Live Japon : "Pazudora" et les drogués du Net

Karyn Poupée
Publié le 04 août 2013 à 12h31
D'un côté une société de jeux sur smartphone qui s'en met plein les poches, de l'autre des médecins qui s'inquiètent pour la santé mentale des adolescents sur fond de faits divers sordides : a priori, ces actualités mises en avant cette semaine au Japon sont sans rapport, mais étudiées attentivement, elles sont intrinsèquement liées et illustrent la schizophrénie qui touche aujourd'hui la société japonaise. La réussite commerciale contre l'échec social, « Puzadora » et « netto izonsha » (drogués du Net).

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En milieu de semaine, le PDG de Softbank, Masayoshi Son, était tout sourire. Jamais sa société n'avait gagné autant d'argent en un trimestre qu'au cours des mois d'avril à juin derniers. La raison : outre ses activités de services mobiles florissantes, il a eu la riche idée de racheter la société GungHo, dont son frère Taizo est désormais patron. Or, cette dernière est une machine à cash grâce à un jeu qui fait actuellement un malheur dans l'archipel : Puzzle & Dragons (ou « Pazudora », comme disent les Nippons).

Ce jeu, savamment bien pensé, est devenu un véritable phénomène de société, comme les Pokemon en leur temps. Il a été téléchargé 17 millions de fois (selon les comptes arrêtés à fin juillet), ce qui équivaut à un téléchargement pour sept habitants du Japon. Mieux, Puzadora, qui commence à prendre aussi aux États-Unis, ne magnétise pas seulement les jeunes garçons, mais aussi nombre de filles et beaucoup d'adultes, tels des « salarymen » d'une cinquantaine d'années que l'on surprend dans les trains bondés absorbés par l'écran de leur smartphone sur lequel court leur index pour aligner au moins trois billes de même couleur.

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A l'instar de Tetris, Pazudora est prenant, obsédant, au point que même si le jeu est gratuit à la base, les joueurs finissent par céder à la tentation d'acheter des items pour être de plus en plus forts.

On se souvient en outre que les autorités nippones avaient dû légiférer l'an passé pour mettre fin à une pratique commerciale dite du « complete gacha », une façon malhonnête de vendre des items que le joueur n'obtenait que de façon aléatoire même en ayant payé. Certains y ont laissé des millions de yens (milliers d'euros) jusqu'à ce que la justice s'en mêle.

Dans le cas de Pazudora, la vente n'est en elle-même pas déloyale, mais elle repose quand même sur une forme de détournement de jugement des joueurs qui finissent par être si accros qu'ils sont incapables de résister. Et c'est ainsi que GungHo excite aussi les boursicoteurs par des rentrées financières conséquentes et que tout le monde se félicite d'une aussi belle réussite nippone. Tout le monde sauf... des parents et médecins.

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Car Puzzle & Dragons, mais aussi nombre d'autres divertissements et services en ligne, commencent à avoir de sérieuses conséquences sur la vie des adolescents. Près d'un collégien ou lycéen japonais sur dix utiliserait Internet de façon maladive, ne pouvant plus s'en passer, comme une drogue, a révélé jeudi 1er août une étude ministérielle.

Selon cette enquête conduite durant six mois par un institut rattaché au ministère de la Santé auprès de 100 000 adolescents de collèges et lycées, 8,1% souffriraient d'une dépendance aux échanges de messages, jeux ou autres activités en ligne. Autrement dit, ils seraient incapables d'arrêter sans y être forcés.

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Pour qualifier et quantifier ces cas extrêmes, les chercheurs ont posé une série de huit questions symptomatiques et défini la dépendance comme correspondant à une réponse positive à au moins cinq d'entre elles. Par exemple : « Avez-vous déjà mis en danger ou brisé des relations importantes avec des personnes à cause d'internet ? » ou « Avez-vous échoué à réduire le temps passé en ligne bien qu'ayant eu cette volonté ? ».

Compte tenu des réponses obtenues, l'institut évalue à plus d'un demi million le nombre de collégiens et lycéens nippons souffrant de cette nouvelle pathologie, avec des pourcentages plus importants pour les lycéens que pour les collégiens (9,4% contre 6%).

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Les filles seraient en outre plus atteintes que les garçons (9,9% contre 6,4%), ce qui n'étonne pas ceux qui suivent d'un peu près le comportement des jeunes adolescentes dans les lieux publics. La dextérité avec laquelle elles enchaînent la saisie de caractères sur l'écran de leur smartphone témoigne d'interminables heures de pratique. C'est autant sidérant qu'angoissant.

« Pour l'avoir vécue, je sais combien cette addiction nous exclut de la vie en société. Elle est très handicapante et à la moindre panne, on serait prêt à faire n'importe quoi pour trouver une connexion. Ça ressemble effectivement à une sorte de drogue, moins nuisible à la santé que la cocaïne, encore que, on se le demande. En tout cas, ce sont des statistiques effrayantes et qui me touchent particulièrement. », nous a confié une jeune Japonaise rescapée de ce mal.

Des adolescents privés d'Internet par leurs parents sont allés jusqu'à leur voler de l'argent pour pouvoir se payer des heures d'enfermement dans des cyber-cafés, selon les témoignages recueillis par des médias japonais.
« C'est pire encore en Corée du Sud », minimisent certains. Peut-être, mais ce n'est sans doute pas une raison pour ne pas s'en préoccuper plus.

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« C'est un gros problème que les jeunes, censés accumuler des expériences en découvrant le monde, se cloîtrent sur Internet. Il est indispensable de prendre des dispositions éducatives pour prévenir l'expansion de ce phénomène », a commenté sur la chaîne NHK le professeur Susumu Higuchi, membre de l'équipe qui a mené l'étude.

Le danger de la déconnexion de la réalité au profit du monde virtuel s'est d'ailleurs encore tristement illustré récemment avec une sale affaire survenue le mois dernier et qui est devenue « le fait divers Line », du nom de l'application Line qui cumule grosso-modo les fonctions de Skype, Facebook, Twitter, etc. Line, téléchargée quelque 200 millions de fois dans le monde, est sans doute, avec Puzzle & Dragon, l'application la plus utilisée par les adolescents japonais, mais parfois à très mauvais escient.

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C'est sur Line qu' une jeune de 16 ans a avoué le meurtre d'une camarade à Hiroshima, une mise à mort collective qui trouve son origine dans des discussions en ligne qui ont mal tourné. La victime aurait utilisé Line pour dire du mal de la future meurtrière qui elle même aurait enrôlé dans son histoire six autres personnes (donc cinq majeures) également arrêtées par la suite.  

Tous les médias (pour qui Line est une rivale puisqu'elle vole le temps que les jeunes leur consacraient auparavant) ont cloué l'application en question au pilori. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que Line est mentionnée dans une affaire scabreuse au Japon, et sans doute pas la dernière.

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Live Japon sera en vacances la semaine prochaine, il n'y aura pas de chronique le samedi 10 août.
Karyn Poupée
Par Karyn Poupée

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