Ubisoft
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Depuis juillet dernier, Ubisoft est régulièrement incriminée pour des affaires de harcèlement au sein de ses studios et pour infliger des conditions de travail terribles à ses employés. Une nouvelle affaire vient d'être publiée et cette fois, elle concerne Beyond Good & Evil 2.

Michel Ancel, l'ancien directeur créatif du projet, est au cœur de cette énième polémique.

Ubisoft Montpellier

Un projet de rêve qui vire au cauchemar

Durant sa conférence à l'E3 2017, l'éditeur français dévoilait enfin les premières images du très attendu Beyond Good & Evil 2. C'est un Michel Ancel très ému qui monte alors sur scène pour remercier les fans et expliquer brièvement sa vision pour ce futur blockbuster en puissance. Mais plus de trois ans après cet événement, l'ambiance n'est plus à la fête et le développement piétine. Pire encore, le célèbre créateur français est incriminé pour son comportement et la gestion de ses équipes.

Une fois de plus, c'est le Journal Libération qui vient publier cette enquête. Les journalistes Erwan Cario et Marius Chapuis ont discuté avec une quinzaine d'employés d'Ubisoft Montpellier. L'occasion de revenir sur la gestation houleuse de Beyond Good & Evil 2 (BGE 2), un titre en développement depuis sept longues années et qui vient à peine de sortir de sa phase de pré-production.

Michel Ancel pointé du doigt

Ce qui revient dans la bouche des salariés interrogés par Libération, c'est surtout le comportement inadéquat de Michel Ancel, l'ancien directeur créatif du jeu. Le papa de Rayman a par ailleurs annoncé le 18 septembre dernier qu'il mettait un terme à sa carrière dans le jeu vidéo, laissant les équipes de BGE 2 et celles de Wild (une exclusivité PS4 dévoilée en 2014) orphelines.

Ainsi, d'après ces témoignages, Ancel jouissait d'une impunité totale grâce à sa proximité avec Yves Guillemot, le P.-D.G. d'Ubisoft. Il n'aurait pas hésité à mettre à la poubelle plusieurs mois de travail. Les développeurs évoquent aussi leur manque de liberté créative et des changements d'orientation incessants initiés par le réalisateur du jeu. Cette cadence infernale aurait conduit à des burn-out et autres formes de dépression.

Un employé sous couvert d'anonymat détaille son propos via la déclaration suivante.

Michel a besoin que les idées lui appartiennent. Il préfère souvent improviser un truc à lui plutôt que d’écouter l’équipe et regarder le travail structuré qu’on a fait à sa demande. Il est capable de vous expliquer que vous êtes un génie, que votre idée est formidable, pour ensuite vous démonter en réunion en disant que vous n’êtes qu’une merde, que votre travail ne vaut rien et ne plus vous parler pendant un mois. C’est quelqu’un qui a un processus créatif qui est à base d’érosion, d’érosion de sa vision et des personnes qui l’entourent.

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Un développement interminable

Une telle ambiance a bien évidemment de réels impacts sur le processus créatif. Pour y remédier, Ubisoft avait alors décidé de mettre en place un comité de 19 personnes (dont une seule femme). Cette nouvelle organisation n'aurait finalement rien changé... Toujours dans le but d'illustrer le cette sorte de chaos créatif, un salarié revient sur le trailer qui avait été dévoilé à l'E3 2017.

Les vidéos ont été faites à la main, en rush, sous le contrôle de Michel. Tout a évidemment été jeté depuis. La ville de Ganesha City, qu’Ancel voulait absolument qu’on fasse avec un niveau de détails complètement débile, on vient à peine d’en sortir trois ans après, et on l’a refaite déjà quatre ou cinq fois. Sachant qu’il faut faire plusieurs planètes, vous imaginez l’absurdité de ce type de raisonnement.

Face à ces difficultés, Ubisoft n'a rien trouvé de mieux que de mettre encore plus la pression aux équipes. Ainsi, en tout début d'année 2019, le P.-D.G. de la branche montpelliéraine de l'éditeur aurait demandé expressément une démo jouable pour le printemps sous peine d'annuler purement et simplement le jeu. Finalement, cette démo fut validée.

Ancel répond aux attaques

Dernier élément important, ces dysfonctionnements sur Beyond Good & Evil 2 et certaines plaintes déposées à l'encontre de Michel Ancel ont conduit Ubisoft à ouvrir une enquête interne sur le créateur. C'est également à ce moment que ce dernier a souhaité se détacher totalement du projet en prenant sa retraite. Cependant, Ancel explique que ce fut une décision mûrement réfléchie et qui n'était pas liée à l'enquête en cours (pour laquelle il aurait répondu à de nombreuses questions pendant plusieurs heures).

Aujourd'hui, et malgré la souffrance avérée du personnel, le développement de Beyond Good & Evil 2 continue sans Michel Ancel. Par ailleurs, ce dernier s'est fendu d'un post sur Instagram dans lequel il conteste certains points évoqués dans le papier de Libération. Disponible en anglais, cette réaction a été traduite par nos confrères de Jeuxvideo.com.

Fake New

Prenez quelques personnes en colère et jalouses et laissez-les parler au nom de centaines. Publiez rapidement les articles pour qu'ils se combinent avec ceux sur harcèlement sexuel chez Ubisoft, relayés dans d'autres articles. Est-ce sérieux ? C'est ce que vous attendez d'un journal national. Je me battrai pour la vérité, car de telles accusations sont une honte. J'ai travaillé dur sur chacun de mes projets et j'ai toujours eu du respect pour les équipes. Ces accusations sont fausses.

1- Gestion toxique : Je ne dirige pas l'équipe. J'apporte une vision, puis les producteurs et les managers décident quoi faire, quand et comment. Ce sont des personnes puissantes dans la réalisation de projets aussi importants. Pourquoi le journaliste n'en parle pas ?

2- Je change toujours d'avis : Faux. Par exemple, j'ai passé des années à expliquer pourquoi la ville ne devrait pas être refaite de zéro. Des heures à expliquer que les personnages étaient assez bons et n'avaient pas besoin d'être refaits. Pareil pour les planètes et tout. Mais parfois, certaines personnes de l'équipe ont changé les choses malgré mes conseils. Les gestionnaires sont là pour résoudre ce problème.

3- La démo de 2017 était fausse et était une vidéo : Faux. La démo 2017 était solide et a rendu possible la démo 2018. Contrairement à ce qui est dit dans l'article, la démo de 2018 avait les bons détails, utilisait un véritable système de streaming, une génération procédurale, et était jouable en ligne. C'était un chef-d'œuvre de la technologie.

L'article de Libération contient de fausses informations révélées par un petit nombre de personnes qui souhaitent me détruire et détruire les projets. Cela ne peut pas être fait sans que je combatte toutes les lignes de cet article. J'ai offert au journaliste l'opportunité de prendre suffisamment de temps pour examiner toutes les erreurs. Voyons ce qu'il va faire.

Cette affaire pourrait donc ne pas en rester là...

Qu'en pense-t-on chez Clubic ?

Cette fois, il n'est pas question de harcèlement, mais l'enquête met en lumière toute la difficulté de créer un jeu vidéo à gros budget à l'heure actuelle. La route sera sans doute longue mais c'est toute une industrie qui doit revoir ses pratiques pour offrir de meilleures conditions de travail aux développeurs.

Les joueurs doivent s'emparer du sujet pour pousser les éditeurs à changer leurs sales habitudes. Bien entendu, rien ne sera jamais parfait mais il y a de vrais progrès à faire.