Déchets électroniques : quand le recyclage se criminalise

Aurélien Audy
Publié le 15 mai 2015 à 16h30
Le rapport publié le 12 mai par des équipes de l'UNEP (Programme des Nations Unies pour l'Environnement) jette un pavé dans une mare moribonde : de 60 à 90 % des déchets électroniques, dont le volume augmente d'année en année, ne seraient pas traités. Ils seraient en fait revendus, parfois à des filières criminelles, traités sans précaution, ou tout simplement dispersés dans la nature. Un business qui représenterait une manne de 11 à 17 milliards d'euros que différents acteurs grignotent, toujours au détriment de l'environnement. Le problème n'est pas nouveau, la piqûre de rappel semble nécessaire.

WASTE CRIME - WASTE RISKS, Gaps in meeting the global waste challenge, c'est le nom du rapport alarmant réalisé par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Il commence par établir un parallèle avec le gaspillage existant dans le domaine de l'alimentaire : 1,3 milliard de tonnes de nourriture est produite chaque année pour les 7 milliards d'individus qui peuplent la Terre. D'après la FAO (Food and Agriculture Organization), le gaspillage de cette denrée chiffrerait à 1 000 milliards de dollars. Ce qui est vrai pour l'alimentaire l'est aussi pour les déchets, ces derniers étant devenus un enjeu stratégique à plusieurs niveaux.

  • Écologique bien sûr, les DEEE (Déchets d'Equipements Électriques et Électroniques) étant bardés de substances toxiques et nocives (mercure, plombs et retardateur de flamme principalement).
  • Industriel, puisqu'il faut envisager les traitements adaptés pour dépolluer les DEEE de leurs substances toxiques, recycler ce qui peut l'être et même inclure la question du recyclage dans la conception des nouveaux produits, en amont.
  • Economique, puisque la filière de gestion des DEEE, de la collecte à la valorisation finale, est assise sur au minimum 410 milliards de dollars d'après le rapport.
  • Humain enfin, parce que le traitement des déchets crée des emplois, et que sans une démarche volontaire du consommateur pour faire son tri correctement, rien n'est possible.

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Seulement voilà, le rapport met le doigt là où ça fait mal : « Comme dans tout secteur économique de grande ampleur, il y a des opportunités pour des activités illégales à différents niveaux de la chaîne de gestion des déchets. Dans la course aux profits, les opérateurs peuvent ignorer les réglementations sur les déchets et exposer des gens aux substances toxiques. Sur une échelle plus grande, le crime organisé peut s'adonner à de la fraude fiscale et du blanchiment d'argent. »

Les chiffres et les faits

A la base du problème soulevé par ce rapport, il y a un chiffre : 41,8 millions. C'est le nombre de tonnes de DEEE générées dans le monde en 2014. Chiffre qui semble condamné à augmenter et pourrait grimper à 50 millions d'ici 2018 selon le rapport Baldé de l'Université des Nations Unies. Seulement 10 à 40 % de ces déchets seraient convenablement recyclés et stockés, d'après différentes estimations compilées lors d'une enquête d'envergure conduite par le Bureau des Nations Unies sur les Drogues et le Crime (UNODC). A l'inverse donc, 60 à 90 % des déchets échapperaient aux filières officielles de traitement. Soit tout de même entre 25 et 38 millions de tonnes ! A 450 euros la tonne, comme le jaugeait Interpol en 2009, ça nous fait entre 11 et 17 milliards d'euros de valeur potentiellement créée.

A qui le trafic profite-t-il ? Un peu à tout le monde en fait. Aux sociétés qui réceptionnent des DEEE et perçoivent des paiements pour effectuer des traitements qu'elles ne feront pas, aux acteurs qui réussissent à valoriser les matériaux à moindre coût car ne respectant pas les règles environnementales contraignantes, ou encore aux nombreux « broker » ou vendeurs qui expédient des produits de deuxième main pour une bouchée de pain (mais pour un prix toujours plus élevé que celui qu'ils ont déboursé). D'après un ouvrage de Jim Baird, il y aurait 200 à 300 % d'économies possibles en confiant son recyclage à des filières illégales. Des services municipaux ou sociétés de gestion des déchets seraient alors toujours gagnants en payant pour qu'on les débarrasse de leur déchets au lieu de s'occuper de leur traitement.

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Comment cela est-il possible ? La Convention de Bâle signée par 181 Parties vise à réglementer les mouvements transfrontaliers de déchets dangereux « et exige de ses Parties qu'elles veillent à ce
que ces déchets soient gérés et éliminés d'une manière écologiquement rationnelle. »
En clair, on n'exporte pas ses DEEE comme des cravates, et surtout pas vers des pays sans la moindre infrastructure pour réceptionner, démanteler, dépolluer et revaloriser lesdits déchets. La pratique frauduleuse courante que relève le rapport de l'UNEP consiste à étiqueter ses conteneurs différemment, comme des produits d'occasion, pour sortir du champ des DEEE. Ou encore à broyer ses DEEE et les mixer avec des déchets jugés non dangereux donc autorisés (plastiques, papier, métal, etc.).

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Dans le pire des cas, ce sont des organisations criminelles qui récupèrent les déchets : elles utilisent les importations pour faire du blanchiment d'argent, puis se débarrassent des cargaisons dans la nature (mer et océans, enfouissement sauvage, décharges à ciel ouvert). Et dans le meilleur des cas, ce sont des petites entités familiales ou des gigantesques hubs de démantèlement asiatiques qui vont tenter de récupérer ce qu'il y a à récupérer (métaux précieux notamment) mais sans respecter les règles de sécurité sanitaires et écologiques. Le rapport précise toutefois qu'il est difficile de savoir quelle part des déchets devient quoi. Les exportations se font principalement à destination de l'Afrique (Côte d'Ivoire, Ghana, Nigéria, Congo) et de l'Asie (Chine, Inde, Pakistan, Hong-Kong, Indonésie, Bangladesh).

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Chez nous, tout consommateur paye une éco-contribution à chaque nouvel achat de produit électronique. Cette éco-contribution est supposée financer à 60 % la filière en charge du traitement des DEEE (les éco-organismes), les 40 % restants venant de la revente des matériaux récupérés. Mais le rapport évoque également toute une filière informelle. Comme les « waste tourists », ces acteurs qui chinent du matériel de seconde main pour l'envoyer à des proches ou associés dans des pays moins développés, ou encore des sites Web qui offrent un peu de monnaie contre un vieil appareil, mais aussi des organisations caritatives qui se détournent parfois de leur mission.

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Alors qu'il semble difficile de contrôler ces flux à échelle planétaire, et même si la solution préventive préconisée par le rapport de « faciliter le retour des envois illégaux de déchets à l'expéditeur et à ses frais » est séduisante, la meilleure chose que nous puissions tous faire, à notre niveau, pour limiter la casse, c'est de consommer intelligemment. Autrement dit, de manière plus raisonnée, en tirant sur la corde tant que les produits le permettent ou en veillant à offrir une deuxième vie à ceux dont on se sépare.
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