Indiescovery, c'est votre rendez-vous avec le jeu vidéo indépendant. Une chronique libre rédigée avec passion après 2h12 de jeu exactement. Si on vous en parle, c'est qu'on a aimé. Bonne découverte !
Avant propos
Parce qu'il parait que c'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleures soupes...Depuis la sortie de la Playstation 4 et de la Xbox One, le monde du jeu vidéo a connu une lente mais progressive transformation en matière de sorties de jeu. Cette génération de console est en effet marquée par une part de plus en plus importante accordée aux remakes, remasters et autres ressorties de vieux jeux et licences. L'occasion pour de nombreux joueurs, il est vrai, de découvrir ou redécouvrir des titres devenus cultes au fil du temps. Que ce soient des jeux venus du fin fond des années 80-90, ou de titres issus de la génération précédente ayant subis un léger lifting, de plus en plus de vieux titres ont envahi les linéaires, parfois au détriment de nouvelles licences.
« il reste encore quelques irréductibles qui s'acharnent à faire parler leurs neurones pour nous livrer des jeux originaux »
Une tendance qui n'est pas près de s'inverser si l'on jette un œil au calendrier des sorties à venir - n'est-ce pas Resident Evil 2 : Remake, Tales of Vesperia, Catherine Full Body et autres Warcraft 3 Reforged -, et qui peut susciter quelques inquiétudes quant à l'avenir de la création au sein des grosses machines de l'industrie.
Car voyez-vous, ce phénomène s'accompagne aussi d'une forte propension de la part des studios à produire en masse des suites aux licences ayant déjà bien fonctionné. Il suffit de voir le nombre hallucinant d'épisodes d'Assassin's Creed ou de Final Fantasy sortis à ce jour pour s'en rendre compte.
Heureusement pour nous, il reste encore quelques irréductibles qui s'acharnent à faire parler leurs neurones pour nous livrer des jeux originaux. Des créations encore jamais vues qui s'inspirent parfois d'autres titres bien connus - après tout, Everything is a Remix - mais qui possèdent une âme qui leur est propre. Vous vous en doutez sûrement, puisque c'est le sujet de cette chronique, je veux bien évidemment parler de nos amis les développeurs indépendants.
Dès le départ, The Eternal Castle en colle plein les yeux avec son parti-pris graphique fort
Si vous avez jeté un œil aux précédents épisodes d'Indiescovery - si ce n'est pas le cas, je vous incite fortement à le faire, il parait que c'est ce qu'il se fait de mieux sur l'Internet moderne -, vous avez déjà une notion de la diversité qui se dégage du monde du jeu indépendant. Et si tous les projets ne sont pas forcément une réussite, loin s'en faut, ils ont le mérite d'exister et de participer à ce fourmillement d'idées et de concepts propres à l'indé.
Et même quand le jeu indé jette un coup d'œil dans le rétro (gaming), il ne se contente pas uniquement de l'évidence. Avides de marquer un genre ou un phénomène de leur empreinte, les créateurs créent.
C'est ainsi que des titres comme celui qui nous intéresse aujourd'hui ont vu le jour. À l'instar d'un Strafe (qui avait été présenté comme un FPS old school sans en être un), The Eternal Castle est en réalité le remake d'un jeu qui n'a jamais existé. L'occasion pour l'équipe à la tête du projet de nous livrer une relecture radicale des jeux d'aventures en vue de côté à la Flashback, Another World et autres Prince of Persia (le premier du nom) tout en lançant une petite pique aux cadors de l'industrie, qui se reposent un peu trop sur leurs vieilles licences pour engranger les brouzoufs grâce à la nostalgie des joueurs.
Avec ses graphismes minimalistes, et ses couleurs vives, le jeu ne fait aucune concession, quitte à devenir parfois un peu confus à l'oeil
The Eternal Castle
par Leonard Menchiari, Daniele Vicinanzo et Giulio Perrone (2018)Lorsque l'on va faire un tour sur la page Steam de The Eternal , il est possible d'y lire que ce jeu n'est autre qu'une tentative de remettre au gout du jour, sans le dénaturer, un grand classique de l'année 1987. Une modernisation qui inclut entre autre de nouvelles mécaniques de jeu, une bande-son réarrangée, des graphismes et animations 2D améliorées ainsi qu'un lourd travail sur le game design en général. Sauf qu'en creusant un tantinet, le curieux se rendra compte que les trois Italiens à la base du projet nous proposent ici le remake d'un jeu qui n'a jamais existé... En effet, The Eternal Castle est en réalité une création originale, développée avec des techniques modernes, qui adopte les oripeaux d'un titre d'action aventure venu tout droit des années 80. Vous suivez ?
« The Eternal Castle nous plonge dans les souvenirs d'un temps que les moins de vingt ne doivent certainement pas connaitre »
Une démarche extrêmement intéressante de la part de notre trio, qui a tout simplement décidé d'utiliser tous les outils et techniques modernes pour produire un jeu qui a toutes les caractéristiques d'un jeu de l'époque.
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les bougres n'ont pas choisi la facilité, optant pour un style de jeu laissé à l'abandon depuis plusieurs décennies. The Eternal Castle nous plonge dans les souvenirs d'un temps que les moins de vingt ne doivent certainement pas connaitre. Une époque où la rotoscopie faisait office de motion capture, et accouchait d'animations absolument dingues.
Je me souviens encore quand, visionnant une VHS présentant le line-up de la Super Nintendo distribuée par le magazine Nintendo Player, j'ai découvert Another World (version Super Nintendo donc). À quel point j'avais été soufflé par la beauté plastique du titre, et la finesse de ses animations. Il est par ailleurs assez drôle de voir que le rendu graphique d'Another World, à base de polygones et d'aplats de couleurs dus aux limitations techniques de l'époque, est aujourd'hui devenu un style graphique à part entière, que l'on connait sous le nom de Low Poly.
Vers la fin, les développeurs, ont lâché les chevaux pour proposer un univers visuel totalement halluciné
The Eternal Castle nous plonge dans l'histoire d'Adam et Ève (que vous pourrez incarner selon votre bon plaisir après un choix en début de partie), deux êtres séparés par une tragédie, et qu'il faudra chercher à réunir. Dans la peau de l'un ou de l'autre, et après vous être écrasé sur une bien étrange planète, vous devrez vous lancer à la recherche de votre bien-aimé. Une tâche qui commence par la réparation de votre astronef mis en pièce dès les premières secondes du jeu.
Pour ce faire, vous devrez aller récupérer des "Gliders", de petits artefacts dispersés à la surface du monde, et que vous obtiendrez en triomphant des quatre "niveaux" répartis sur la planète. Une fois ces éléments réunis, vous pourrez vous envoler vers le fameux château éternel qui donne son nom au jeu et découvrir ce qu'il est advenu de votre partenaire, au terme d'une séquence de jeu halluciné qui fera exploser tous les compteurs.
Le monde de The Eternal Castle et ses zones aussi diverses que variées
En lançant The Eternal Castle pour la première fois, ce sont d'abord les graphismes qui frappent. Et quand je dis frapper, je parle presque littéralement tant le parti-pris graphique est fort, et colle un uppercut à la rétine.
Avec ses grands aplats de couleurs néon, insistant très fortement sur les jeux d'ombres et de lumières et ses formes pixellisées, autant vous dire qu'il vaut mieux s'accrocher. Cette démarche, radicale, ne plaira certainement pas à tout le monde, et en plongera sans doute plus d'un dans la perplexité. Car il faut bien l'avouer, à certains moments, l'action peut devenir assez confuse, le personnage disparaissant par exemple derrière certains éléments de décors.
« original, extrême, assurément clivant, mais sexy en diable. »
Néanmoins, et c'est là que cela devient intéressant, ce choix extrême est aussi ce qui fait une bonne partie du jeu. Après avoir joué durant quelque temps, on ne peut en effet qu'être admiratif devant le travail accompli par l'équipe. En effet, le travail effectué sur la partie graphique, les animations et plus globalement, le design du jeu, est loin d'être simple et banal. Sous couvert de nous livrer un jeu « comme à l'époque », les développeurs et artistes derrière le projet ont en réalité utilisé tout l'arsenal des technologies disponibles à l'heure actuelle pour produire un titre pur, radical, et diablement malin.
Par moment, lors de certaines actions, il est presque possible de déceler toute la mécanique cachée derrière l'habillage rétro. Le personnage qui bouge de manière presque trop fluide, les éclairages qui changent de manière dynamique, des transitions un peu trop douces sont autant d'indices qui nous montrent que l'on a affaire à un jeu qui cache bien son... jeu justement. Derrière cette apparence vieillotte se cache en réalité un petit bijou technique, original, extrême, assurément clivant, mais sexy en diable.
Le niveau consacré à la guerre civile est une véritable réussite de tension
Mais The Eternal Castle n'est pas qu'une belle coquille. Le parti-pris esthétique s'accompagne d'un gameplay lui aussi « à l'ancienne » et qui fonctionne très très bien. Simple, parfois un poil retors dans ses timing, il propose de très jolies séquences qui s'enchaînent dans une montée en puissance jouissive surtout quand on commence à en maîtriser les tenants et les aboutissants.
Au gré de la progression, le joueur sera amené à traverser divers environnements, entre guerre civile et maison des horreurs, possédant tous leur moment de grâce par le biais de séquences ou de panoramas pensés avec un soin méticuleux. De moments de bravoure en séquence d'actions et combat de boss au timing millimétrés, ce positionne plutôt vers la branche difficile du spectre, n'hésitant pas nous lâcher dans la mêlée sans forcément prendre le temps de nous expliquer les choses. La encore, il s'agit d'un choix conscient de la part des développeurs, afin de nous donner l'illusion que nous sommes face à une création datée.
Et c'est sans doute là ce que résident la magie et l'intérêt de cet Eternal Castle : sous cet aspect volontairement vieillot se cache en réalité une machine extrêmement bien huilée. Mélange parfait entre le charme de l'ancien et l'efficacité technique moderne, méli-mélo d'influences d'horizons divers, critique voilée des travers d'une industrie hypertrophiée par sa propre importance, et accessoirement véritable réussite esthétique, voilà ce qu'est l'Indiescovery de la semaine. Vous l'aurez sans doute compris, j'ai beaucoup aimé ce titre pour toutes les raisons évoquées en amont, et ce qu'il représente, lui comme le jeu indépendant en général : une oasis de créativité dans un monde sclérosé, un endroit ou l'on peut voir émerger une multitude de projets forts, de démarches insensées, tour à tour idiotes, géniales, touchantes, voire politiques. Oui, vous avez bien lu, politique. Mais j'ai bien peur que pour en apprendre plus à ce sujet, vous devrez attendre une bonne semaine, et le septième volet de nos Indiescovery.
On vous laisse avec ce trailer du jeu (déjà disponible sur Steam) :