Dans le courant des années 90, Joseph J. Atick a largement contribué au développement des technologies liées à la reconnaissance faciale. A l'époque, le physicien croit dur comme fer au potentiel de ce système, utilisé par les autorités pour identifier les criminels et empêcher l'usurpation d'identité. « Nous avons sauvé des vies et résolu des crimes » expliquait-il en mars dernier, à l'occasion d'une conférence sur le sujet.
Mais le scientifique s'inquiète aujourd'hui de la manière dont la reconnaissance faciale est utilisée : « elle est utilisée pour voler l'anonymat de tout le monde » estime-t-il dans un entretien accordé au New York Times. Ce qui inquiète Atick, ce n'est pas autant le fait que les gouvernements utilisent la reconnaissance faciale à des fins spécifiques - pour identifier les conducteurs des voitures en vue d'éviter l'usurpation d'identité, par exemple - mais plutôt le fait que des entreprises privées exploitent cette technologie à l'insu des citoyens. Il ajoute par ailleurs que les documents de la NSA diffusés par Edward Snowden prouvent que les données des entreprises privées peuvent être utilisées par des organismes gouvernementaux en toute discrétion.
Joseph J. Atick estime avoir créé une technologie dont le potentiel est exploité de manière outrancière, et cherche à sensibiliser sur les risques qui sont liés à un tel usage. « Je pense que l'industrie devrait reconsidérer la situation. Si nous n'intervenons pas, si nous ne prenons pas nos responsabilités, il pourrait y avoir des applications et conséquences inattendues » explique-t-il.
Les craintes du scientifique interviennent au cœur des révélations de l'affaire PRISM : on sait notamment que la NSA a espionné pendant des mois les utilisateurs de Yahoo par l'intermédiaire de leurs webcams. Mais la technologie de reconnaissance faciale n'a pas attendu ce scandale pour alerter l'opinion : le réseau social Facebook a notamment dû revoir sa copie en Europe, après des plaintes déposées dans plusieurs pays par des organismes de défense de la vie privée.
La question des risques liés à la reconnaissance des visages de pose également avec l'arrivée sur le marché des Google Glass, lunettes connectées qui permettent notamment de prendre des photos et de filmer. En avril, Al Franken, un sénateur américain, s'est penché avec inquiétude sur l'application NameTag, qui permet d'identifier des gens croisés dans la rue à l'aide des Google Glass. Depuis, Google a précisé qu'il n'approuverait pas les applications de reconnaissance faciale sur ses lunettes connectées.
Mais Joseph J. Atick précise son propos en indiquant qu'il n'est pas question d'arrêter d'utiliser la reconnaissance faciale : il faut juste le faire correctement. « Certaines personnes pensent que je veux peut-être freiner le développement technologique. Je ne suis pas d'accord. J'aide l'industrie à faire des choix difficiles, mais qui sont les bons » estime le scientifique, devenu consultant.