En mini-jupes écossaises plissées ou autres uniformes de rigueur, écoliers, collégiens ou lycéens galopaient la semaine dernière dans les allées du salon des produits écologiques à Tokyo, participant aux jeux et ateliers éducatifs des entreprises vantant leurs mesures environnementales. L'exposition annuelle Eco Products, qui accueillait cette fois plus de 700 entreprises et autres organisations, n'est pas nécessairement celle où l'on fait des découvertes technologiques si l'on est un habitué des autres manifestations semi-profesionnelles, très nombreuses à Tokyo. En revanche, on y surprend des rimbambelles de gamins et adolescents se passionnant pour tel ou tel procédé ou appareil visant à réduire la consommation d'énergie, les émissions de gaz de serre, l'utilisation de l'eau ou l'usage de produits chimiques. Les industriels du secteur de l'électronique y sont présents en renfort, les groupes comme Toshiba, Hitachi, Mitsubishi Electric, Panasonic ou encore Sharp ayant de multiples activités. Elle dépassent, et de loin, la seule fabrication de téléviseurs ou ordinateurs, touchant pour certains (Hitachi, Toshiba) la conception de réacteurs nucléaires et de batteries lithium-ion ou bien le façonnage de cellules photovoltaïques (Sharp, Mitsubishi Electric, lequel est aussi un des principaux fournisseurs mondiaux d'automations industrielles).
En visant les enfants, qui viennent à ce salon par classes entières, les exposants permettent aussi aux adultes de mieux comprendre les techniques mises en oeuvre pour moins saccager la planète. Exemple: une usine de Mitsubishi Electric parvient à recycler 70% des réfrigérateurs, contre 6% précédemment, grâce à une suite de méthodes relativement simples mais qui nécessitent néanmoins un ensemble de moyens suffisamment efficients pour que le jeu en vaille la chandelle. "Savez-vous comment l'on peut séparer différents plastiques d'un réfrigérateur usé après les avoir broyés?", interroge un ingénieur sur le stand du groupe au décor digne d'un plateau de TV. Personne ne sait, mais tout le monde va vite comprendre grâce aux expériences grandeur nature proposées. "Si l'on met les plastiques en question dans l'eau, certains flottent, d'autres coulent, donc on peut faire une première séparation. Ensuite, en secouant ceux qui restent dans un récipient idoine, certains vont rester collés à la paroi à cause de l'électricité statique, d'autres non, ce qui donne la possibilité de réaliser un deuxième tri.", explique le professionnel. D'autres astuces sont employées ensuite pour isoler finalement tous les plastiques, en exploitant leurs propriétés physiques. Ils peuvent ainsi être réutilisés chacun à des fins particulières. Tout cela est mis en scène de façon à ce que les jeunes expérimentent eux mêmes les différents procédés et comprennent sur-le-champ. Même genre de spectacle sur le stand du géant de l'électronique Sony ou bien sur celui du groupe de technologies et services informatiques Fujitsu où les écoliers et adolescents répondent à des questions parfois complexes avec un bon sens admirable. Ils sont invités à participer à des quiz ou à répondre à des questionnaires qui les obligent à lire les panneaux explicatifs, comme ceux de l'espace Toshiba, groupe qui fait le grand écart entre des réacteurs nucléaires et des puces électroniques. Ailleurs, on les entraîne à fabriquer une mini-éolienne ou une voiture miniature mue à l'énergie solaire. Dans la plupart des cas, les écriteaux sont enrichis d'images explicites et les mots en idéogrammes accompagnés des prononciations en syllabaires afin d'être lisibles par les plus jeunes, lesquels se montrent particulièrement réceptifs.
"La Terre est en train de se dégrader et nous devons la réparer", témoigne l'écolier Ryunosuke Takagi. "En venant ici, je peux vraiment apprendre des choses sur les nouvelles énergies et je suis vraiment étonné de toutes les techniques imaginées pour mieux préserver l'environnement. C'est franchement très intéressant", poursuit le garçonnet de neuf ans. "C'est drôlement bien d'être là, on nous enseigne plein de trucs, je veux venir tous les ans", renchérit Genki Watanabe, 10 ans, qui se dit captivé par les moyens de recyclage.
Dans de nombreux cas, ils gagnent un petit cadeau au passage, récompense légitime de leurs efforts, et sont ravis de leur journée. Quant aux ingénieurs qui font office d'animateurs, ils ne lassent de suprendre par l'enthousiasme que l'on perçoit en eux. Bien entendu, nul ne doit être dupe, l'écologie est aussi un puissant argument publicitaire, notamment auprès du public prescipteur enfantin. Reste qu'à tout prendre, mieux vaut promouvoir ce qui est moins nocif que de vendre des saletés sans publicité.
"Notre objectif est de commercialiser des produits qui soient moins polluants, tant dans leur phase de production, que d'usage et de recyclage", explique Machiko Miyai, directrice de la division écologie du groupe d'électronique et d'électroménager Panasonic. L'ex-Matsushita Electric se félicite par exemple de proposer des haut-parleurs conçus à partir de bambous ou encore d'exploiter une usine de dalles d'écrans plasma où sont recyclées les pertes afférentes au processus de découpage des verres. Elles sont refondues pour constituer de nouveaux panneaux. Sharp fait aussi la promotion de ses téléviseurs LCD "Aquos" en décrivant les mesures écologiques prises dans son vaste complexe industriel de Sakai (près d'Osaka), où l'énergie est en partie solaire, l'eau intégralement recyclée, les ressources mutualisées avec les fournisseurs, les manutentions et distances de transport réduites, etc. Sony se veut pour sa part un champion des plastiques végétaux, un as des piles boutons qui polluent beaucoup moins ou encore un génie de la récupération d'or dans les téléphones portables et autres appareils électroniques mis à la benne. Pour faire connaître ses vertus, Sony édite un mensuel, ECO Press, où le groupe présente ses dispositifs environnementaux ainsi que ceux d'autres firmes, sous une forme pédagogique, avec la participation des salariés du groupe et de vedettes. Les personnages de manga les plus consensuels, comme le chat bleu venu du futur Doraemon, créé en 1970 par Fujiko Fujio, servent aussi de professeurs très écoutés par les enfants. Les campagnes des entreprises ont également pour but de d'attirer les jeunes vers des métiers scientifiques et techniques dont ils auraient tendance à se détourner.
Si les plus jeunes montrent donc un intérêt remarquable pour la préservation de l'environnement et s'instruisent, qu'en est-il de leurs parents? Quel est leur degré de connaissance des produits et services censés être bons pour la planète? Selon une enquête publiée ce vendredi 17 décembre par l'agence de publicité Hakuhodo, les voitures électriques et hybrides, les éoliennes, les systèmes solaires, les foyers à équipement "tout électrique" (sans gaz ni fioul), les éclairages par diodes électroluminescentes (LED) ont un taux de connaissance (les mots et ce qu'ils recouvrent) de quelque 60% ou nettement plus. Suivent l'énergie géothermique ou encore les véhicules à pile à combustible qui affichent un niveau de plus de 40 à 50%. En revanche le sens concret de termes comme "smart meter" (compteur électrique intelligent) et "smart house" (maison intelligente), qui vont de pair avec le concept de "smart grid" (réseau électrique intelligent, voir ci-dessous) ne sont connus que d'un dizième ou moins des 400 personnes de 20 à 59 ans interrogées.
Dans un pays dépourvu de ressources naturelles et à la merci des séismes ou tsunamis, la préoccupation écologique n'est cependant pas nouvelle. Depuis le choc pétrolier de 1973, les consommateurs sont échaudés et les entreprises s'escriment à concevoir des appareils moins voraces en hydrocarbures, eau, électricité ou autres substances. Les contraintes environnementales désormais imposées au niveau international et le souci d'économies d'énergie comme d'argent poussent les Japonais à redoubler d'efforts. Ils y sont d'autant plus enclins que les technologies de pointe qu'ils développent sont des atouts importants potentiellement valables à l'échelle mondiale. Des voitures hybrides et électriques aux ampoules à diodes électroluminescentes -LED- en passant par les cellules photovoltaïques, les nouvelles infrastructures de distribution d'électricité ("smart grid"), ou encore les toilettes à "tornade" et contrôle électronique, les entreprises nippones sont très souvent pionnières. Le "green business" est une chance pour elles, mais elles ne sont bien entendu pas les seules à s'y précipiter. Leurs voisines asiatiques, coréennes et chinoises notamment, sont aussi en lice, de même que des géants américains et européens, et la bagarre s'annonce sévère. L'enjeu financier est à la hauteur du défi technologique.
Dans cette nouvelle bataille, les Japonais ont néanmoins pour eux leur expérience, leur détermination, leur capacité à investir en recherche et développement et en moyens de production, avec, qui plus est, un quasi monopole de fait sur leur territoire pour exploiter en premier leurs innovations à grande échelle, avec des contraintes géographiques et critères d'exigence tels (notamment vis-à-vis des catastrophes naturelles) que, techniquement parlant, ils peuvent passer les frontières sans problème. On ne donnera qu'un exemple: celui des smart grid. Des mastodontes comme Hitachi et Toshiba sont presque capables de fournir à eux seuls tous les composants nécessaires pour cette prochaine génération de réseau d'électricité qui couple un ensemble d'équipements de création et de transport de courant, et un dispositif parallèle pour les flux de données. La gestion informatique de la distribution d'électricité est rendue nécessaire par le fait que diverses sources instables (éolienne, solaire,etc.) vont se multiplier de même que les moyens de stockage (batteries), le tout dans le but d'augmenter la proportion d'énergie renouvelable et de diminuer les pertes.
Or, pour que cela fonctionne de façon rationnelle et rentable, sans que les fluctuations, dues notamment à la météo, ne se répercurtent en bout de chaîne, il faut à tout moment savoir qui produit quoi et où, qui consomme quoi et où, qui risque d'être en situation de pénurie et qui en excès. Cela veut dire qu'il faut installer des capteurs divers (température, humidité, présence, etc.) un peu partout, des compteurs intelligents, et permettre au tout d'adresser les informations recueillies à un système central de gestion qui contrôlera alors les différents équipements. Cela permettra par exemple de faire en sorte que l'énergie solaire produite en surplus dans la maison d'untel soit automatiquement envoyée sur le réseau pour alimenter une autre maisonnée et/ou stockée dans une batterie locale. Le dispositif devra en revanche fonctionner en sens inverse lorsque le soleil ne brille plus et que le foyer d'untel a besoin de courant. Hitachi et Toshiba maîtrisent quasiment de bout en bout les moyens requis pour ce type d'installations: les capteurs, les compteurs, les serveurs, les centres de gestion de données, les systèmes de climatisation, les câbles, les puces, les voyants, les équipements de centrales, ... et même les appareils domestiques (TV, réfrigérateurs, lave-linge, aspirateur, etc.) qui consomment en dernier ressort l'électricité produite, ou encore les téléphones portables qui feront office de télécommandes. Dans une mesure moindre, Panasonic est aussi capable de fournir un nombre impressionnant de produits moins gourmands en énergie et les moyens de mieux les réguler, ainsi que des matériaux isolants, tant pour les maisons que pour les immeubles collectifs, les magasins et les infrastructures publiques. Citons par exemple les téléviseurs, climatiseurs, équipements de cuisine, luminaires ou sanitaires pour les foyers particuliers, les vitrines réfrigérées et les plafonniers à LED pour les boutiques, les lampadaires, les câbles, les centrales solaires ou encore les batteries pour les sites urbains. Pour atteindre cette capacité d'embrasser autant de corps de métier, Panasonic vient de placer sous sa coupe Sanyo (numéro un des batteries rechargeables et très bien placé sur le volet de l'énergie photovoltaïque), et Panasonic Works (équipements pour les foyers et bâtiments).
On reviendra un jour en détail sur les enjeux techniques, économiques mais aussi sociaux liés au déploiement des nouveaux réseaux électriques, une mutation qui exigera du temps car impliquant un nouveau train de normalisation internationale ainsi qu'un régulation liée notamment à la gestion de données personnelles découlant des technologies mises en oeuvre. Notez toutefois que selon l'enquête de Hakuhodo citée plus haut, lorsqu'on explique aux Japonais ce que sont les "smart grid", 80% trouvent cela "attractif". Selon les citoyens lambda nippons, les secteurs les plus concernés par les "smart grid" sont les compagnies d'électricité (73%), les groupes manufacturiers d'équipements électriques (34%), ainsi que les opérateurs de télécommunications et prestataires de services en ligne (30%). Quelque 22% des Nippons considèrent que dans dix ans le Japon sera le plus avancé dans ce domaine, devant les Etats-Unis (15%), la Suède (12%) et l'Allemagne (la France n'apparaît pas dans le top-10). Dans cette perspective, les autorités japonaises tentent, tant bien que mal (compte tenu de l'état des finances publiques), de favoriser le "green business" en aidant directement les travaux de recherche et développement ou en poussant les établissements bancaires à octroyer plus aisément des fonds aux firmes oeuvrant dans les champs concernés. Tous les géants impliqués dans cette évolution sont en outre censés faire travailler une myriade de petites sociétés quasi-artisanales qui elles-mêmes sont nombreuses à détenir des pépites techniques uniques au monde (matériaux, composants et procédés).