Ne vivant plus en France (mais à Tokyo) depuis 15 ans, l'auteur de ces lignes n'a pas les yeux rivés sur la toile francophone pour en percevoir les éventuelles dérives, mais sur le web japonophone c'est parfois terrible à quel point certains peuvent s'en prendre aux autres avec une destructrice méchanceté gratuite. Conscients des dégâts que peuvent provoquer certains propos sur des jeunes extrêmement sensibles, les Line, Mixi, Gree et autres services ont chacun développé une stratégie pour minimiser ces pratiques qui tranchent avec la réputation de bienséance et politesse des Japonais.
Sont particulièrement visés par les malotrus, mais pas seulement, les jeunes et les filles.
Mixi a par exemple développé un logiciel qui permet de suivre les actions de ses utilisateurs et de détecter celles qui semblent louches (par exemple homme en quête de très jeunes filles). C'est d'abord le système informatique qui met le doigt sur un potentiel problème et une personne prend ensuite le relais pour confirmer/infirmer la nécessité de garder ou non à l'oeil l'individu concerné voire de lui interdire l'usage de la plateforme et de prévenir au besoin les autorités. Sont par exemple analysés les propos de ses contributions pour en déduire qu'il n'est pas là juste pour faire causette. Selon les données fournies par Mixi à la presse, le nombre de cas de délit envers les mineurs associés à Mixi relevés par la police a été divisé par deux grâce à cette technologie.
Gree a de son côté créé un jeu pédagogique qui enseigne les bonnes pratiques et met en garde contre les mauvaises. Line a aussi une panoplie d'outils pour déceler les troubles au sein de communautés, via l'apparition de mots caractéristiques (équivalent de « je vais te tuer, crève, etc.). C'est que le site a été échaudé pour avoir été mis en cause à plusieurs reprises dans des faits divers sordides où des jeunes, auxquels des camarades promettaient la mort, ont effectivement été assassinés.
Au-delà du fait que des techniques nouvelles existent pour débusquer les individus malintentionnés sur les plateformes communautaires, il reste difficile de venir à bout des campagnes de lynchage menées par des anonymes sur Twitter, Facebook, 2channel ou d'autres sites populaires.
Des extrémistes de droite peuvent ainsi décider du jour au lendemain d'attaquer en ligne et menacer telle ou telle personne parce qu'elle a émis un propos ou fait quelque chose qui leur a déplu. L'auteur de ces lignes a eu affaire à eux durant quelques semaines pour avoir été un peu critique envers le Premier ministre japonais Shinzo Abe qui s'était ridiculisé à la télévision en présentant ses lois de défense.
Le créateur du logo des JO de Tokyo, lui, a fini par abandonner la partie après avoir été assailli de courriels et messages assassins mettant en cause non seulement lui mais aussi sa famille. Il avait certes fauté (dans le cadre d'une campagne publicitaire), mais même dans le cas d'une malversation, tout n'est pas permis.
Quand se produit un fait divers, si une personne est soupçonnée, et sans même attendre la moindre preuve, tout son pedigree, des photos d'elle et de ses proches et un nombre incroyable de renseignements précis (mais pas forcément vrais) sont illico postés en ligne par des anonymes. Le tout prend ensuite une ampleur énorme, telle que même si la personne visée est reconnue innocente, sa vie est bousillée.
Cette dérive sur internet est un corollaire négatif, le revers de la discipline que doivent s'imposer les Japonais en société. En public, lorsqu'on est dans un environnement de connaissances, on se tient à carreau, mais dès que l'on est dans un contexte virtuel d'anonymat, les limites ne semblent plus exister. Cette attitude est problématique lorsque, bien planqués derrière un pseudonyme, des individus lambda s'en prennent avec une résonance grandissante à des personnalités qui parfois s'enfoncent encore plus quand elles tentent de se défendre, et ce même quant elles sont de parfaite bonne foi.