Katana Zero, "coupé-décablé"

Kevin Gainche
Par Kevin Gainche, Spécialiste gaming.
Publié le 27 avril 2019 à 14h21
Katana Zero

Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !

Avant propos

Où l'on parle d'expériences narratives...

Lorsque j'aborde un jeu, il y a généralement deux éléments qui prennent le pas sur les autres lorsqu'il s'agit de le juger, et savoir s'il me plait ou non. Je ne pense pas être une exception si je vous dis qu'il s'agit de l'histoire et du gameplay. Car les considérations esthétiques, même si elles sont importantes à mes yeux, ne sont que secondaires, et souvent affaires de goût, variant d'un individu à l'autre. Pas sûr par exemple, que l'esthétique complètement barrée d'Hypnospace Outlaw ou le parti pris graphique extrême de The Eternal Castle Remastered aient plu à tout le monde.

« À mon sens, il est possible d'apprécier un jeu, y compris s'il a des défauts.»


Un gameplay un peu bancal peut tout à fait être sauvé par une histoire maligne et prenante, tout comme un gameplay mitonné aux petits oignons peut rendre un titre bien plus intéressant que ne laisse supposer son histoire, ou même faire pardonner la quasi-absence d'histoire. Prenons le cas de Super Meat Boy. Son histoire est des plus classique, et n'est pas vraiment développée : vous êtes le garçon viande et vous devez aller libérer votre petite amie, la fille pansement, des griffes du docteur fœtus. Point. Par contre, quel gameplay. Manette en main, Super Meat Boy est un véritable joyau de précision, une course poursuite effrénée, millimétrée, qui pousse en permanence à se dépasser. Une réussite en somme, sur laquelle je ne m'étendrais pas plus que cela, parce que je pense que tout le monde en a déjà tâté.

Et l'inverse est tout aussi vrai ; l'occasion de parler d'une petite pépite assez méconnue : Deadly Premonition. Côté gameplay, on ne peut pas dire que cela soit une réussite, loin de là. Deadly Premonition est un survival horror à l'ancienne, se déroulant dans un monde ouvert, et sur lequel se greffent des mécaniques de survie pures telles que l'usure des armes, la faim ou la fatigue. Manque de bol, toutes ces mécaniques sont un brin pétées, et cela n'est pas arrangé par le fait que la moindre action (déplacement, récupération d'objets, utilisation des objets) est d'une lourdeur crasse, et n'est jamais arrangé par une caméra loin d'être au top.

Katana Zero
Le niveau de la discothèque, premier exemple d'infiltration dans le jeu

Mais tout cela s'efface devant l'histoire qui nous y est contée, et le monde dans lequel elle s'inscrit. Sans trop en révéler, Deadly Premonition est fortement inspiré par Twin Peaks où, en tant qu'agent du FBI, vous serez chargé d'enquêter sur les meurtres perpétrés par le tueur à l'imperméable dans la petite ville de Greenvale. L'occasion de croiser une galerie de personnages tous plus intriguant les uns que les autres, de découvrir leurs relations et leurs secrets au gré d'une histoire extrêmement riche, pleine de rebondissements et de mystères, portée par une mise en scène parfaitement maitrisée. Et je vous incite fortement à dépasser ses graphismes un peu datés et sa maniabilité branlante pour découvrir cette narration extrêmement bien troussée (il me semble d'ailleurs qu'une version un brin remastérisée est disponible sur Steam).

Si je ne crache pas sur un gameplay bien fichu, au contraire, j'aurais tout de même tendance à privilégier les jeux offrant une narration et une histoire soignée. Et autant vous dire qu'avec le jeu vidéo en général, et le jeu indé en particulier, il y a de quoi s'en mettre plein la caboche niveau récit marquant. Bien évidemment, tout le monde ne sera pas sensible aux mêmes choses, une bonne histoire reste une bonne histoire, y compris si elle se dispense de scènes d'exposition, de dialogues et autres méthodes de récit traditionnelles.

« un amas de puzzles déconnectés les uns des autres devient un acte de création totale.»


Prenons The Witness par exemple. Mis à part le fait qu'il s'agit sans doute d'un des meilleurs jeux de sa génération (vous allez finir par le comprendre), et en dépit de l'absence quasi totale de narration, ce jeu raconte quelque chose. Les quelques fragments audio et vidéo qu'il sera possible de découvrir, et qui sont totalement facultatifs d'ailleurs, parlent tous de la même chose : l'acte de création. Et lorsque l'on regarde The Witness à travers ce prisme, il prend un nouveau sens. Ce qui ne semble être qu'un amas de puzzles déconnectés les uns des autres devient un acte de création totale. Une tentative d'épuisement d'un principe simple (relier un point A à un point B) que ne renierait pas l'OuLiPo. Une recherche quasi maniaque qui culmine avec la fin cachée du jeu qui nous dévoile une vidéo étrange qui résume parfaitement la démarche (et que je ne vous spoilerai ici).

Katana Zero
Chaque niveau vous est présenté par un petit brief sur la cible à abattre

En matière de récit étonnant, Jonathan Blow n'en était d'ailleurs pas à son coup d'essai, puisque son précédent titre, Braid, faisait aussi dans l'originalité. Puzzle game jouant sur la notion de temps, il nous délivrait une narration assez classique par le biais de petits textes. Jusqu'à ce qu'arrive le dernier niveau et son twist incroyable, qui reste encore aujourd'hui une expérience à vivre si ce n'est déjà fait. Mieux, le jeu proposait un second niveau de lecture, accessible uniquement en remplissant certaines conditions (pas piquées des hannetons d'ailleurs) en jeu.

« la multiplicité des formes de narration »


Ce qui est formidable avec le jeu vidéo, c'est la multiplicité des formes de narration qu'il est possible de découvrir. L'interaction permise par ce média est bien évidemment un atout formidable, qui permet de créer des histoires multiples, qui dépendent des choix et des actions des joueurs, procurant à chacun une expérience légèrement différente de celle de son voisin. Images, son et textes peuvent se mêler pour créer des formes de narrations émergentes, bien loin de ce que peuvent proposer les autres médias. Cette richesse se traduit par une pléthore de bons jeux pour autant de superbes histoires. Il suffit déjà de jeter un œil à la liste des jeux traités dans cette chronique pour découvrir de superbes exemples des possibilités offertes par le jeu vidéo, de Enterre-moi, mon amour à Hypnospace Outlaw en passant par The Occupation.

Katana Zero
Les séquences de rêve entre chaque mission, un très joli moment de narration

Avant d'aborder le jeu du jour, qui comme vous vous en doutez désormais est une petite merveille de narration, laissez-moi vous conseiller quelques expériences narratives. À commencer par ce que je considère comme l'un des RPG m'ayant le plus marqué : Lost Odyssey. Un titre qui ne brille pas forcément par son gameplay, mais qui délivre de nombreuses phases narratives par le biais de textes extrêmement bien écrits, et surtout, très touchants. Je pourrais ensuite vous parler de Her Story et son enquête délivrée par le biais d'interviews en prises de vue réelles, ou bien de The Talos Principle qui délivre de magnifiques échanges avec une IA. Mais trêve de bavardages, il est temps d'entrer dans le vif du sujet, et de parler de Katana Zero.

Katana Zero

par Askiisoft (2019)

« Lorsque j'ai lancé Katana Zero, je ne m'attendais pas à prendre la claque que je me suis prise dans la gueule.»


Si le jeu m'intéressait en premier lieu, c'était en grande partie à cause de sa direction artistique et son gameplay. Il faut dire qu'avec son pixel art soigné, riche et coloré, ses animations fluides et vives, et ses phases d'actions d'une rare nervosité, le jeu avait déjà tout pour me plaire. Ce que je n'avais pas vu venir en revanche, c'est la partie narrative du titre d'Askiisoft. Et c'est sans doute ce qui m'a le plus marqué au sortir de mes deux heures (et des brouettes) de jeu.

Mais avant d'explorer plus cet aspect du jeu, commençons par le commencement et parlons un peu du jeu en lui-même. Katana Zero est un jeu d'action vu de côté qui nous met dans la peau d'un genre de samouraï (avec katana et kimono) un brin anachronique dans la mesure où il évolue dans un environnement urbain tout à fait actuel. Son job ? Assassiner les cibles que lui confie son organisation. Chaque cible vous emmènera dans un nouveau niveau que vous devrez traverser soit en exécutant force gardes à la pointe de votre katana, soit en vous déplaçant parmi les ombres.

Katana Zero
L'écran de pause, un régal visuel à lui tout seul

Ajoutez à cela quelques mécaniques supplémentaires comme la possibilité de ralentir le temps ou bien de pouvoir récupérer divers objets pour les lancer à la tronche de vos ennemis, et vous obtenez déjà un système de jeu qui allie nervosité, réflexes, et une bonne dose de réflexion pour vous en sortir, sachant que vous mourrez... à la moindre blessure. Ce dernier aspect n'est pas un problème puisqu'après chaque mort, vous pourrez recommencer chaque tableau immédiatement, sans temps de chargement, à la manière du premier Super Meat Boy venu. Chaque mort est d'ailleurs l'occasion de découvrir un petit retour arrière sur vos actions, comme si vous rembobiniez une cassette vidéo. Et croyez-moi, cela n'a rien d'anodin lorsque vous commencez à apprécier l'histoire du jeu.

« influences 80's, couleurs néon, BO aux forts accents synthwave et esthétique VHS »


Pour ne rien gâcher, Katana Zero bénéficie d'une patte artistique extrêmement sexy avec son esthétique pixel art aux fortes influences 80's, couleurs néon, BO aux forts accents synthwave et esthétique VHS étant à l'ordre du jour. De quoi s'en prendre plein la tronche à chaque niveau qui proposent tous des environnements variés. Du studio de cinéma à la prison en passant par un club techno, tous apportent de légères variations de gameplay qui cassent la monotonie de l'action et permettent de renouveler continuellement l'intérêt manette en main. Vous l'aurez compris, ces éléments à eux seuls suffisent à classer Katana Zero dans le haut du panier. Histoire d'en rajouter une couche, sachez que la bande-son est juste superbe, et intégrée de manière naturelle au jeu puisque le personnage chausse son walkman à chaque début de niveau avant d'aller découper à tout va. Mais comme je vous l'ai dit un peu plus haut, c'est sa narration qui le hisse encore un cran au-dessus du lot.

Katana Zero
Ames sensibles s'abstenir, on ne rigole pas dans Katana Zero

Car nous ne sommes pas ici face à un bête jeu d'action qui roule des mécaniques ; Katana Zero en a aussi dans le cigare. Et au lieu désenchaîner les niveaux les uns après les autres, le jeu vous propose de découvrir des moments plus calmes, ou l'action est absente.

Et les plus intéressants d'entre eux sont sans doute les sessions de thérapie avec ce qui semble être votre psy... qui s'avère aussi être commanditaire (c'est pratique Patrick !). Vous pourrez discuter avec lui des rêves qui hantent votre personnage, ou bien le rembarrer directement au gré d'un système de dialogue simple, mais efficace. Ce système de dialogue permet notamment de faire varier radicalement la narration, puisqu'il est possible, à chaque fois, de couper votre interlocuteur avant qu'il n'ait fini sa phrase, faisant voler en éclat sa bulle de dialogue. Vous perdrez alors des informations sur l'histoire, mais reflètera d'autant plus votre tempérament, ou votre manière d'aborder le jeu.

« séquences hallucinées et hallucinantes. »


Au fil des niveaux, qui représentent autant de jours qui passent, vous pourrez découvrir une histoire bien moins simple qu'il n'y parait. En choisissant de discuter avec vos cibles, vous pourrez obtenir diverses informations sur votre personnage, son histoire, et le monde qui l'entoure. En parlant sérieusement avec votre psy, vous pourrez faire évoluer le cauchemar qui hante le héros, le rendant plus précis au fur et à mesure. Autant de petits éléments qui s'ajoutent les uns aux autres pour dessiner une trame narrative riche qui se complexifie au fur et à mesure que le temps de jeu augmente et qui accouche de séquences hallucinées et hallucinantes, à l'image de celle que j'ai pu découvrir à la toute fin de ma session de jeu.

Katana Zero
LA séquence qui a terminé de me convaincre

Car c'est à ce moment précis, alors que je m'apprêtais à arrêter de jouer (pour me plier aux règles subtiles de cette chronique), que Katana Zero m'a collé LA torgnole monumentale qui a fini de me convaincre... Une sorte de déraillement de la réalité remettant en cause les acquis du personnage. Un moment notamment servi par une mise en scène et une bande-son (écoutez là !) parfaitement maîtrisée. Bref, un évènement marquant qu'il m'est juste impossible d'évoquer sans vous le divulgâcher et abîmer le plaisir de la découverte. Quand vous arriverez à ce point du jeu, vous le saurez.

« C'est pourquoi je me permets de vous le recommander sans aucune retenue.»


Pour moi, Katana Zero est une véritable réussite qui maîtrise à la fois son gameplay et sa narration pour accoucher d'un résultat qui tire le meilleur parti des deux mondes. Un lien d'autant plus fort que ces deux données influent l'une sur l'autre au gré de leurs évolutions, accouchant de très beaux moments de jeux, bien loin de ce que l'on pouvait attendre au premier abord.

C'est pourquoi je me permets de vous le recommander sans aucune retenue, afin que vous aussi, vous puissiez admirer la maestria avec laquelle Askiisoft a su dissimuler son jeu sous les atours d'un petit jeu d'action bien sous tous rapports.

On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :
Kevin Gainche
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fredolabecane

Là, c’est clair, tu nous a donné envie de jouer a cette perle !! Merci pour cet essai.

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