Live Japon : au pays de Mixi, on aime aussi Twitter

Karyn Poupée
Publié le 02 octobre 2010 à 14h19
Cette semaine, notre mangaka Jean-Paul Nishi porte un regard amusé et critique sur les relations humaines qui se tissent et se délitent à travers les sites dits de socialisation (SNS), dont le plus important au Japon s'appelle Mixi. Les SNS sont ici perçus comme des lieux où l'on confie ses états d'âme aux "amis" et autres connaissances, réelles ou virtuelles, et comme un moyen de savoir où sont et ce que font des proches. Mixi comme mixité, ou bien Mixi comme immixion.

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Qui ne connaît pas Mixi au Japon ? Plus que Facebook ou MySpace, cet espace communautaire en ligne, créé en 2004 par un jeune loup japonais, est devenu un véritable sujet sociologique en soi. Comme l'a si bien montré notre mangaka Nishi, tous les profils s'y croisent, s'y lient ou s'y séparent. Mixi comptait fin juillet dernier quelque 21 millions d'abonnés (des écoliers aux personnes âgées), presque tous au Japon, un pays de 127 millions d'habitants. Mixi, lieu où l'on étale un pan de sa vie et où l'on suit une partie de celle des autres, doit son succès à son adaptation aux attentes du singulier public japonais, féminin notamment. Il fidélise grâce à un enrichissement permanent des fonctionnalités, en lien parfois avec d'autres outils en ligne (Gmail, Twitter, etc.), et qui rencontrent souvent immédiatement un écho puissant.

Certaines des possibilités ici offertes paraîtraient sans doute enfantines et d'autres intrusives aux yeux des Occidentaux, mais si elles sont proposées aux Japonais c'est qu'elles répondent à des attentes bien cernées. Mixi, hier uniquement sur cooptation, aujourd'hui plus ouvert, est d'autant plus puissant en son pays que son accès est possible depuis tous les téléphones portables nippons (y compris, depuis peu, à partir des iPhone, ou Blackberry, via des applications spéciales). Or, comme les fidèles lecteurs de cette chronique hebdomadaire le savent bien, les Japonais portent leur sacro-saint mobile greffé à la main, notamment les lycéens, étudiants et jeunes salariés, filles en tête.

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De façon plus scientifique que notre mangaka Nishi, la société de conseil Nikkei BP Consulting a dressé les profils types des contributeurs aux divers médias communautaires en ligne, prenant en compte dans son étude une trentaine de populaires sites de socialisation (SNS), de vidéos partagées et de mini-blogs/messages (Twitter). D'où il ressort que, parmi les familiers de ces divers espaces, dont le plus populaire est YouTube, se détachent trois groupes d'individus : "les meneurs actifs", "les suiveurs" et les "uchimuki - tournés vers eux-mêmes", différents selon les sexes.

1- Les "meneurs actifs" en ligne, s'ils sont hommes, se répandent volontiers en discussions interminables sur 2Channel, plates-forme de forums extrêmement vaste, allant des informations les plus fiables aux contributions les plus cryptiques. Les filles meneuses actives en ligne, quant à elles, sont des inconditionnelles de Mixi, proche dans son concept de Facebook, mais aux possibilités plus étendues et beaucoup plus conviviale du point de vue japonais.

2- Les suiveurs hommes sont des glaneurs insatiables d'informations (plus ou moins justes) sur Wikipédia, alors que leurs homologues féminines se goinfrent de recettes de cuisine sur le SNS dédié appelé "Cookpad".

3- Enfin, les "uchimuki" sont des hommes qui se contentent en priorité de regarder des vidéos sélectionnées sur YouTube ou de comparer les prix des objets de leurs désirs sur kakaku.com, tandis que les filles de la même trempent cherchent toujours sur Cookpad des plats à se mitonner égoïstement.

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Parmi les lieux où l'on se laisse aller à des confidences plus ou moins intimes ou des réflexions plus ou moins philosophiques, il en est un qui connaît un certain succès au Japon auprès d'un large public : Twitter.

Pour quelles principales raisons les Japonais utilisent-ils cet outil d'expression (plus que de communication distante) ? Réponse des hommes : "pour transmettre mes idées, en élargir la portée". Réponse des femmes : "pour me détendre". Ces informations résultent d'une enquête conduite par la firme Cross Marketing auprès d'un échantillon de 500 japonais, utilisateurs ou non de Twitter, âgés de 15 à 49 ans. La proportion de ceux qui se sont mis à employer ce média de mini-messages/blogs dans l'année passée s'élève à 18,2% parmi les personnes sondées, et grimpe à 20,8% si l'on prend aussi en compte celles qui sont adeptes depuis plus d'un an. Cela montre que l'outil a fortement gagné en popularité au cours des derniers mois, notamment à la faveur de la promotion faite par le troisième opérateur de télécommunications mobiles japonais, Softbank, lequel compte une vingtaine de millions de clients.

La plupart des utilisateurs japonais de Twitter sont toutefois des gens rompus aux pratiques de la communications en ligne, près de 60% s'avouant de longue date bloggueurs ou membres d'un site de socialisation (SNS). D'ailleurs, Mixi ne s'y est pas trompé qui vient de proposer une nouvelle fonction permettant d'afficher directement sur un compte Twitter des gazouillis initialement postés sur Mixi. L'inverse, en revanche, n'est pas valide.

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Si l'on revient en détail sur les motivations des uns et des autres, l'on constate que les filles ne sont pas les seules à penser que Twitter est un outil destressant, même si cela est plus marqué pour elles. Les garçons sont de leur côté enclins à voir en Twitter un nouveau mode d'expression, à l'abri des regards, et le fait est que les modèles en la matière sont nombreux. Le patron de Softbank, justement, Masayoshi Son, en est le parfait exemple, qui totalise plus d'un demi-million de suiveurs et s'épanche sur Twitter à longueur de journée. Soit dit en passant, ses contributions (en japonais) sont aussi bien utiles aux journalistes (dont l'auteur de ces lignes) entre autres chargés de couvrir l'actualité des technologies et télécommunications au Japon.

Intéressants aussi sont les points de vue, moins nombreux, du patron de la galerie marchande Rakuten, Hiroshi Mikitani, ou encore ceux, très éclectiques, de l'impayable Takeshi Natsuno, l'ex-gourou du premier opérateur de services cellulaires, NTT Docomo, aujourd'hui consultant et professeur à l'Université Keio. Les hommes politiques japonais sont aussi présents sur Twitter, dont l'ex-ministre des Affaires intérieures et de la Communication, Kazuhiro Haraguchi, lequel souhaite tous les jours ou presque une bonne journée à ses suiveurs.

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Le copain et élève de l'acteur, animateur de TV et réalisateur Takeshi Kitano, Hideo Higashikokubaru, converti à la politique et gouverneur de la préfecture de Miyazaki, confie aussi ses peines, joies, coups de gueule et de coeur sur Twitter, de même que Sadakazu Tanigaki, numéro un du Parti libéral démocrate (PLD), formation de droite reléguée dans l'opposition depuis un an, après plus d'un demi-siècle passé aux commandes du pays. Puisque Twitter est à la mode, d'opportunistes sociétés de conseil se sont bien évidemment empressées de proposer leurs services d'experts à de profanes politiciens en quête de suffrages dans un pays où l'opinion politique des citoyens est très mouvante et facilement manipulable.

Sur le Twitter japonais on trouve bien entendu de nombreux artistes (mangaka, acteurs, chanteurs). Les romanciers aussi se prennent au jeu. Sont ainsi apparues des nouvelles écrites sur Twitter, en épisodes successifs de 140 caractères chacun (format imposé). Notez au passage que l'on écrit beaucoup plus de choses en 140 signes japonais (kanji, hiragana, katakana) qu'en mode alphabétique, sachant qu'un vocable nippon tient généralement en un ou deux idéogrammes et que les kana (mots de liaisons, désinences) représentent chacun une syllabe. De ce fait, Twitter est aussi un nouvel outil pour les médias (groupes de presse Yomiuri et Asahi en tête), pour des éditorialistes ou encore des entreprises qui utilisent ce biais pour faire leur promotion, dont Uniqlo.

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La population de contributeurs et suiveurs sur Twitter au Japon est donc vaste. De fait, pour mieux l'appréhender et en tirer des enseignements divers, une filiale du deuxième groupe de télécommunications japonais, KDDI, a développé un outil qui permet de deviner les profils des individus qui postent des messages sur Twitter. A partir de l'identifiant, le système analyse le contenu de ses différentes contributions, leur fréquence, les heures d'envoi et autres éléments pour en déduire le sexe, l'âge, les centres d'intérêt et diverses autres données sur la personne concernée. Le tout avec une fiabilité évaluée à 70%.

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Pour l'heure cependant Twitter reste encore moins utilisé que les SNS, lesquels ont pris au Japon un poids important grâce à leur accessibilité depuis tous les téléphones portables. On a longuement cité Mixi plus haut, plate-forme dont les quelques 21 millions de contributeurs sont en réalité plus actifs depuis leur "keitai" que depuis un PC. Il en va évidemment de même pour Mobagetown (de DeNA), uniquement conçu pour les mobiles, ou dans une moindre mesure pour Ameba.

Las, en dépit de l'exceptionnelle notoriété de ces plates-formes, les revenus publicitaires tendent à ne pas suffire à les rentabiliser. Plus elles ont de souscripteurs actifs, plus il leur en coûte (en personnel, équipements, gestion). Du coup, de nouveaux moyens de gagner de l'argent ont fait surface ces derniers temps, dont les mini-jeux communautaires, lesquels sont vite devenus extrêmement populaires, au point que les grands studios comme Bandai-Namco y voient aussi une jolie source de profits. Les jeux sont certes proposés gratuitement sur Mixi ou Mobagetown, mais au fur et à mesure de la progression, et pour mieux lutter contre les rivaux, l'achat de différents éléments devient vite indispensable. Et voilà comment des parents d'adolescents ont reçu des factures démentielles de la part de l'opérateur mobile qui sert d'encaisseur et de redistributeur des revenus aux ayant-droits.

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L'engouement croissant pour ces jeux (développés en quelques jours ou semaines par des toute petites équipes, mis en ligne et améliorés en réponse aux commentaires des joueurs) pourrait bien être une des causes des malheurs de Nintendo. Sa gamme de consoles DS souffre fortement, alors que les mini-jeux communautaires se targuent de collecter des millions de joueurs sur mobiles en quelques jours et, qui plus est, de les retenir en leur apportant quotidiennement moult nouveautés et surprises. Sans compter que le bouche-à-oreille fait son office. Si les consoles de poche DS se vendent moins bien, c'est aussi que les clients potentiels semblent attendre la nouvelle mouture, la 3DS, avec deux écrans dont un affichant les images en trois dimensions (3D). Hélas, espérée pour la fin 2010, cette nouveauté ne sera finalement en rayon que le 26 février 2011 au Japon et en mars en Europe, au Etats-Unis et en Australie.

Ce lancement tardif, après Noël et juste avant la fin de l'année budgétaire (31 mars 2011), ne permettra pas à Nintendo d'en écouler autant que souhaité initialement durant la période précédant la clôture de ses comptes annuels. Bilan, ce dernier a fortement abaissé ce mercredi 29 septembre ses prévisions de revenus et bénéfices annuels 2010-2011, ne misant plus que sur des ventes de 1 100 milliards de yens (9,7 milliards d'euros) et un bénéfice net de 90 milliards (793 millions d'euros), contre respectivement 1 400 milliards et 200 milliards de yens escomptés précédemment. Si ses nouvelles prévisions se révèlent exactes, elles marqueront une chute de 23,4% des ventes sur un an, et de 60% des profits, après une année 2009-2010 déjà ternie par un repli 22% du chiffre d'affaires, à cause de la fièvre du yen et un moindre appétit pour ses produits.

Le groupe, qui encaisse la majeure partie de ses recettes à l'étranger, subit durement la chute brutale du dollar et de l'euro face à la monnaie nippone, un phénomène qui ampute ses revenus une fois convertis en yens.

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