance gravitationnelle, mais ici, l’impact sur la trajectoire est absolument majeur. Il doit amener Ulysses à un angle de 80 degrés par rapport à l’écliptique. La manœuvre a lieu le 8 février, et la sonde passe à 376 000 kilomètres de la surface de Jupiter. C’est un succès ! Cette fois, place aux mesures, les variations de trajectoire sont terminées.

L'une des toutes dernières photos d'Ulysses, après son éjection par la navette © NASA

Et ça tourne, et ça tourne, et…

Le passage au-dessus du pôle Nord solaire a lieu autour du mois de septembre 1994, puis la sonde arrive paisiblement (son orbite est très inclinée, mais ne passe pas près du Soleil) au-dessus du pôle Sud en juillet 1995 avant de repartir vers l’orbite de Jupiter. Les choix techniques et la robustesse des instruments paient, et Ulysses réussit sans problème majeur une deuxième orbite complète avec passage au-dessus des deux pôles du Soleil en 2003-2004.

Puis, alors même que l’énergie fournie par le générateur radioisotopique a drastiquement baissé, un troisième passage a lieu en 2007-2008. Peu après cependant, il ne devient plus possible de maintenir à la fois les instruments et la propulsion actifs simultanément. Les équipes entrent dans une « zone grise » avec des utilisations périodiques des éléments de la sonde pour maintenir à la fois le bloc de propulsion à la bonne température et le plus possible les instruments actifs. Une alternative permet même de faire gagner 6 mois de mesures en utilisant intelligemment les propulseurs. La sonde est finalement éteinte le 30 juin 2009, près de 19 ans après son lancement.

Un bilan réussi, mais pas sexy

Avec 3 passages au-dessus des pôles, mais aussi trois passages distants au sein de queues de comètes (C/1996 B2 Hyakutake, C/1999 T1 McNaught-Hartley et C/2006 P1 McNaught), la moisson scientifique est au rendez-vous.

Passée bien plus inaperçue aux yeux du grand public (il n’y avait rien à photographier avec les instruments embarqués), la mission aura tout de même montré les interactions entre la magnétosphère solaire et les différents objets du Système solaire, apporté de nouvelles informations sur l’héliosphère, mesuré une estimation largement supérieure du taux de poussières interstellaires qui pénètrent dans le Système solaire et apporté une aide précieuse aux mesures des sursauts gamma dans l’Univers grâce à sa position excentrée. Des objectifs scientifiques bien remplis, et même dépassés concernant les comètes.

La trajectoire des deux premières orbites d'Ulysses avec quelques dates clés © ESA

La sonde européenne Solar Orbiter, qui s’approche beaucoup plus près du Soleil afin de prendre à la fois des mesures in situ et des données à distance, est en quelque sorte une descendante d’Ulysses, même si son orbite ne la conduira qu’à un peu plus de 30 degrés par rapport au plan de l’écliptique. Ses instruments, eux, sont beaucoup plus performants. La suite d’une coopération démarrée dans les années 70 !