Sous les projecteurs depuis la publication du trailer de Season pendant les Game Awards le mois dernier, la lumière s’est soudainement fait plus crue sur Scavengers Studio. Une enquête de GamesIndustry révèle que les co-dirigeants du studio québécois encouragent et entretiennent un management toxique, incompatible avec environnement de travail sain.
Des accusations qui, à leur niveau, rappellent évidemment la vague sans précédent d’accusations de harcèlement et d’agressions dont ont été victimes des employées d’Ubisoft, et dont la parole s’est libérée durant l’été.
Une énième histoire de « boys club »
L’histoire racontée par GamesIndustry et les neuf employé·e·s anonymes de Scavengers Studio est tristement banale. Est dépeint dans l’article un environnement de travail hostile envers les femmes ; un « boys club » entretenu par le co-fondateur du studio : Simon Darveau.
Cet ancien designer chez Ubisoft a fondé Scavengers Studio en 2015 avec sa compagne d’alors, Amélie Lamarche. Une présence féminine au plus haut niveau, qui n’a pas empêché l’instauration d’un environnement de travail décrit comme dégradant envers les employées, lesquelles seraient constamment rabaissées, objectifiées, et dont la créativité est systématiquement bridée.
Des remarques sexistes, des gestes déplacés, mais aussi une certaine idée de la femme qui, malgré les apparences que véhicule Season, sont profondément ancrées dans l’ADN du studio. L’une des personnes interrogées par GamesIndustry raconte que lors d’une réunion où elle a avancé l’idée qu’Abby, la protagoniste du jeu, pourrait jouer de la guitare, on lui aurait répondu que cela ne serait pas « réaliste », car la pratique de la guitare serait « trop compliquée pour une femme ». « Elle devrait plutôt jouer du Ukulélé », aurait-on finalement tranché lors de la réunion.
Personne vers qui se tourner
En tant que studio de petite taille (entre 30 et 40 personnes depuis 2018), Scavengers Studio n’a pas de pôle dédié aux Ressources Humaines. Ce qui signifie que les femmes ayant été victimes de remarques ou de gestes déplacés n’avaient d’autre possibilité que d’aller en référer à Amélie Lamarche, la co-fondatrice du studio et compagne de Simon Darveau. Sans surprise, et comme la grande majorité des cas de harcèlement impliquaient directement ce dernier, beaucoup ont avoué avoir été découragées de faire remonter le problème.
Catalyseur de la misogynie ambiante, Simon Darveau se serait lui-même présenté comme « un chien en rut — incapable de contrôler ses pulsions ». Des « pulsions incontrôlables » qui prennent notamment la forme d’agressions pures et simples, comme lors de cette soirée arrosée où le directeur créatif a touché et empoigné plusieurs employées de façon inappropriée. L’une d’entre elles démissionnera la semaine suivante.
Ayant eu vent de l’événement, Amélie Lamarche aurait toutefois fait intervenir un cabinet d’enquêtes indépendant pour faire la lumière sur cette histoire. Ses conclusions n’ont jamais été partagées avec les employé·e·s. Pour seule mesure, Scavengers Studio mettra dorénavant moins d’alcool à disposition lors de ses soirées. « C’était frustrant de mettre ça sur le dos de l’alcool, parce que Darveau était déjà bien merdique avant de boire », regrette une employée. Un comportement problématique, qui s’est aussi illustré lors d’une réunion portant justement sur le harcèlement au travail. Lors de cette réunion qui, selon une personne interrogée par GamesIndustry, consistait à « regarder Lamarche lire des listes de recommandations gouvernementales », Simon Darveau se serait quant à lui fait remarquer en faisant des blagues. Deux personnes présentes ce jour-là confirment un comportement « adolescent », qui « riait et se moquait de toutes les politiques concernant le harcèlement sexuel ».
Un management par la peur
Les méthodes de management appliquées par Simon Darveau ne sont pas plus reluisantes. Décrits comme « jetables », les employé·e·s de Scavengers Studio voient leur travail dégradé, leurs compétences et domaines d’expertise bafoués, et subiraient même des menaces de licenciement devant leurs pairs.
Un management par la peur, qui semble être en place pour « encourager » les équipes à se dépasser. Des promotions ou des augmentations étaient régulièrement agitées devant leur nez, sans toutefois dessiner le moindre calendrier, ou mettre en place d’évaluations de performances. « Si des employé·e·s se rapprochaient de la direction pour réclamer ce qu’il leur avait été promis, on leur répondait que leur travail n’était pas assez bon, ou qu’il leur fallait répondre à des exigences qui n’avaient pas été précisées pour obtenir leur dû », raconte l’article de GamesIndustry.
L’enquête s’attarde encore sur ces réunions où, enfermé en compagnie d’un ou d’une employée, Simon Darveau s’assure de hurler suffisamment fort pour que tout le studio puisse l’entendre. De situations encore plus problématiques depuis la crise du Covid et l’instauration des mesures de télétravail, où le comportement autoritaire du directeur créatif n’est pas moins virulent sur les logiciels de visioconférences.
Season : un jeu artistiquement chahuté
Directeur créatif sur The Darwin Project, un Battle Royale sorti début 2020 par Scavengers Studio et débranché quatre mois plus tard, Simon Darveau a finalement rejoint l’équipe qui travaillait sur Season. Alors en production, le jeu d’aventure narratif avait déjà un directeur créatif en la personne de Kevin Sullivan. Darveau, dont la philosophie s’oriente davantage « sur les jeux très gameplay, au rythme rapide », n’est pas l’homme de la situation pour manager Season. Mais Amélie Lamarche en aurait décidé autrement.
Si Sullivan est toujours crédité comme directeur créatif attitré de Season, l’influence de Simon Darveau sur le projet inquiète. « Tous les jeux suivent le même schéma », explique une source de GamesIndustry. « Il imagine une vision du jeu qu’il vend à l’équipe, l’équipe est excitée, puis il vend l’idée à des éditeurs, mais il n’y a pas de cohérence, il n’y a pas de plan concret, et il n’y a pas de vrai jeu au bout du compte. Les gens qui travaillent sur le jeu font de leur mieux, mais toute l’entreprise est bâtie sur ce principe : nous faisons des prototypes, nous amassons de l’argent de la part des éditeurs, et nous recommençons. Il n’y a aucune intention de sortir des jeux de qualité, il n’y a aucun procédé pour ».
Depuis son arrivée dans l’équipe de production, Darveau aurait remanié de nombreux éléments de Season pour paraître plus attrayant aux yeux de Sony — qui édite le titre. Un monde plus grand, des quêtes et des objectifs en pagaille. Autant de choses qui n’étaient pas au programme avant que le co-fondateur n’impose sa vision. « Je ne sais même pas ce qui a été annoncé [pendant les Game Awards] parce que c’est si différent de ce que nous avions prévu. Je ne reconnais même plus le jeu », regrette une personne de l’équipe de développement.
Suite à la publication de l’article de GamesIndustry, Scavengers Studio a fait suivre un communiqué faisant savoir que le studio ne « tolérait aucune forme de harcèlement » et que tous les témoignages étaient reçus et examinés scrupuleusement. Le studio fait aussi savoir que des mesures concrètes ont été prises pour améliorer la situation au sein du studio. La première étant qu’Amélie Lamarche est désormais P.-D.G. de l’entreprise au détriment de Simon Darveau. Un poste qu’elle occupe depuis début 2019.
Source : GamesIndustry.biz