L'association, citoyenne et indépendante, essaie de sensibiliser les consommateurs, élus et entreprises au traitement des déchets et à lutte contre les pratiques polluantes et le gaspillage. Interview.
Depuis 1997, sous le nom de Cniid (Centre national d'information indépendante sur les déchets) jusqu'en 2014, l'association Zero Waste France milite pour une adoption généralisée de la démarche zéro gaspillage et zéro déchet. La mission est ô combien compliquée dans une ère où la surconsommation est devenue plus qu'une pratique, mais un mode de vie. Pourtant, ces dernières années, on commence à entrevoir la lumière, avec une série de réglementations et législations visant à limiter ou mettre fin au plastique, notamment.
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Dans le cadre de la cinquième édition de la Maddy Keynote, Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France, a accepté de donner une interview à Clubic, depuis le Centquatre-Paris, pour faire le point sur les avancées en matière de lutte contre la prolifération des déchets et discuter des missions de l'association .
L'interview de Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France
Clubic : Pouvez-vous nous présenter dans les grandes lignes les activités de Zero Waste France aujourd'hui ?Flore Berlingen : L'association existe depuis plus de 20 ans, alors que nous avons l'impression que la question des déchets a émergé plus récemment. En 1997, lorsque nous avons démarré, le contexte était très différent, et le but était de dénoncer les décharges et incinérations de déchets. L'association avait vraiment un rôle de lanceur d'alerte, qui subsiste encore aujourd'hui.
Mais très rapidement, nous avons commencé à travailler sur les alternatives, car si nous voulons arrêter d'envoyer des déchets vers des décharges ou des incinérateurs, parce que ce sont des installations polluantes, il faut bien trouver des solutions, comme le recyclage, le compostage. Mais ça va surtout être la réduction, à la source, de nos déchets et du gaspillage des ressources qu'ils représentent.
« L'impression que le problème est en train d'être réglé, que des solutions sont mises en place alors qu'une partie d'entre elles ne sont pas viables sur le long terme »
Le progrès technologique est-il un avantage, pour faire passer votre message, ou un obstacle ?
Les deux. Nous remarquons qu'il y a une plus grande écoute de la part des citoyens, des entreprises et des acteurs publics, et c'est parce que nous en avons beaucoup parlé. Et en même temps, le fait que ce soit beaucoup plus présent dans les discussions, dans les débats aujourd'hui fait qu'il n'y a pas une entreprise qui ne parle pas de sa démarche environnementale et plus particulièrement de sa démarche d'économie circulaire ou autre. D'une certaine manière, cela nous dessert un petit peu aussi, puisque finalement, nous avons l'impression que le problème est en train d'être réglé, qu'il a été pris en main et que des solutions sont mises en place. Sauf que ces solutions, pour une partie d'entre elles, ne sont pas viables si on a une vision à long terme. Et nous sommes loin d'avoir couvert l'ensemble de l'économie et des pratiques qui posent problème.
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Vous militez pour la fin des prospectus jetables et autres flyers. En ce sens, la loi relative à la lutte contre le gaspillage à l'économie circulaire a permis de faire des progrès, en sanctionnant notamment maintenant explicitement, par un texte législatif, le non-respect du STOP PUB.
La question des publicités et flyers que l'on retrouve dans les boîtes aux lettres est un sujet sur lequel nous avons décidé d'être actifs, à la fois parce qu'il est symbolique et parce que le non-respect du STOP PUB, cet autocollant censé indiquer le souhait des gens de ne pas recevoir de pub, est inacceptable. Même quand des gens veulent faire un effort, on les en empêche et on ne respecte par leur choix. C'est une goutte d'eau, mais ça reste une cause à laquelle nous nous attaquons, parce qu'elle est un signal envoyé aux entreprises responsables de la distribution de ces publicités, qui doivent trouver d'autres moyens de communiquer.
« Ne pas s'imaginer que parce qu'on substitut la matière vierge par de la matière recyclée, cela n'aura plus aucun impact »
Concernant les prospectus publicitaires et les catalogues, l'obligation de les imprimer sur du papier recyclé ou issu de forêts gérées durablement n'entrera en vigueur que le 1er janvier 2023. C'est évidemment positif ?
Effectivement, puisqu'on va remplacer une matière vierge par une matière issue du recyclage, ce qui va dans le sens d'une économie circulaire. Cela dit, il ne faut pas s'imaginer que parce qu'on substitue de la matière vierge par de la matière recyclée, cela n'a plus aucun impact ni aucune importance. Il faut rappeler que le recyclage est limité. Le papier se recycle 4, 5 ou 6 fois, mais pas plus. Cette boucle du recyclage n'est pas parfaite ni infinie.
On peut aussi étendre le sujet aux pailles, notamment, avec des enseignes comme McDonald's qui ont mis fin aux pailles en plastique en les remplaçant par des pailles biodégradables, qui au final, atterrissent aussi à la poubelle.
C'est valable pour les pailles, pour le papier, pour tout un tas d'objets, de produits ou d'emballages jetables. Le problème n'est pas tant la matière choisie, comme le plastique. Mais si on se contente de substituer le plastique par un autre matériau et qu'on reste sur du jetable ou de l'usage unique, on reste sur un gaspillage de ressources quoi qu'il en soit.
« La boucle du recyclage n'est pas parfaite ni infinie »
Sommes-nous en train de passer d'une société de surconsommation à une société de responsabilisation ?
Je ne suis pas certaine, et nous en sommes loin. Nous sommes même encore complètement dans une société de surconsommation, une notion qu'il faut définir. C'est à la fois quelque chose qui semble un peu évident, comme le gaspillage alimentaire, l'eau du robinet qu'on laisse couler, etc. ; et ce n'est en même temps pas si facile à définir parce que la question qui arrive vite est : ''où place-t-on le curseur ?'' Ce qui va paraître une surconsommation pour l'un ne paraîtra pas l'être pour l'autre. Une piste de réflexion peut-être de se demander si la surconsommation est généralisable ? Si elle ne l'est pas, cela veut dire qu'elle se fait au détriment, soit de personnes qui vivent très loin de nous, soit des générations futures. Il y aura une privation de ressources qui aura lieu d'un moment ou un autre. Cela pourrait alors dire que nous sommes dans une surconsommation.
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Concernant le mode de financement de Zero Waste France, vous dépendez des dons des citoyens, et non de collectivités ou de subventions, ce qui vous laisse, on imagine, une vraie liberté d'action et de parole ?
Nous recherchons l'indépendance la plus grande possible, parce que nous voulons être en mesure de fixer notre propre agenda, se saisir d'un sujet pas seulement parce qu'il a été décrété cause nationale, mais parce que nous avons observé que c'était quelque chose qui n'était pas suffisamment traité. Pour choisir nos sujets de travail, on se demande si d'autres travaillent aussi sur cette question, si le sujet a beaucoup progressé ces dernières années dans l'opinion publique, et si nous servons encore à quelque chose sur ce sujet. C'est comme cela que nous définissons ce sur quoi nous voulons bosser. Nous voulons travailler sur les sujets qui ne sont pas encore suffisamment portés.
« Le plastique est devenu l'un des principaux sujets environnementaux, sinon le principal traité dans les médias »
Pensez-vous que les associations, les ONG qui dépendent de subventions n'arrivent donc pas à faire passer le même message et "s'auto-censurent" sur certains sujets ?
C'est une différence de positionnement, mais il y a une forme de complémentarité entre les différents acteurs qui jouent un rôle de sensibilisation. Nous, nous avons fait ce choix d'aller plutôt sur des sujets pas encore portés et d'essayer de les mettre à l'agenda politique. Une fois que des décisions ou des règlements sont pris, le travail n'est pas fini pour autant. Il y a encore un énorme boulot de mise en œuvre et de sensibilisation à faire.
La campagne des élections municipales démarrera dans les prochaines semaines. Est-ce que vous craignez que l'on se serve de l'argument écologique, du tri des déchets et de la lutte contre le gaspillage comme des arguments électoraux, aussi vite oubliés une fois les élections passées ?
Les campagnes électorales sont des moments où les candidats font un certain nombre de promesses. Après, la question qui se pose est : "vont-ils les tenir ?" Nous sommes très implantés sur le terrain et avons une centaine de groupes locaux dans toute la France. Ces derniers sont au contact de leurs élus locaux et sont allés voir les candidats depuis plusieurs mois, pour poser certains sujets liés à la gestion des déchets, car pour le coup, les élus locaux sont très concernés, car ce sont eux qui prennent les décisions d'investissement sur les infrastructures, les installations de traitement, les modes de collecte, etc. Ils sont particulièrement concernés. Il va ensuite falloir suivre ça dans la pratique, une fois les élections passées. Il est de notre rôle d'acteur associatif et citoyen d'apporter notre connaissance, nos retours d'expérience, de ce qui marche à l'étranger ou ailleurs en France, pour que ceux qui vont vouloir démarrer puissent démarrer le plus rapidement et le plus efficacement possible.
« L'industrie du plastique reconnaît qu'on ne peut pas recycler le plastique à l'infini »
La Chine a annoncé un plan quinquennal pour mettre fin aux plastiques à usage unique. Ce plan, y croyez-vous ?
C'est un mouvement que l'on observe dans plein de pays à travers le monde. La Chine vient d'annoncer un plan, mais d'autres pays ont annoncé ou adopté des législations contraignantes en matière de plastique. En France, nous en parlons souvent, toute une série d'interdictions sont entrées en vigueur au 1er janvier. L'Union européenne a voté la fin des plastiques jetables dès 2021. Le mouvement est global, et il s'effectue sous la pression de l'opinion publique qui a considérablement évolué sur les deux ou trois dernières années. Le sujet plastique est devenu l'un des principaux sujets environnementaux, sinon le principal traité dans les médias.
Ces interdictions sont utiles sur le terrain, mais aussi en tant que signaux envoyés à l'industrie agroalimentaire, à celle de l'emballage ou du plastique, pour aller vers une réduction du plastique. D'ailleurs, l'industrie du plastique s'en inquiète, et a récemment communiqué sur le fait que ces interdictions mettent en péril le fait de pouvoir ensuite recycler le plastique. Elle a peur qu'il n'y ait plus assez de plastique vierge pour pouvoir produire du plastique recyclé. Cela veut dire que l'industrie reconnaît qu'on ne peut pas recycler le plastique à l'infini, et c'est bien que les acteurs le disent.
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Le fait d'être présent, ici à la Maddy Keynote, et de montrer que les acteurs commencent à se saisir des sujets environnementaux, est-il un signe que la situation n'est pas irréversible et que l'on peut arriver à des résultats positifs dans l'avenir, sur le tri des déchets et remédier à la surconsommation ?
Ce que je trouve positif, c'est que petit à petit, nous allons un cran plus loin dans la réflexion. L'économie circulaire ne nous permettrait que de reculer un petit peu le problème. Il faut le prendre plus en amont, dans la réduction de la consommation de ressources. Ça me semble assez positif de voir qu'il y a des initiatives, des projets, des réflexions qui commencent à poser cette question très concrète d'une réduction des volumes, qui ne soit pas basée sur la croissance continue des volumes produits.
Merci Flore Berlingen d'avoir répondu à nos questions, et bonne continuation avec Zero Waste France.
Merci à vous.