Dans une période compliquée, la NASA réussit à envoyer la sonde Dawn, équipée de propulseurs ioniques, jusqu'à la protoplanète Vesta, puis à repartir un an plus tard vers Ceres. Cette mission ambitieuse d'une décennie aura permis de mieux comprendre les premières époques du Système solaire et d'éclaircir quelques mystères.
Les données ont fait date et seront encore étudiées longtemps.
Des débuts difficiles
En janvier 2001, c'est l'ébullition pour la petite équipe scientifique qui a proposé la mission Dawn : la NASA vient de sélectionner leur dossier et leur donne 6 mois pour une analyse détaillée. À la clé ? 300 millions de dollars du programme « Discovery » et la construction de la sonde.
L'objectif est simple : remonter à l'aube de notre Système solaire grâce à l'étude détaillée de deux de ses fossiles accessibles, les astéroïdes Vesta et Ceres. Ces deux embryons de planètes résident depuis des milliards d'années au sein de la ceinture d'astéroïdes, entre Mars et Jupiter. En décembre, Dawn est sélectionnée définitivement, et les premiers contrats sont passés pour le corps de la sonde et les instruments.
Si l'on insiste sur cette sélection, c'est parce que le développement de Dawn sera relativement calme sur le plan technique, mais tempétueux pour la gestion du programme. En 2003, après le crash de la navette Columbia, puis en 2004 avec le lancement du programme Constellation, la NASA doit constamment revoir ses priorités et jongler avec un budget toujours plus serré.
Dawn en fait les frais, elle est annulée une première fois dans le budget 2004, puis réinstaurée grâce à des efforts politiques. Rebelote pour le budget 2006, avec un arrêt des travaux de plusieurs mois, alors même que la sonde arrive presque déjà au stade de l'assemblage. Ces allers-retours ne se termineront qu'en mars 2006 avec l'autorisation pour l'intégration finale et le lancement. Ouf, ce n'est pas passé loin ! Ironiquement, ces pauses et accélérations vont faire grimper le coût total de la mission de plus de 30 %. Mais à la fin du printemps 2007, Dawn est prête pour son décollage.
Une sonde simple, mais robuste ?
Sur le plan scientifique, le budget était serré, il n'y a donc pas d'instruments révolutionnaires à bord. L'objectif est avant tout de pouvoir photographier au maximum Vesta et Ceres sous toutes les coutures pour pouvoir les cartographier et tenter de comprendre leur passé. C'est pour cela que les deux imageurs FC (Framing Camera), identiques et séparés, sont pour ainsi dire les éléments principaux de la mission, qui plus est parce qu'ils servent également à la navigation.
Le spectromètre infrarouge VIR et le détecteur de particules chargées GraND (Gamma-Ray and Neutron Detector) complètent le package scientifique. Il y a cependant un autre élément d'importance sur Dawn, car sa propulsion principale est assurée par trois moteurs électriques-ioniques alimentés par deux grands panneaux solaires et propulsant du xénon.
C'est une première pour la NASA sur une mission au long cours de s'appuyer autant sur cette technologie. La sonde embarque aussi des propulseurs à l'hydrazine, mais ils sont là en complément pour les accélérations franches et pour gérer l'orientation de la sonde. La construction est gérée par Orbital Sciences (devenue entre-temps Northrop Grumman), qui accepte en 2006 de finir le véhicule à prix coûtant.
Le plus dur, c'est de partir
Le décollage de Dawn, qui utilise une fusée Delta II depuis le site de Cape Canaveral, fut presque aussi rocambolesque que celui de son aventure budgétaire. Une erreur de manipulation avant la mise sous coiffe manque d'endommager un panneau solaire, une grue est en panne sur le portique d'assemblage de la fusée, puis la météo et la disponibilité des radars de suivi est exécrable…
En fin de compte, le lancement prévu début juillet est repoussé à la rentrée de septembre. Une autre mission de la NASA est prioritaire pour son décollage, celui de l'atterrisseur Phoenix, qui part pour se poser près du pôle Nord de Mars. Décidément ! Dawn quitte définitivement la Terre le 27 septembre 2007, et quitte aussi les ennuis. Le lanceur Delta II se comporte comme un bijou de précision, et le trajet autour du Système solaire peut commencer.
Un long chemin devant elle
Dawn n'est pas équipée pour foncer vers la ceinture d'astéroïdes, puis freiner en arrivant sur place. Son trajet ressemble plus à celui d'un tourbillon qui s'agrandit au fur et à mesure qu'elle accélère avec ses propulseurs ioniques. Pour gagner de la vitesse, elle survole également Mars le 17 février 2009, faisant au passage une mauvaise farce aux équipes au sol, qui ont un moment cru qu'elle s'était écrasée sur la planète rouge…
Dawn s'était en réalité mise en mode de sauvegarde (Safe Mode) à la suite d'un problème logiciel lors de la séquence de survol et n'a repris contact que deux jours plus tard. Le reste du transit s'effectue dans un sommeil relatif de deux ans, puisque les équipes préparent l'arrivée autour de Vesta. Ce qui est complexe, c'est de savoir comment entrer en orbite autour d'un corps dont on ne connaît pas la masse.
Et voilà Vesta !
La phase d'approche commence officiellement le 3 mai 2011, lorsque la vieille protoplanète apparaît en un point bien visible sur les capteurs optiques de Dawn. Dès lors, chaque prise de vue ou presque améliore les relevés précédents, et Vesta apparaît progressivement aux yeux des scientifiques comme du public. C'est un corps étrange, qui a la forme d'un œuf d'environ 575 kilomètres de long et 446 de large, constellé de cratères, mais pas autant que ce qui était estimé au départ. Des collisions passées ont d'ailleurs généré sur ses flancs d'impressionnantes « griffures » qui courent sur des centaines de kilomètres.
Cœur refroidi de ce qui aurait pu devenir une planète, Vesta est aussi ce qui reste de l'un ou de plusieurs impacts qui ont généré des centaines de plus petits astéroïdes, dont plusieurs se sont écrasés et ont été étudiés sur Terre. L'injection de Dawn en orbite fonctionne, après quoi le véhicule va passer 14 mois à étudier Vesta, sur différentes orbites, avec différentes inclinaisons et conditions de luminosité. De quoi dresser un atlas exhaustif et détaillé de sa surface, découverte pour la première fois !
Le 5 septembre 2012, c'est l'heure du départ. Dawn sort de la sphère d'influence de Vesta et démarre un long trajet de plus d'une rotation solaire vers Ceres, un trajet où, en théorie, il suffit d'accélérer lentement grâce aux moteurs ioniques-électriques. En réalité, ce sera deux ans et demi de sueurs froides pour les équipes d'ingénierie de la sonde. Est-ce parce que les conditions du voyage sont difficiles, ou parce que la construction de la sonde a été arrêtée plusieurs fois ?
Les gyroscopes inertiels (reaction wheels) qui sont le moyen principal pour orienter la sonde tombent en panne les uns après les autres. À tel point que les équipes sont obligées de mettre en place un système hybride, utilisant à la fois les gyroscopes et les micropropulseurs à hydrazine. Il y a peu d'ergols pour ces derniers, mais leur action est très précise. Les moteurs ioniques-électriques occasionnent eux aussi leur lot de problèmes, avec notamment une panne le 11 septembre 2014, mais globalement, ils se comportent bien. La navigation est ajustée pour qu'il y ait toujours au moins l'un des trois moteurs ioniques en réserve.
En route… encore ?
En janvier 2015, la sonde débute son approche de Ceres, qui a depuis son départ été reclassée d'astéroïde numéro 1 à planète naine. Ainsi, les équipes de Dawn deviennent les premières à étudier de près une planète naine, quelques mois à peine avant le survol de Pluton par la sonde New Horizons, pourtant partie plus tôt. Là encore, les images sont progressivement de plus en plus résolues. Elles sont particulièrement scrutées par les équipes du monde entier, car Ceres présente une particularité, une « tache blanche » qui devient rapidement le cœur de la mission de Dawn et de l'intérêt du public.
La sonde arrive à s'insérer en orbite le 6 mars 2015 et démarre sa cartographie, avec ce fameux point blanc au sein d'un cratère (Occator), preuve d'un cryovolcanisme actif. Et il y a d'autres preuves, comme les pentes aiguës de montagnes telles qu'Ahuna Mons. Les images vont se multiplier autant que les mesures, d'autant que les mois passant, l'altitude des opérations de Dawn est abaissée.
Une fin en beauté
La fin de mission est calme. L'équipe scientifique a caressé l'espoir de quitter Ceres pour aller à la découverte d'un troisième astéroïde de la ceinture. Mais la sonde n'a quasiment plus d'ergols de manœuvre, elle a régulièrement du mal à s'orienter correctement. Il y a mieux à faire en étudiant Ceres à différentes orbites et différentes luminosités sur le temps long.
La sonde est éteinte le 31 octobre 2018 et reste aujourd'hui dans une rare configuration : « morte », mais toujours en orbite de Ceres, en guise de monument orbital. Il a été envisagé un instant de la crasher volontairement sur la surface, mais sa stabilité sur le long terme (au moins 20 ans, plus probablement 100) est plus intéressante scientifiquement. Après plus de 10 ans de mission, Dawn fut un incroyable succès, et ses découvertes continuent d'être étudiées.